La démission jeudi du directeur de la CIA induit une nouvelle étape dans la crise qui frappe le renseignement américain depuis l'attaque du WTC. Un pavé dans la mare, tel apparaît la démission, jeudi, de George Tenet, directeur de la CIA - l'agence américaine du renseignement - pour «des raisons personnelles». C'est plausible, certes, mais il certain que l'addition des erreurs, des défaillances constatées dans les services américains du renseignement, plus singulièrement à la CIA, semblent avoir précipité un départ plus ou moins attendu eu égard aux défaites monumentales du renseignement (extérieur) américain notamment dans les affaires des attentats anti-américains du 11 septembre 2001 et, plus généralement, les fausses informations données sur la détention par l'Irak d'armes de destruction massive (ADM). Armes dont les forces de la coalition, qui occupent l'Irak depuis plus d'un an, n'ont encore trouvé aucune trace. L'Irak, où les ADM irakiennes, n'ont été, à tout le moins, que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Car en fait la faillite du renseignement américain en général, de la CIA en particulier, est bien antérieur à cet échec et remonte à plus loin encore, de fait à l'affaire afghane et l'alliance conclue entre la centrale américaine et Oussama Ben Laden, qui a été l'une des clés de voûte de la lutte, indirecte, ayant opposé Américains et Soviétiques en Afghanistan. Les «moudjahidin» afghans, armés et entraînés par la CIA, financés par Ben Laden sont un des exemples de cette coalition contre-nature scellée entre deux partenaires que tout en fait opposait. Les retombées de cette entente, le terrorisme, ont été néfastes pour le monde et pour l'Amérique. En fait, George Tenet, en tant que directeur de la CIA avait autorité sur une nébuleuse de divers services de renseignements, parfois se chevauchant, parfois se croisant, dépendant pour nombre d'entre eux du Pentagone et de certains ministères, alors que la CIA elle-même, service du contre-espionnage extérieur, relève du département d'Etat. En fait, après qu'eut éclaté la scandale des défaillances des services de renseignement en Irak, quand il apparut que les ADM irakiennes n'existaient pas, d'aucuns se demandaient alors comment ce vaste réseau du renseignement, le plus étendu et le plus sophistiqué du monde, a pu se tromper aussi gravement. George Tenet, lui-même, a admis en février dernier, lorsque la CIA s'est trouvée dans le collimateur de plusieurs enquêtes (dont celle conduite par une commission indépendante et dont les résultats seront connus dans les prochains mois), suite aux nombreuses défaillances constatées, qu'il y a eu des lacunes dans «le rassemblement d'informations sur l'Irak d'avant-guerre». Ce qui fit dire à une ancienne responsable du renseignement que l'échec de l'Irak illustre en fait «l'effondrement total, ces dix dernières années, des capacités analytiques du renseignement». Pour sa part, un autre ancien responsable de la lutte anti-terroriste à la CIA avait alors estimé qu'«admettre que des informations erronées, issues de services de renseignement étrangers, ont trouvé leur place dans le rapport de la CIA, c'est très grave». Autant dire que la CIA avait fait tout faux ces dernières années, en favorisant, quoique indirectement, la mise sur pied de la nébuleuse d'Al-Qaîda de Ben Laden en fermant les yeux sur ses activités subversives - tant que celui-ci et celle-ci servaient les intérêts américains - en ne sachant pas prévenir la catastrophe de New York et la destruction des tours jumelles du World Trade Center (WTC), et pour finir la faillite en Irak, pour ne retenir que les principaux griefs, qui ne sont en fait que le haut de l'iceberg, faits à la centrale du renseignement. Ce qui montre en fait les limites de l'action des renseignements lesquels restent tributaire d'une part du facteur «humain» souvent indisponible, soit, ce qui est encore plus pernicieux, manipulateur, d'autre part. Cela semble avoir été le cas dans la prétendue possession d'ADM par l'Irak, idée qu'ont fait circuler à Washington les opposants au régime de Saddam Hussein, tel Ahmed Chalabi, ex-protégé du Pentagone en rupture avec ses anciens bienfaiteurs américains. Il est évident toutefois que la démission du directeur de la CIA n'a pas donné tous ses tenants et aboutissants et les hypothèses sont nombreuses sur les fondements d'un renoncement qui n'est pas seulement d'ordre familial comme veut le faire croire George Tenet. De fait cette renonciation de M.Tenet risque d'avoir des retombées négatives sur la campagne électorale présidentielle du président Bush en danger d'essuyer les dégâts collatéraux de la défaillance et du peu de fiabilité qu'ont montré les services de renseignement censés veiller au bien-être des Américains. D'ailleurs, George W.Bush, qui a entamé jeudi une tournée européenne, a commenté discrètement cette démission indiquant : «Il m'a dit (M.Tenet) qu'il démissionnait pour des raisons personnelles, je lui ai dit que j'étais désolé de le voir partir. Il a fait du superbe travail au nom du peuple américain. J'ai accepté sa démission.» De fait, la démission du directeur de la CIA, nommé en juillet 1997 par le président démocrate Bill Clinton, va sans doute précipiter une refonte de fond en comble du renseignement comme l'exigeait le Congrès de même que John Kerry, le candidat démocrate à l'élection présidentielle du 2 novembre prochain, qui a souligné hier la nécessité «d'une réorganisation de la communauté du renseignement», car, indique-t-il «il y eu des échecs importants, et l'administration doit en accepter la responsabilité».