A force de jouer avec le feu, on finit par s'y brûler. Ce qui arrive au «tout-puissant» Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, qui, fort du soutien inconditionnel des Etats-Unis et de l'Iran - un paradoxe à tout le moins inconcevable mais, dès lors que les intérêts de Téhéran et de Washington se rencontrent dans l'assistance au gouvernement chiite à Baghdad, tout devient alors possible - a cru pouvoir agir à sa guise en faisant précisément tout faux. Il a ainsi mis gravement en danger l'unité de l'Irak, déjà amputé du Kurdistan, sur lequel Baghdad n'exerce plus aucune autorité. Or, en marginalisant les sunnites, en particulier, et les minorités religieuses irakiennes en général, al-Maliki a mis en place les ingrédients de la révolte qu'exploitèrent les radicaux islamistes de l'Eiil. Cela d'une part, expliquant l'un des vecteurs intérieurs de la crise irakienne. D'autre part, les interventions directes ou en sous-main du Qatar et de l'Arabie Saoudite qui, de leur côté, ont travaillé à déstabiliser le régime syrien et, par ricochet, celui de l'Irak. C'est le volet extérieur, induit par une flagrante ingérence étrangère. Ce concours de circonstances prémédité ou le résultat de décisions inappropriées, en particulier des autorités irakiennes, s'est traduit par l'émergence d'une force jihadiste, bien armée, financée par Doha et Riyadh. De fait, le Qatar et l'Arabie Saoudite ne reculèrent devant rien pour faire tomber le chef de l'Etat syrien, Bachar Al Assad, par notamment l'appel aux jihadistes accourus des pays arabes et de l'étranger. Ainsi, le Front al-Nosra (fédération de plusieurs, groupes islamistes) opérant en Syrie est proche du Qatar, et son pendant, l'Eiil (l'Etat islamique en Irak et au Levant), soutenu par l'Arabie Saoudite, mènent une guerre totale contre les régimes chiites en Syrie et en Irak sous l'assistance et la supervision de ces deux richissimes royaumes. Ainsi, Doha et Riyadh ont largement ouvert leurs bourses aux jihadistes ne lésinant pas sur le coût évalué en dizaines de milliards de dollars. Comment pouvait-il en être autrement lorsque des milliers de «jihadistes» opèrent sur le terrain? Dans un récent rapport «Syria Military Landscape Mai 2014» - publié en mai dernier - la «Brookings Doha Center Report» avait estimé qu'il y avait en Syrie entre 100 000 à 120 000 jihadistes, répartis en un millier de formations combattantes, selon, explique le rapport, «une déclinaison religieuse-ethnico-tribale» représentant les divisions politico-sociales du pays et de leurs parrains respectifs. On ne peut en effet comprendre la situation prévalant en Syrie et en Irak, si l'on ne la replace pas dans le contexte de leadership régional entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Riyadh a ainsi très mal pris le fait que les Etats-Unis aient renoncé, en août 2013, à frapper la Syrie et qu'ils se soient montrés peu chauds pour attaquer les sites nucléaires iraniens. L'Arabie Saoudite se mettait ainsi au même niveau qu'Israël qui réclame la destruction des sites nucléaires de l'Iran. De fait, c'est dans cette logique de remise en cause de la géopolitique locale et régionale au Moyen-Orient qu'il faut replacer les événements qui marquent cette région depuis, non pas trois ans comme on pourrait le supposer, mais bien depuis les premières attaques américaines contre l'Irak en 1991. Déjà, la connivence entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite était forte, qui a pris toute sa signification au lendemain de l'invasion militaire états-unienne en 2003. En fait, tout découle de la volonté des Etats-Unis de «réorganiser» les pays arabes n'entrant pas dans le profil géostratégique qu'ils ont élaboré pour la région. L'Arabie Saoudite, de même que le Qatar et...la Turquie ont pris en charge la sous-traitance de cette «restructuration» régionale, notamment, par Riyadh, du dossier irakien. Dans ce contexte, les jihadistes en Syrie ont été armés par l'Arabie Saoudite et le Qatar avec l'accord tacite des Etats-Unis, si ce n'est à l'instigation de Washington. D'ailleurs, Riyadh qui appela, en août 2013, à la frappe de la Syrie, en début de la semaine dernière, au plus fort des attaques de l'Eiil contre les provinces irakiennes, avait accusé Nouri al-Maliki d'avoir conduit l'Irak au bord du gouffre par sa politique d'exclusion des sunnites. Faisant écho aux accusations officielles, la presse saoudienne renchérissant présentait comme légitime «l'insurrection» Dans cette quête de la redistribution des cartes au Moyen-Orient, le rôle destructeur de l'Arabie Saoudite apparaît clairement. Le pseudo «Printemps arabe» aura ainsi contribué à accentuer la dérive du Monde arabe plongé dans l'incertitude alors que son devenir risque de ne plus lui appartenir.