À l'homme de conscience, personne ne peut rien apporter; c'est lui le maître enseignant de l'harmonie entre nos idées. Au centre de toute analyse, Rédha Malek privilégie la recherche de l'éthique et, autant, de l'esthétique qui apaisent le discours. Sans nier l'intelligence de l'homme, il la regrette, et même avec colère, de n'être pas au service de l'homme. L'Empreinte des jours (*), ouvrage du genre littéraire essai, que nous avons abordé mercredi dernier, reproduit parfaitement l'effet positif du caractère puissant, volontaire et libre, de l'auteur. Un journal d'idées Cette «empreinte», aux formes multiples, n'en exprime pas moins sa pensée profonde aussi, peut-être peu connue - secrète ou inaccessible. Car Rédha Malek, qui a eu le 21 décembre 2013 quatre-vingt-deux ans, s'est formé et s'est livré à plusieurs expériences de la vraie vie militante nationaliste algérienne, plus largement dans les domaines culturels, scientifiques, politiques et religieux. D'où l'intérêt de L'Empreinte des jours par laquelle il manifeste naturellement l'étendue de son savoir, de son action et de son être vis-à-vis de soi et de l'Autre. N'a-t-il pas écrit en p. 237: «Si l'esprit reste actif, le troisième âge est une bénédiction. Aussi enviable que la sève de la jeunesse et les floraisons de la maturité.» Quelle belle et pudique espérance qui enchante notre génération que d'aucuns pleins de superbe font rentrer, par dénigrement, dans «l'ancienne école», ce que là il en était! Or, c'est à travers les sujets qui le préoccupent le plus et ses commentaires que nous découvrons l'homme de réflexion et de constance, ses goûts intellectuels, ses dilections et ses principes moraux, ses émotions les plus intimes, s'appuyant scrupuleusement sur des arguments solidement ancrés dans l'histoire de nos origines et reflétant les aspirations du peuple algérien de tous les temps. Parcourons donc encore, en guise de lectures rapides, quelques pages de L'Empreinte des jours, - ce volumineux et magnifique travail auquel on aurait dû ajouter un «index» indispensable pour satisfaire les curieux trop enclins à retrouver aisément un terme cité. Extrayons quelques échantillons spécifiques de la pensée de Rédha Malek qui fait là oeuvre d'analyste et d'historien de sa passion pour l'Algérie et son peuple. Il s'explique: «Un journal en quelque sorte d'idées - incluant les aspects trop personnels - nés entre le vécu et le pensé, couvrant une période déterminée: 2004-2012.» Des pensées détachées Voici maintenant quelques «pensées détachées» extraites passim de l'ouvrage: - «En attendant l'émergence d'une pensée philosophique structurée dans le monde de l'Islam, il est permis d'affirmer que l'ébullition qui y est à l'oeuvre actuellement constitue les prémisses d'une telle pensée. Il est donc essentiel de ne pas ramener obligatoirement tout ce qui se produit dans le domaine de la pensée pure chez nous à une pensée islamique et de naturaliser ainsi la philosophie à l'aune de sa topologie géographique. L'amalgame a notamment pour origine, les zélés «amateurs» de la pensée islamique qui rangent sous cette dénomination pêle-mêle, philosophes, penseurs religieux, fuqahas et théologiens, Ibn Rochd avoisinant Ben Badis, Abou Hamed Al Ghazali, notre contemporain Sayyid Kotb. Ce véritable pot pourri de la pensée relève beaucoup plus d'une intention apologétique que englobant la civilisation musulmane dans la variété de ses contenus intellectuels et culturels que d'une approche délibérée et précise visant tel ou tel courant de pensée. [...] C'est ainsi qu'au nom de la pensée islamique, se forment les nouveaux du'at imbus de formules telles que «L'Islam, c'est la solution», «Pas de Charte ni de Constitution, Dieu a dit, le Prophète a dit». Le réductionnisme de la pensée a une pensée islamique mal pensée, mal assimilée se répandant à coups de slogans excessifs, finit par susciter le fanatisme...» (p. 13) - «L'occultation de la Révolution n'est pas advenue