Liberté, folie et spiritualité, tels seraient les trois mots clefs qui pourraient résumer la magie de ces trois nuits du festival initié par le génial collectif 33 Tours... Après s'être éclatés mardi dernier sur les notes gnawies-chaâbies rock d'Index, c'est un cru venu spécialement du terroir du Sud-Ouest algérien, plus particulièrement de Béchar, qui nous a été offert mercredi dernier. Une assemblée de sept déjantés musiciens qui ont noyé d'emblée la salle Ibn Zeydoun dans un délire indescriptible. «Au début, c'était juste un rassemblement entre copains autour de la musique. Ce n'est que depuis 3 ou 4 ans qu'on tourne comme un groupe constitué: le diwan Béchar.»Par définition, le diwan est une gaâda conviviale où les personnes, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes de toute condition ou origine se retrouvent autour de la musique et sont conviées à la danse. Empreinte de culture berbère, arabe et africaine, la musique de diwan Béchar s'est ouverte aujourd'hui à d'autres musiques d'Afrique et d'Amérique mêlant différentes sonorités telles que celles du banjo, du luth, de la guitare, du mandole, de la basse, du gumbri, «basse douce», et du kearkabou bien sûr, sans quoi la magie ne peut s'opérer. «A travers nos musiques on essaye de montrer qu'au Maghreb, il y a un héritage africain qui est très fort. On essaye de puiser dans ce patrimoine-là pour le partager avec des gens qui veulent bien nous écouter», nous dira un des musiciens de Gaâda. Ensorcelante leur musique car divinement envoûtante et spirituelle, elle puise son répertoire essentiellement dans le sacré, le profane, l'amour de Dieu ou l'amour tout court... Le public, lui, l'a ressentie au plus profond de lui-même en étant en parfaite communion avec le groupe. «On a l'habitude du public européen, mais le public algérien est irremplaçable, parce qu'il y a un feeling naturel qui s'opère», dit le musicien de Gaâda. «Le public fait le concert avec nous», soutient-il. C'est la deuxième fois que le groupe se produit en Algérie. «On est déjà venu l'année dernière. C'était furtif, aussi on n'en garde pas un souvenir aussi marqué que celui-ci. Là franchement, Bledstock et le public, yatihoum essaha!» Se produisant à guichets fermés, la salle Ibn Zeydoun a failli s'embraser tant le délire était à son paroxysme. Musicalement le groupe refuse de se faire coller une étiquette. Pour lui, «il n'y a pas de musique traditionnelle ou moderne, il y a que de bons ou de mauvais musiciens». Et l'engouement du public pour leur musique est amplement significatif. Et «l'âme généreuse» ne s'arrête pas là puisque jeudi soir cela repart de plus belle avec «l'artiste» qui incarne le plus, «humour, intelligence et décibels», à savoir Hocine Boukella alias Alho Himself figure de proue du groupe Cheikh Sidi Bémol. Ce dernier, biologiste de formation, a préféré s'adonner à ses deux passions: le dessin et la musique. C'est ainsi qu'il fonde son groupe au nom déjà délirant et décalé à la fois. Il publie trois recueils de dessins, participe en tant que graphiste, parolier ou musicien à divers albums (Youcef, Gnawa diffusion, ONB, Djamel Laroussi, Takfarinas) et c'est en 1998 qu'il enregistre son premier album intitulé simplement Cheikh Sidi Bémol. Avec le guitariste Khelif Miziallaoua, il se fait aider par le batteur de génie Karim Ziad et s'entoure d'amis musiciens pour le réaliser, notamment Amazigh Kateb (leader de Gnawa diffusion). De cet album conçu comme une oeuvre dédiée à l'Algérie, Alho a chanté mercredi soir, certains de ses morceaux, aux textes, ô combien profonds, d'où ce quasi-silence qui régnait par moment dans la salle, sonnant ainsi, comme une prière pour une Algérie paisible et réconciliée ou encore cette chanson