Ankara est-il en train de réviser ses liaisons dangereuses avec la rébellion djihadiste syrienne ? La Turquie a réévalué sa politique pour ne pas endommager ses relations avec ses alliés, mais surtout de crainte de devenir elle-même une cible des djihadistes. L'affaire des deux pilotes turcs libérés en début de semaine après plus de deux mois de détention au Liban a fait réfléchir le Premier ministre islamiste turc dont les liens étroits avec des groupes extrémistes hostiles au régime de Bachar al-Assad, ont suscité la réprobation de son allié américain depuis que celui-ci a repris le dossier syrien en main avec les Russes, alliés de Damas. Les deux pilotes de la compagnie Turkish Airlines avaient été libérés en vertu d'un échange complexe, qui a vu le retour quasi simultané à Beyrouth de neuf pèlerins libanais de confession chiite détenus pendant ait dix-sept mois par des rebelles syriens. Leur ravisseurs libanais avaient expliqué avoir voulu, avec ce double rapt, contraindre Ankara, soutien inconditionnel des adversaires de Bachar el-Assad, à faire pression sur le groupe syrien islamiste qui détenait les neuf Libanais. Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, s'est félicité de sa médiation réussie, soulignant surtout que ce succès prouve une fois de plus l'importance régionale de la Turquie. Ce qui n'est pas faux s'agissant du rôle de la Turquie dans le développement de la rébellion syrienne et le renforcement de ses parties islamistes qui ont par ailleurs fini par prendre le dessus sur l'opposition républicaine réduite aujourd'hui à sa représentation à l'étranger. En fait, les prises d'otages des pilotes turcs et des pèlerins libanais chiites visaient directement le jeu dangereux joué par le Premier ministre turc, qui a soutenu les groupes syriens djihadistes en favorisant également leur approvisionnement en armes, argent et vivres fournis par l'Arabie Saoudite et le Qatar. Recep Tayyip Erdogan avait également parié sur une chute rapide du régime de Damas, avec lequel il avait pourtant fait les meilleures affaires économiques. Le boom de la Turquie est en partie dû au marché syrien qui lui avait également ouvert des portes dans le monde arabe. Il faut dire qu'à la naissance du "printemps de Damas", la Turquie de l'AKP (parti islamiste d'Erdogan) se voyait vraiment comme le modèle dans le monde musulman. Longtemps allié de Bachar al-Assad au nom de la politique dite du "zéro problème avec les voisins", Erdogan a depuis fait volte-face pour devenir l'un des plus fervents partisans des rebelles qui ont juré la perte du président syrien. Non seulement la prévision s'est révélé fausse avec notamment la chute de l'islamisme politique en Egypte et son confinement en Tunisie, la mère des printemps arabes, mais aussi les Turcs se sont rendu compte que ceux qu'ils ont armés peuvent leur causer des problèmes. En effet, Jabhat al-Nosra et l'Etat islamique de l'Irak et du Levant (EIIL), affiliés à Al-Qaïda, ont vite dévoilé leurs ambitions : chasser Bachar al-Assad et utiliser la Syrie comme plateforme pour la propagation de leur djihad à l'échelle de toute la région et barrer ainsi la route au chiisme. D'où d'ailleurs le soutien de l'Arabie Saoudite et du Qatar. En septembre, le coprésident du Parti kurde de la paix et de la démocratie (BDP) Selahattin Demirtas a dénoncé le soutien d'Ankara aux activistes d'EIIL et d'al-Nosra dans les combats qui les ont opposés aux milices kurdes syriennes dans le nord de la Syrie. Au début du mois, c'était au tour de l'ONG Human Rights Watch de mettre en cause la tolérance dont a fait preuve la Turquie à l'endroit des groupes djihadistes accusés d'avoir exécuté près de 70 civils début août en Syrie dans des villages alaouites. "Notre politique étrangère ne peut pas se réduire à des relations avec les populations sunnites ou les Frères musulmans", ont renchéri cette semaine les députés de l'opposition turque. Les capitales occidentales, qui répugnent à livrer des armes aux rebelles syriens de peur qu'elles ne tombent entre de mauvaises mains, sont eux-aussi montés au créneau. La presse américaine a ainsi récemment rapporté que Barack Obama s'est lui-même inquiété des liaisons dangereuses d'Erdogan avec ces groupes proches d'Al-Qaïda. Face à ces critiques, Erdogan a donc été contraint de prendre publiquement ses distances avec ses protégés syriens et a commencé à amorcer un changement de cap. D. B Nom Adresse email