d'elle-même, elle n'est pas le fruit du hasard. Une main déterminée y a travaillé, frappant d'inefficacité les meilleures résolutions et réduisant tous les efforts à néant.» (p. 38) - «Déjeuné hier avec l'ambassadeur US Ederman, son épouse et sa fille. Cette dernière voulait écrire sur le rôle de l'Algérie dans la libération des otages américains en Iran le 20/1/81. L'ambassadeur me demande de leur en parler pendant le déjeuner. C'est ce que je fis, et qu'ils trouvèrent «très intéressant.» Melle Ederman me demanda à me revoir à ce sujet.» (p. 41) - «Les règles d'un comportement éthique ont, à quelques exceptions près, un caractère universel,» (p. 236) - «Héros? Aux autres de le dire. L'humilité est le couronnement de l'héroïsme. L'arrogance détruit son aura et le ravale.» (p. 298) - «Pauvre et, en plus, généreux: quel toupet!» (p. 299) - «Qui a peur de la liberté d'expression? Ceux qui ont quelque chose à se reprocher.» (p. 316) - «Le respect n'exclut pas la lucidité, comme l'amitié, la critique.» (p. 320) - «L'éthique est le soubassement du droit. Sa transgression désarçonne la légalité. Respecter la morale et le respect du droit, a fortiori, coulera de source.» (p. 322) - «La souffrance ne crée pas le droit, encore moins celui d'opprimer.» - «L'enfer de la Shoah n'est pas un argument pour occuper la Palestine.» -Le victimisme spécule sur la pitié et la pitié ne résiste pas aux jérémiades. Surtout si le victimisme est rétrospectif.» (p. 323) - «Abaissement des temps: «Sans Sonatrach et ses richesses, l'Algérie ne serait pas plus écoutée que la Côte d'Ivoire ou le Kenya sur la scène internationale». Jean-Pierre Tuquoi (Le Monde, 6/3/2010). Et avec ça, raciste!» (p. 330) - «La corruption signe l'implosion du patriotisme après l'avoir assigné au banc d'infamie.» (p. 330) - «Noblesse de l'argent: dépend de sa bonne destination: investir dans son pays, contribuer au progrès économique, faire oeuvre d'utilité publique et sociale: ouvrir une école, construire une cité pour les démunis, sauver quelqu'un de la faillite ou de l'huissier, développer un mécénat en faveur des sciences et des arts...» (p. 331) - «Participer à un gouvernement et y défendre pied à pied ses idées et convictions, est plus gratifiant pour le pays que de faire profession d'opposition sans jamais mettre la main à la pâte.» p.341) - «Rectitude, dites-vous, même envers votre pire ennemi? Exactement, car la rectitude est une compagne pour la vie.» (p. 402) - Sartre parle de liberté, d'engagement, mais n'a manifestement aucune notion de la foi. Pour lui, le croyant, c'est facile: quelques mots de prière et, une obole à verser; Or, la foi authentique, réfléchie, est aussi un engagement. Engagement envers Dieu qui n'exclut nullement l'engagement libre, au sens sartrien, pour une cause, mais le décuple en le sanctifiant. Le moudjahid de l'indépendance s'engage dans la résistance et s'en remet à Dieu mais après la décision.» (p. 421) - «Je ne condamne pas au nom de la morale, mais je crie casse-cou pour l'Etat. Celui-ci perd toute crédibilité, si des chenapans, des charlatans, des voleurs, s'y incrustent. Il y a des limites à la promotion par la flagornerie, la délation, l'entregent sans scrupule. Je ne crois pas qu'un Etat encore fragile puisse durer avec des tricheurs. La fortune d'un Kennedy (père) amassée grâce au trafic du whisky pendant la «prohibition» ne saurait avoir valeur d'exemple.» (p. 470) -«Détrôner un dictateur, c'est avant tout assécher les sources socioculturelles où il s'abreuvait. La démocratie exige une oeuvre de décapage mental et culturel. Tout le legs traditionnel (habitudes, croyances... doit être passé au feu de la critique.» (p. 471) Finalement, L'Empreinte des jours de Rédha Malek est une oeuvre subjective à bon escient. L'auteur s'y exerce à faire paraître sa rectitude d'homme libre en ayant soin de puiser dans ses réflexions, dans son action et dans ses relations humaines le trait le plus juste de sa personnalité.