La population de la cité antique est exaspérée par la lenteur des travaux de réfection. La Casbah, ce nom mythique d'une blanche cité qui s'étale comme «un pan de burnous» sur les collines vertes (jadis) qui surplombent la Mare Nostrum si chère aux navigateurs conquérants et pirates de tous les temps. Cette belle cité, en dégradation fort avancée, ne cesse hélas de tomber en ruine, emportant souvenirs, histoire, légendes, témoignages...Comment y remédier? Des mères de famille désemparées depuis l'effondrement de leur maison dans la Casbah d'Alger, font le siège de l'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels (Ogebc), exigeant un toit, même provisoire. L'angoisse est vécue au quotidien par ces «Casbadjis» impuissants qui s'accrochent à leur vieille masure qui part en déliquescence suivant le rythme lent des travaux de restauration. Ils sont fort nombreux à vivre. De nombreuses familles de la vieille cité vivent la même inquiétude au quotidien. Ces «Casbadjis» ne sont hélas pas tous natifs de la vieille cité qui a été squattée pendant la guerre de Libération par les réfugiés venus du monde rural où leurs douars et mechtas avaient été brûlés par la politique de terre brûlée menée par la soldatesque coloniale. Le même scénario s'est reproduit encore deux fois. Lors de l'accession du pays à l'indépendance, témoin d'un exode rural sans précédent vers l'eldorado que représentait la ville en général, Alger, en particulier. L'autre période, encore toute récente, est celle de la décennie noire qui a encore accentué cet exode sauvage fuyant l'insécurité prévalant dans l'arrière-pays. Tout ceci a fait de la Casbah, un point de «passage» pour l'obtention d'un logement social. Les proprio des douerates (maisonnettes) ne sont plus là pour entretenir ce trésor... Une courte visite aujourd'hui dans la vieille ville révèle les appréhensions des habitants qui ne savent plus à quel saint patron se vouer. «Malgré des étaiements, supposés des plus solides, pour la soutenir, notre maison s'est écroulée sur nos têtes», affirme, amère, une des habitantes de cette maison en attente de restauration, qui ne sait pas encore «quel sera (son) refuge pour la nuit». Ces scènes n'ont rien d'exceptionnel au siège d'un organisme devenu faute de mieux, le point de chute de propriétaires se plaignant de travaux «inappropriés» ou de la «trop longue attente» des opérations de restauration de leurs maisons menaçant d'engloutir leurs occupants à tout moment. Quelque 600 maisons, éligibles à la restauration, résistent tant bien que mal aux affres du temps, en attendant des travaux annoncés qui «se font attendre faute de vision, de moyens humains et de coopération multisectorielle», expliquent des architectes, deux ans après l'adoption en mars 2012 du Plan permanent de sauvegarde de la Casbah d'Alger. L'attribution, en 2013, d'une première enveloppe financière de 27 milliards de dinars avait nourri les espoirs, vite évaporés, des habitants qui regardent leurs maisons «dépérir de jour en jour», rongées qu'elles sont par un «mal à l'issue fatale», finissent par lâcher les plus optimistes d'entre eux. Pour compléter ce tableau sombre, les quelque 400 parcelles vides (17% du parc immobilier de la cité) et les 120 bâtisses en ruine, menacent aujourd'hui la solidité de l'ensemble de ce tissu urbain pour lequel aucune mesure urgente ne semble être décidée, à l'exception d'une cinquantaine de parcelles «bientôt reconstruites en priorité», selon le directeur de l'Ogebc, Abdelwahab Zekagh lors d'un entretien avec l'APS. Au plan administratif, les habitants se sont retrouvés «ballottés» entre l'Ogebc et l'Agence nationale des secteurs sauvegardés (Anss), un organisme non encore opérationnel. C'est que le relogement définitif ou temporaire des habitants de la Casbah entrave sérieusement la restauration des bâtisses, légalement occupées ou squattées mais devant être évacuées, dépend d'une commission mixte du ministère de la Culture et de la wilaya d'Alger qui entend réétudier les dossiers. Rencontrés au siège de l'Ogebc, des habitants de la Casbah, lassés par cette situation, refusent de «renouveler (leurs) doléances auprès d'une succession d'offices et d'institutions», ressassant inlassablement leurs déboires et exigeant un «avancement concret» des travaux de restauration. La propriétaire d'une maison à moitié effondrée maintenant, s'est résolue, de guerre lasse, à vendre son bien à un repreneur -«privé» précise-t-elle «pour ne pas avoir à la brader», les prix proposés au rachat par l'Etat étant «dérisoires par rapport au marché de l'immobilier» de l'heure surtout au coeur de la capitale. Entre-temps, les douirates de la Casbah continuent de reposer, pour les plus chanceuses, sur des poutres d'étaiement en bois, autant de «béquilles» rongées par l'humidité. Le constat est manifeste et se résume à ceci: chaque jour, des amas de gravats de maisons «fraîchement» effondrées viennent obstruer un peu plus le dédale des venelles pavées de la cité où les habitants ont perdu leurs repères. L'autre obstacle de taille à l'application du Plan de sauvegarde qui devait être entamée dès 2012 réside dans l'absence d'architectes, restaurateurs et d'experts en monuments historiques, deux spécialités que n'assurent ni l'université ni les centres de formation professionnelle. Rappelons que ce sont des Italiens qui avaient restauré le merveilleux site du Palais des Raïs» alias «Bastion 23». Les palais de la basse Casbah, déjà restaurés, témoignent, s'il en est, des «insuffisances techniques et du manque de savoir-faire dans ce domaine», des nationaux, relèvent historiens et archéologues. Restaurés il y a moins de dix ans, ces palais, transformés en sièges d'administration pour certains, présentent déjà des signes de fragilité apparents, sans parler de l'esthétique ou de finitions, pas toujours réussies. Plus ambitieux, d'autres travaux, délicats, sur les infrastructures comme la voirie, le système d'assainissement ou l'alimentation en eau potable et en énergie, sont encore au stade de l'étude. Prévus par le Plan de sauvegarde, ils relèvent presque de l'impossible pour les habitants de la Casbah d'Alger, échaudés qu'ils sont par les expériences passées, dont aucune n'a pu, pour l'heure, sauver leur cité d'un déclin inexorable.