qui dit la souffrance des déracinés, Salim Aïssa. Outre le rock, raï et quelques sonorités bédouines, les notes bleues du jazz et la touche bloosy sont indéniablement omniprésentes, grâce à ce génie multi instrumentaliste Manu Le Houezec qui excelle à manier tour à tour trompette, clarinette, saxo et flûte. Ce remarquable musicien aux pieds nus est également un étonnant «personnage» qui sait communiquer avec le public. Ces airs lyriques qui s'élèvent de ses instruments sont un régal pour nos oreilles, qui nous mettent véritablement du baume au coeur. Et la cadence devenant des plus frénétiques, c'est sous un rythme de musique celtique que le public se déchaînera. Preuve s'il en est que quand la musique est bonne, vous touche, vous pénètre et vous émeut, elle n'a pas besoin de frontière ni de langue pour être comprise, seule cette force d'énergie qu'elle transmet compte! Dans un tout autre registre, Alho s'interrogera dans Bn'at el luxe comment aimer les femmes quand on n'a pas d'argent, pas de voiture, pas d'appart... Ceci dit Makane oualou kheir mellamour, scande-t-il à tue-tête en totale communion avec le public. Ce dernier est mis sous les «feux des projecteurs». Et la suite s'enchaîne à fort caractère humoristique décliné sur un ton rock, tantôt belda, 100% dialna dans Elle m'a trompé, un rock «percussif» dans Salima et sur un fond oriental avec Ya Ali ! Il est à noter que le public connaît les paroles par coeur. Koulina est un clin d'oeil que renvoie Alho à son frère Youcef de l'ONB dont un des albums s'appelle Poulina. Après la pause traditionnelle, c'est avec quelques notes de chaâbi qu'on relancera la fête. Sur un ton celto kabyle, lent, captivant, Alho nous fait voyager à travers les monts du Djurdjura. Ses musiciens s'appellent Abdenour Djemaï (guitariste, auteur, compositeur et chanteur), Hervé Le Bouché, batteur, Hichem Takaoute à la basse, Emmanuel Le Houezec au saxo, flûte et Amar Mouhamdi à la percussion. Ces derniers, nous informe Alho, possèdent leur propre groupe. Il s'appelle Zalamite. Comme son nom l'indique, ce dernier mettra le feu à la poudrière de la salle Ibn Zeydoun. Le groupe se laissera porter allègrement dès les premières notes notamment reggamuffin dans Akhouya ani djiân, un titre qui sortira en single le mois prochain. Ambiance électrique mêlée à du tempo africain. Une suite toute trouvée pour louer Fatma Legnaouia. Après un solo de guitare des plus saisissants, Alho entonne Esfina hahi djat puis Nhab gheir hiya. Surprise générale ! Lotfi, ex-leader de Raïna Rai entre sur scène pour un duel de guitares sur fond de rock gnawi. Il interprète Alatif avant que Samira, munie du karkabou, ne vienne se joindre à eux. Et c'est un dialogue électrique sans fin qui prend corps, des phrasés à n'en pas finir. Le flux mélodique qui émane de ces guitares nous mène au sommet du plaisir... L'ensemble des musiciens arrive sur scène pour un ultime tête-à-tête avec son public qui l'a soutenu et encouragé trois nuits durant. Et le générique de fin tombe, hélas, sur ce merveilleux festival, troisième du genre qui a prouvé qu'on pouvait «aimer son pays et la musique autrement». A propos de ce formidable public, Cheikh Sidi Bémol nous confiera: «L'année passée, c'était une très bonne surprise. Je ne m'attendais pas à ce que le public adore à ce point ma musique. Aujourd'hui, cette surprise est multipliée par dix. Je m'aperçois que c'est un public très sympathique qui, visiblement, adore ce qu'on fait. Ça me fait réellement plaisir. Mon souhait serait donc de revenir le plus vite possible.» Liberté, folie et spiritualité, tels seraient les trois mots clefs qui pourraient résumer la magie de ces trois nuits du festival, initié par le génial collectif 33 Tours!