Le général-major, debout, en treillis réglementaire et lunettes de soleil, pointe le doigt sur le cadavre de Antar Zouabri: «Nous continuerons à combattre les terroristes jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un seul, et cet homme - aussi recherché fût-il - n'est qu'un terroriste de moins dans notre combat.» Cette image exprime, concentre et résume dix années de guérilla entre les militaires et les terroristes. Le cadavre de l'homme le plus recherché d'Algérie ne payait pas de mine. Un oeil ouvert, l'autre fermé, la bouche béante, une large entaille allant du coin de la lèvre droite jusqu'à l'oreille, cousue de fil noir, le visage exsangue, l'oreille ensanglantée, le corps de Zouabri allongé, offert au zoom des caméras et à la cohorte des journalistes, était celui d'une triste fin. La fin d'un mythe qui n'aurait jamais dû exister. Vingt-quatre heures avant cette attitude figée dans la mort, pétrifié qu'il était dans la fin de toute chose, Antar Zouabri était en train de préparer un grand coup aux portes d'Alger, à Boufarik, la ville qui l'a vu naître, il y a trente-deux ans. Le lieu de la planification des attentats que préparait Zouabri, à l'aide de deux proches collaborateurs - Boutheldja Fodhil et Hakim Boumediene - était une maison sise à la rue des Frères Kerrar, à proximité du stade de Boufarik. Le jour choisi pour perpétrer les attentats était un vendredi, jour de la grande prière hebdomadaire, et du match qui devait opposer l'équipe locale, le WOB, à celle de Berrouaghia. Les trois comparses étaient filés depuis plusieurs jours. Le premier attentat devait certainement avoir lieu dans le stade, plein à craquer de supporters des deux équipes. A la dernière minute, un des deux amis de Zouabri a dû s'apercevoir qu'il ne pouvait entrer dans le stade sans se faire fouiller par les membres du service d'ordre et de sécurité. Là, il revient sur ses pas et réintègre la maison, située près d'un atelier d'apprentissage de couture pour jeunes filles et d'une pharmacie. C'est à ce moment-là, à 15 h précises, que les services de sécurité combinés donnent l'assaut au groupe, sûrs, qu'ils étaient, de trouver tous les membres réunis. Les forces de sécurité ont dû fermer tous les accès de la rue, évacuer les citoyens, «afin de ne pas faire de blessés», dira plus tard le général-major Fodhil Cherif Brahim, et les premiers échanges de coups de feu ont alors commencé. Vers 17 h15 min, le rideau de clôture de la porte principale est défoncé par un char de la police urbaine. Des tireurs d'élite prennent position sur les hauteurs des maisons avoisinantes. Le dispositif en place ne laisse désormais aucune chance à Zouabri et à ses deux compagnons, qui essayent de riposter. Ils lancent au moins deux grenades et tentent de trouver une issue au milieu d'un feu nourri. Un des tireurs d'élite donne le coup de grâce en tirant dans le tas une roquette qui incendie la pièce où se trouvaient les terroristes. Dans leur fuite, ils seront touchés à mort par des balles tirées de deux maisons surplombant le voisinage. C'était la fin du parcours de trois irréductibles du GIA. Il était près de 18 h. Jusqu'à cette heure, personne ne connaissait avec précision l'identité des terroristes. Des citoyens commencent à susurrer le nom de Zouabri. La nouvelle fait le tour de la ville. L'autorité militaire fait venir les plus proches ex-compagnons de Zouabri, qui le reconnaissent formellement. Les empreintes relevées confirment l'identité. Les dernières descriptions de Boumehdi Djelloul alias Abou Oubaïda n'en sont pas très éloignées, hormis la barbe qui a disparu et une petite moustache qui a poussé. Juste ce qu'il faut pour passer inaperçu. La maison où se sont retranchés les trois terroristes était, hier, obstruée à l'entrée par un imposant cordon de sécurité. La boiserie avait sauté, les murs étaient criblés de balles et les chambres à peine visibles dans le grand tas noir d'objets calcinés. Que préparait Zouabri? Que planifiait-il dans cette pittoresque maison de la rue Kerrar? Des attentats dans le stade? Des bombes dans le marché hebdomadaire? Dans des édifices de la ville? Des questions dont les réponses sont emportées à jamais avec lui. Mais une chose est sûre, Zouabri, à la faveur de la dernière flambée des actes terroristes, préparait son grand retour. Avec un oeil tourné vers la capitale. Car, faut-il encore le rappeler, Alger, de par ses extraordinaires répercussions médiatiques, était la grande hantise de Antar Zouabri.