Tout ça, pour ça! Une parenthèse sanglante et dramatique de trois ans, qui a plongé l'Egypte dans le chaos et l'effondrement économique, pour revenir à la case départ et le retour aux affaires des militaires. C'est, en tout en état de cause, ce qui ressort de la présidentielle égyptienne, qui remet les choses «à l'endroit». L'élection du maréchal à la retraite, Abdel Fatah al-Sissi, nouvel «homme fort» de l'Egypte, était dans l'ordre des choses. Elle ne suscite et ne devrait susciter aucune surprise, tant il était patent que tout autre résultat aurait relevé du miracle. Et comme en politique le prodige ne peut avoir de place, al-Sissi - qui avait pris date - ne pouvait, dans tous les cas de figure, être inquiété par un Hamdeen Sabbahi qui s'est fourvoyé dans un jeu hors de sa catégorie, voire de sa compréhension. A tout le moins, la présence de ce «challenger» donnait un soupçon de crédibilité et de «compétition» à un scrutin déjà ficelé. Pour faire bonne mesure, al-Sissi «écrase» de sa puissance (96% des voix) le pauvre Sabbahi «crédité» d'un insignifiant 3, 65% des suffrages. Cela pour rester dans le formel: une élection avec un vainqueur et un vaincu. Dans les faits, ce scrutin était superfétatoire et n'avait aucune signification politique dans un pays dirigé depuis le 3 juillet 2013 d'une main de fer par le maréchal al-Sissi qui déposa l'islamiste Mohamed Morsi, premier président civil élu démocratiquement en Egypte. Cela, nonobstant la direction que Mohamed Morsi donna ensuite à son exercice d'un pouvoir nimbé d'islamisme. Or, Morsi, par ses décisions plutôt brutales, fit peur à la population égyptienne - même à ceux qui n'avaient pas d'a priori sur sa qualité d'islamiste - et donna aux militaires l'occasion qu'ils attendaient pour se remettre en selle. Sous la poigne de fer d'un Sissi - qui saisit la chance qui s'offrait à lui et à l'armée - revanchard, les choses prirent rapidement l'allure d'une épuration à grande échelle avec la décapitation de la confrérie des Frères musulmans, des milliers d'arrestations et des condamnations à mort de leurs partisans dans des procès de masse expéditifs, que même les tribunaux de Prague de la grande période communiste n'avaient osé entreprendre. Sissi et sa justice l'ont fait. Adulé par des médias envoûtés, le retraité de l'armée, Abdel Fatah al-Sissi, joua alors le rôle des redresseurs de tort, un Robin des Bois égyptien galonné, face à des «masses populaires» énamourées qui demandent à être soumises. Aussi, pour faire bonne mesure et dissiper tout malentendu, al-Sissi mit rapidement les points sur les «i»: la démocratie n'est pas pour l'Egypte! On ne peut dire qu'il cacha son jeu, il joua cartes sur table disant nettement aux Egyptiens ce qui les attend: le pouvoir c'est lui et c'est lui uniquement qui décidera de ce qui est bon ou non pour l'Egypte et les Egyptiens. Sans broncher et fort du blanc seing que lui «donnèrent» le peuple et les médias, al-Sissi pouvait alors assurer: l'Egypte «ne sera pas prête pour la vraie démocratie avant 20 ou 25 ans». Ce qui semble rendre heureux ses laudateurs qui affirment en choeur «l'Egypte n'est pas prête pour la démocratie». Une antienne déjà défendue par Moubarak, al-Sadate et Nasser, tous issus, faut-il le souligner, des rangs de l'armée. Al-Sissi se voit ainsi, président pour au moins 20-25 ans, jusqu'en 2040 et gageons que le militaire qui lui succédera reprendra à son compte le même refrain. L'Egypte qui n'est pas prête pour la démocratie, n'est surtout pas sortie de l'auberge. Il est vrai que Hosni Moubarak, qui n'a pas été tendre avec son peuple, affirma à qui voulait l'entendre, qu'il savait mieux que quiconque ce que «voulait» son peuple, s'inscrivant en faux contre le projet du Grand Moyen-Orient initié dans les années 2000 par le président américain, George W. Bush. A la réflexion, et au regard du plébiscite accordé à Abdel Fatah al-Sissi, sachant que celui-ci ne lâchera plus le pouvoir et surtout après sa profession de foi quant à la capacité des Egyptiens à vivre en démocratie, il faut croire que les militaires égyptiens sont dans le vrai: leur peuple n'est heureux qu'en étant sous le joug de la dictature. Notons, ce qui ajoute à la démission collective du peuple égyptien, que le maréchal à la retraite Abdel Fatah al-Sissi «s'est abstenu de faire campagne lors de la présidentielle qui le porta à la tête de l'Etat». Ce qui ne l'empêcha pas d'obtenir le plébiscite qu'il réclamait. En réalité, il n'y a pas de quoi s'étonner, c'est un procédé désormais bien huilé dans le Monde arabe. D'autres l'ont précédé et mis le processus au point. Le monde dit arabe est la seule région au monde qui répudie aussi ostensiblement l'alternance au pouvoir.