La générale de la pièce de théâtre Wahch El Ghorba, produite par la coopérative Sindjab de Bordj Ménaïel a été présentée lundi soir au Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi, dans un registre tragi-comique où la dure réalité de la vie en exil a été mise à nu dans le rire et la dérision. D'une durée de 75 mn, le spectacle, écrit et mis en scène par Omar Fetmouche, met la lumière sur les travers de la vie en exil dans son marasme et sa cruauté, offrant pour seul horizon possible à ses postulants, l'errance et la désillusion. Hassen, campé par Ahcène Azazni (également assistant à la mise en scène), ancien émigré habitant Paris (France), dans le sous-sol d'un immeuble qu'il a aménagé et qui donne sur l'entrée d'une bouche d'égout, reçoit Fawzi, interprété par Fawzi Baït, un ingénieur d'Etat, exilé clandestin, après avoir défié les hautes mers à la recherche d'un ailleurs où il s'épanouirait. Fawzi, employé chez Hassen, devant désormais s'occuper de garder et entretenir des chiens et des chats confiés par leurs maîtresses à son hôte, découvre avec stupéfaction la «gravissime» dégradation des moeurs «devenue menaçante», car certaines clientes ont fini par «épouser leur animal». Devant ce dépaysement et cette perte de valeurs, les deux personnages vont vivre leurs rêves dans une série de situations fictives qu'ils se sont créées, usant du rire et de la dérision dans des scènes puisant du théâtre populaire, durant lesquelles toute tranche de vie est poussée de manière grotesque à son paroxysme. De l'accueil - bardé de protocoles- de sa bien aimée Flora dans son abri, à qui il a demandé la main, au mariage à l'algérienne, reconstitué dans l'ensemble de ses rites alors que Flora, en robe blanche, assise à côté de Fawzi qui s'est improvisé son parrain, n'était autre qu'une grande poupée, toute sorte de rêve était permis pour peu que celui-ci rappelait les valeurs ancestrales. Accusés à tort du meurtre d'une vieille femme que Fawzi avait épousée pour régulariser sa situation, les deux comparses finissent assassinés, après avoir été victimes d'une violente cabale qui a fait d'eux de dangereux terroristes. Devant un public relativement nombreux qui s'est bien délecté, Ahcène Azazni et Fawzi Baït, portant bien leurs personnages respectifs, ont brillé de talent et se sont donné la réplique dans un rythme soutenu, occupant tous les espaces de la scène dans un jeu probant, avec des entrées et sorties des deux côtés «cour» et «jardin» de la scène. La scénographie, oeuvre de Tahar Khelfaoui, a retracé les traits d'une habitation précaire et lugubre, dans un décor unique aux couleurs ternes, appuyée par un éclairage morne, en adéquation avec la sémantique de la trame dans le pessimisme des caractères et l'absence de dénouement. La musique signée Abdelaziz Yousfi, connu sous le nom de Bazou, a fait figure de personnage dramaturgique, se chargeant d'aller au-delà des mots pour assurer la narration et suggérer une suite à la trame avec des compositions et des arrangements intelligents aux sonorités actuelles, concluant avec Atass ay' sevragh, une des plus belles pièces de Slimane Azem. Wahch El Ghorba invite à la rupture radicale avec les idées reçues qui font de l'exil une alternative au mal de vivre et appelle tous les déçus dans leurs espérances à se tourner vers la mère patrie, suggérée par la maman de Fawzi qui n'a cessé d'appeler son fils au téléphone, explique Omar Fetmouche. Le spectacle sera présenté le 25 juin dans la ville de Tizi Ouzou avant de partir en tournée à l'est du pays durant le mois de Ramadhan, et une probable programmation sur l'ensemble du territoire.