Abaour Makhlouf à gauche, le capitaine Cheikh Youcef Yalaoui et Khelil Amrane à droite C'est un devoir pour nous tous, en tant qu'anciens compagnons, de leur rendre hommage, de les faire connaître aux jeunes générations et de se rendre compte de la grandeur de leur sacrifice. A l'occasion du 58ème anniversaire du déclenchement de la grève des étudiants algériens du 19 mai 1956, qu'il me soit permis, en tant qu'ancien moudjahid et ancien étudiant, d'apporter ici mon témoignage sur ce grand événement. Effectivement, de nombreux étudiants ont été à nos côtés dans le combat libérateur et ils sont tombés à nos côtés. C'est pour cela que nous tenons à apporter un témoignage vivant sur ces jeunes héros tombés à la fleur de l'âge. C'est un devoir pour nous tous, en tant qu'anciens compagnons, de leur rendre hommage, de les faire connaître aux jeunes générations et de se rendre compte de la grandeur de leur sacrifice. Ces jeunes étudiants qui ont rejoint massivement les maquis, faisaient partie de l'élite du pays. Pour eux, leur avenir était en principe assuré grâce à leur instruction et leurs diplômes; ils pouvaient facilement obtenir des postes dans l'administration française, mais ils ont refusé. Au moment où le peuple algérien se faisait massacrer par l'armée coloniale et au moment où leurs frères moudjahidine menaient de rudes combats contre l'occupant, dans les montagnes et les villes, ils ont décidé de renoncer à poursuivre leurs études et ont déserté les bancs des facultés et des lycées. Leur conscience ne leur a pas permis de se désolidariser du peuple. Ils étaient mûrs politiquement et nourrissaient une haine contre l'ennemi, car c'était dans le berceau que nos familles nous apprenaient à connaître l'ennemi. Ils ont refusé des bourses qui leur étaient offertes pour partir en France, afin de continuer leurs études et de les éloigner de la guerre de Libération. Ils ont refusé des diplômes dans une Algérie en guerre contre le colonialisme. L'avenir de chaque jeune se trouvait au maquis; cet avenir était lié à celui du peuple. Il fallait donc répondre à l'appel de la nation. Ils entendaient, du fond des montagnes, l'appel sourd d'un peuple qu'on assassine. Les étudiants ne pouvaient rester indifférents à ce qui se passait dans leur pays. A leur retour au collège, les élèves se retrouveront en petits groupes pour un échange d'informations: chacun racontera ce qu'il a vu, sur les responsables de moudjahidine, les groupes de moudjahidine, la description des armes, les massacres perpétrés par les soldats français, l'ambiance de guerre dans leurs villages, etc.. C'était une occasion également pour distribuer des tracts du FLN et de les commenter. Les élèves du collège moderne de Bougie étaient originaires de Jijel, Kherrata, Amizour, Sidi-Aïch, Akbou, Toudja, El-Kseur, c'est à dire les deux wilayas actuelles de Béjaïa et Jijel. Ils se sont imprégnés de l'ambiance de la guerre de Libération. Pendant les week-ends et les vacances scolaires, de nombreux étudiants se trouveront face à la réalité, à savoir qu'ils étaient en contact avec les moudjahidine et furent confrontés à des ratissages et seront visés par l'ennemi, en leur qualité d'étudiants. C'est alors que certains seront assassinés par les soldats français, comme Djaâfer Saadi de Sidi-Aïch, Brahmi Madjid de Toudja, Benzerdjeb de Tlemcen, Bouraoui de Djidjelli etc... Devant cet état de guerre, l'Ugema avait décidé le 19 mai 1956 du déclenchement d'une grève générale. Dans un tract diffusé à cet effet, il était écrit entre autres: «Nos diplômes ne feront pas de nous de meilleurs cadavres.» Les étudiants et lycéens ont rejoint les maquis dans leur grande majorité. Les moudjahidine et les responsables qui étaient des fellahs étaient en grande partie illettrés; ils se sont trouvés face à de jeunes instruits qui seront utilisés dans plusieurs domaines: secrétaires dans les P.C de secteur, de région, de zone, de wilaya, secrétaires des responsables politiques, militaires, intendance etc.., Au niveau de la Wilaya III, historique la rédaction de tous les documents se faisait en français. Plusieurs de ces étudiants seront affectés dans les unités combattantes pour recevoir le baptême du feu, alors que d'autres seront recrutés comme secrétaires auprès des responsables et des P.C. Quelques-uns seront envoyés à l'éxtérieur pour former les cadres de l'Algérie de demain. Ils rentreront au pays après l'indépendance munis de diplômes. Certains seront des ministres, et de hauts cadres de l'Etat et de l'administration. Il faut signaler que le colonel Amirouche, contrairement aux informations qui ont circulé du fait de l'ennemi, a toujours protégé et a promu les jeunes lycéens et étudiants à des postes de responsabilité. Il aimait s'entourer de ces jeunes intellectuels pour les former, participer à leur éducation et les préparer à des postes de responsabilité. En premier lieu, il s'est entouré d'une équipe au niveau du P.C. de wilaya pour s'occuper de la presse, de la propagande, de la préparation des divers rapports. L'ALN possédait sa propre administration. Ce sont ces étudiants qui seront chargés d'assurer ce travail. Au niveau du P.C. de wilaya, nous pouvons citer Tahar Amirouchen, Aïssani Md Saïd, licencié en lettres, Smaïl Amyoud, professeur d'arabe au lycée de Béjaïa, Abdellatif Amrane, licencié en droit, responsable de wilaya de l'Ugta, son frère Khelil Amrane, dit Si Ali, responsable sanitaire, Hamel Lamara, ancien directeur d'école, Mokraoui Md Rachid, le Dr Ahmed Benabid, responsable sanitaire de la Wilaya III, son cousin Youcef Benabid, avocat depuis les années 1948, Ferhani Abdenour etc... La présence de ces étudiants dans les maquis a changé la mentalité au sein des structures du F.L.N et de l'A.L.N. et élevé le niveau culturel. Il s'agit par exemple de la lecture et des commentaires de la presse, de l'élaboration des analyses politiques qui sont reprises dans des tracts, des notes de service, de la rédaction du courrier, de la confection des divers rapports mensuels et trimestriels... Après une période d'adaptation, de nombreux étudiants ont été promus au grade d'aspirant, comme Imadali Larbi, Benmouffok Mouloud, les frères Amrane Abdellatif et Khelil, Amzar Bachir, Mekrez Makhlouf, Mokraoui Md Rachid, Belloul Madjid, Amezrar Larbi, etc... Il faut rappeler que ces jeunes lycéens venaient du collège moderne de Béjaïa pour une soixantaine d'entre eux, celui de Tizi Ouzou avec 56 lycéens, le lycée Albertini de Sétif et d'autres établissements d'Alger. Nous aurions voulu citer leurs noms à titre d'hommage, mais hélas, la liste est trop longue pour faire l'objet d'une publication. En effet, ils sont pour la plupart tombés au champ d'honneur. Aujourd'hui où l'Algérie commémore leur souvenir, il nous appartient à tous de perpétuer leur mémoire.