Boumehdi Djelloul, alias « Abou Oubaïda », est un dur qui a passé sept ans dans la proximité de Antar Zouabri, et qui, avant d'intégrer en 1995 les rangs du GIA, crapahute au sud-Liban et en Palestine L'oeil narquois, le sourire accroché dans un rictus mystérieux, Boumehdi Djelloul a de quoi vous surprendre. Cet homme de 42 ans, capturé au terme d'un accrochage au cours duquel il s'est battu bec et ongles avec la kalachnikov et la hargne d'un terroriste aguerri, a tout pourtant d'un paisible père de famille. Il s'exprime calmement, avec parcimonie pour se dévoiler sous des apparences qui lui sont favorables. Mais son déballage va être ahurissant. Ebouriffant. Boumehdi Djelloul, alias «Abou Oubaïda», est un dur qui a passé sept ans dans la proximité de Antar Zouabri, et qui, avant d'intégrer en 1995 les rangs du GIA, crapahute au Sud-Liban et en Palestine, dans les escadrons du «Fath», version Abou Moussa (sécessionniste d'avec Arafat) en 1981. Puis son parcours d'aventurier le mènera au Liban, en Syrie, où il fut accusé d'être un pro-Abou Ammar et emprisonné à Damas. Il bourlingue ensuite à travers la Palestine, Beyrouth, où il combat contre les milices de Samir Djaâjâa et Michel Aoun. Il «visitera» la Turquie, la Libye et la Tunisie, avant de se décider à entrer, enfin, en Algérie à partir de 1992-1993. A cause, dit-il, «de la mort de mon frère, assassiné dans des conditions douteuses». A ce moment, pensant qu'il est aussi menacé (sic), il prend le maquis. Ce peintre en bâtiment avoue n'avoir été qu'un subalterne dans les rangs du GIA. Toutefois, son langage, sa maîtrise des armes et son passé d'exalté des causes radicales contredisent son propos. Qu'importe si les aveux édifiants distillés au compte-gouttes en font un lieutenant de haut rang dans la hiérarchie du GIA. Concernant les attentats et les crimes collectifs contre les populations civiles, il en énumère une liste époustouflante. Au moins 80 entre le 17 janvier 1997 et le 16 juillet 2001, date de sa participation au massacre de Aïn El-Agba, à Berrouaghia, où 12 personnes furent assassinées. Les plus importants de ces massacres ont été perpétrés le 26 juillet 1997 au douar Sidi Salem, à El-Oumaria (Médéa), où 22 citoyens furent assassinés et une jeune fille enlevée, et celui de Tabouza, à Ouzra, où 21 personnes furent achevées à l'arme blanche. Massacre collectif à Ouled Trif, à Ouled Tourki (23 autres assassinées) et surtout à Baâta (Médéa) où 41 furent égorgées, figurent au triste palmarès du groupe de Aouaouka, la katiba de Boumehdi. Un total de plusieurs centaines, voire de milliers de citoyens assassinés dans l'axe Médéa-Blida-Aïn-Defla. Le terroriste apporte un témoignage nouveau sur les «priorités» des groupes de Zouabri, qui, à la tête de la katiba El-Khadra avait droit de vie ou de mort sur tout. «Après un massacre sur les habitants d'une maison ou d'un hameau, priorité était donnée à la récupération de l'or. L'argent venait en seconde position.» Et si le temps le permettait, «les filles, les ustensiles de cuisine et les vivres étaient autant de butin à emporter dans les maquis.» C'est ce qui a été fait, par exemple, à Raïs et Bentalha, où le nommé «Abou Souraka» a utilisé les moyens forts pour massacrer toute une population et prendre des kilogrammes d'or vers Médéa. Au chapitre femmes, les plus belles et même les moins belles «transitent» par Zouabri, qui en use et abuse, avant de les «céder» aux hommes, qui en font un «usage intensif». Au bout d'un mois, «les filles ne sont plus que des loques humaines, et il faut alors les égorger. Cette attitude est systématique en ce qui concerne les «sabaya», ces femmes esclaves des maquis. Les mariages ne sont consentis qu'envers les femmes dont les maris ont été tués dans des accrochages. Dans ce cas, le nouveau mari aura à charge la femme et les enfants issus du mariage précédent». Les relations avec les autres fractions armées ont toujours été tendues, et la guerre entre djaz'aristes et salafistes battait son plein. Après l'assassinat par le GIA de Mohamed Saïd et Abderrazak Redjam, le groupe explose. Beaucoup font scission. Ali Benhadjar qui avait créé la LIDD, groupe armé autonome, active dans le centre de la zone de Zouabri. Celui-ci veut sa tête. «Quatre tentatives de prendre d'assaut Tamezguida pour tuer Benhadjar échouent», dit Boumehdi. Pourquoi cet acharnement à éliminer tout ce qui n'est pas avec vous? L'ex-proche de Zouabri répond: «Selon la fetwa, toujours en vigueur, le peuple est renégat, excommunié et, de fait, son sang, ses femmes et son argent deviennent licites.» Sur l'épisode de l'assassinat des 7 moines, il affirme que les religieux avaient été kidnappés par le groupe d'Abou-Haneth, et ensuite emmenés à Bougara. Après l'échec des pourparlers avec les autorités consulaires françaises, ils ont été assassinés et leurs têtes exposées aux maquis de Médéa. En fait, les référents doctrinaux sur lesquels s'appuyaient Antar Zouabri et le GIA post-Djamel Zitouni, étaient principalement Ibn Taïmiya et un Palestinien appelé Abou Qatada. Et Ali Benhadj et Abassi Madani? «Ceux-là ont été jugés hérétiques et excommuniés par le GIA». C'est vraisemblablement la fetwa pronconcée par le «dhabit echar'î» du GIA, sorte d'officier-magistrat, connu sous le nom de Abou El-Moundhir. Les relations avec le Gspc semblent être inexistantes. Boumehdi cite le cas de Abderrezak El-Para, un chef de guerre du GIA qui, vers 1999, rejoint l'organisation de Hattab. C'est le seul cas connu de lui en ce qui concerne les transferts. Pour clore ce long témoignage, riche en révélations, Boumehdi dit ne pas croire que le califat s'installera un jour en Algérie. «C'est une utopie», dit-il, après avoir expliqué que beaucoup d'armes ont été cachées aux maquis de Médéa par manque de munitions. Ce qui fait sourire le général-major Fodil Chérif, présent avec les journalistes dans la salle. Un sourire qui en dit long sur les «cachoteries» d'un chef terroriste qui, apparemment, continue à garder encore beaucoup de secrets.