«Gai, gai comme un pinson! Mais un pinson n'est pas gai! Il est seulement gai quand il est gai ou triste quand il est triste. Ou ni gai ni triste.» J. Prévert Longtemps avant d'être mis en présence des fables de La Fontaine et plus longtemps encore avant de connaître les perspicaces observations de Charles Darwin, les enfants que nous étions, avions déjà écouté beaucoup d'histoires racontées au coin du feu pendant les longues soirées d'hiver, avant que la télévision ne vienne briser le cercle familial. Tous les animaux qui nous étaient familiers avaient un rôle dans ces histoires édifiantes. Dans les systèmes politiques et les régimes à la censure pesante et impitoyable, les artistes, peintres et écrivains ont recours le plus souvent à représenter les cibles de leurs critiques par des animaux sauvages ou domestiques. Ce subterfuge, hélas, ne les met pas toujours hors d'atteinte des griffes des puissants (déjà, l'emploi du mot griffes est une référence à l'animalité de certains). C'est ainsi que certains fabulistes ont fait des carrières prodigieuses et leurs oeuvres ont traversé les âges sans perdre de leur fraîcheur et de leur pédagogie. Ainsi, les caractères des divers animaux sont empruntés pour illustrer ceux des hommes. La majesté, la noblesse et la puissance du lion s'appliquent parfaitement à l'absolutisme royal d'un monarque vénéré et craint. La lourdeur d'un éléphant ou le mauvais caractère de l'ours collent si bien aux personnages lourdauds, maladroits ou grincheux. La ruse du renard est proverbiale (quand on n'a pas la force, il vaut mieux être rusé) et elle dépeint parfaitement les détours d'une pensée maligne et perverse, comme celle des hommes politiques. Chez nous, c'est le chacal qui emprunte les qualités du renard. Les entourloupes, les magouilles sont le menu quotidien de ce modeste carnassier que sa proximité a rendu familier:ces glapissements ou ses ricanements sont diversement interprétés par une population superstitieuse. La férocité, l'acharnement, le manque de pitié, le courage sont l'apanage du loup. L'homme d'affaires à l'affût d'une bonne occasion est dépeint comme un vautour alors que ceux qui se disputent les oripeaux des sociétés nationales déstructurées et restructurées sont comparés à des charognards. La bêtise, elle, s'incarne dans le bouc et le corbeau alors que la malice est symbolisée par le singe ou le rat. La sagesse, de même que l'innocence, la candeur sont chez l'agneau, le bavardage inutile chez la pie, l'instabilité chez le papillon... La liste est longue et tous les fabulistes, selon le pays où ils ont vécu, ont utilisé ce riche bestiaire. Dans le pouvoir français, dans la tourmente, tous ces noms de bêtes ont été cités. Chaque poète ou fabuliste utilise selon les buts qu'il veut atteindre les qualités que la tradition, orale ou écrite a collé à la peau ou aux plumes de nos amis que l'on dit bêtes. Le corbeau, loin d'incarner la bêtise ou la fatuité comme dans la célèbre fable de La Fontaine, désigne l'expéditeur de messages et de lettres anonymes. Ce procédé très utilisé dans les petites villes où tout le monde se connaît, tend à dénoncer les comportements immoraux ou malhonnêtes de certains citoyens. Cela crée en général une atmosphère malsaine, lourde de suspicions qui met tout le monde dans la gêne. Mais de tous les animaux auxquels on peut comparer les êtres humains, le plus louable est certainement l'abeille, ouvrière, diligente et infatigable. C'est dire toute l'intelligence des Soeurs Blanches, missionnaires en Algérie, qui ont fondé une large communauté féminine qui s'est exprimée dans les langues berbère et française, «La Ruche de Kabylie». Les jeunes filles prises en charge par ces missionnaires qui ont cherché à adoucir la misère d'une population qu'on impute au colonialisme, ont effectué un travail important dans la conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel national.