L'enlèvement, en Irak, de 80 Turcs par les combattants du groupe radical sunnite de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), a réveillé la polémique sur les liens présumés de la Turquie avec certains groupes rebelles jihadistes. L'enlèvement des chauffeurs turcs et du personnel du consulat de Turquie, à Mossoul (environ 80 citoyens turcs), a provoqué un malaise à Ankara, aussi bien au sein du gouvernement que de l'opposition, qui dénonce les liens entretenus par l'Etat turc avec les factions jihadistes et islamistes en Syrie et en Irak. Le régime du Premier ministre islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a toujours nié avoir mis en place par le biais de ses très loyaux services de renseignements (MIT) une alliance tacite avec ces extrémistes à l'ennemi commun: Le régime du président syrien Bechar al-Assad. Aujourd'hui cette alliance sunnite s'est retournée contre la Turquie, membre de l'Otan, menaçant sa sécurité. «Nous avons tous vu les photos dans la presse d'hommes barbus portant des armes, traités dans des hôpitaux du sud de la Turquie depuis le début du conflit en Syrie. Mais le gouvernement est toujours resté muet sur ses relations avec les groupes islamistes», souligne Serkan Demirtas, chef de bureau du journal Hürriyet Daily News. «La Turquie paye le prix de sa collaboration avec des terroristes et sans doute d'une erreur d'appréciation de la situation», estime l'éditorialiste. Un confrère du quotidien libéral Radikal, est du même avis, à savoir qu'il s'agit d'une «grosse erreur de jugement politique». «Après le retour du personnel diplomatique il faudrait évidemment analyser les lacunes en matière de renseignement et du politique» suivi par Ankara en Irak et Syrie, estime Özgür Mumcu. L'armée a pour sa part démenti hier une information parue vendredi dans la presse d'opposition affirmant que des officiers turcs avaient entraîné les rebelles ce l'EIIL en Irak. «Cette information est dénuée de tout fondement», souligne un communiqué de l'état-major. La presse turque a dans la foulée fait état d'une circulaire diffusée l'an dernier dans laquelle le ministre de l'Intérieur de l'époque, Muammer Güler, recommanderait d'offrir hébergement et assistance aux jihadistes du Front al Nosra en Turquie. La justice turque s'est saisie de cette affaire et a lancé une enquête judiciaire sur l'authenticité de ce document qui pourrait faire des remous dans la classe politique. Sous la pression internationale, et probablement conscient de la menace que ces organisations représentaient pour sa propre sécurité, Ankara a finalement inscrit début juin l'EIIL et le Front al Nosra sur la liste des organisations terroristes. Ont immédiatement suivi les prises d'otages à Mossoul, surprenant le gouvernement d'Erdogan pris au dépourvu et faisant fuser des questions dans la tête des commentateurs: Est-ce une mesure de rétorsion? Le gouvernement, qui a privilégié la voie des négociations à l'option militaire, est critiqué depuis avec véhémence par l'opposition parlementaire qui réclame en premier la tête du chef de la diplomatie Ahmet Davutoglu. Celui-ci est l'architecte d'une politique étrangère active dans les Balkans, en Méditerranée orientale ou dans le monde arabe, souvent perçue comme «néo-ottomane». «C'est le peuple qui décidera» a rétorqué le ministre à des journalistes qui l'interrogeaient jeudi à l'issue d'une rencontre avec la direction du principal parti d'opposition social-démocrate (CHP, parti républicain du peuple) qui lui a vertement demandé de démissionner. «Si la démocratie existe dans ce pays, Erdogan ou son ministre Davutoglu doivent immédiatement démissionner et payer la facture de ce fiasco», a indiqué un député de cette formation, Mahmut Tanal.