Tragédie ■ C'est hier, sur les planches du Théâtre national algérien que la générale de Wahch el Ghorba a été donnée. Présentée par la coopérative Sindjab de Bordj Menaïel, la pièce, écrite et mise en scène par Omar Fetmouche, a pour lieu de représentation une cave ; et cela veut tout dire : la cave est une métaphore, elle renvoie à la situation de l'intellectuel algérien, celui qui n'arrive pas à s'imposer dans une société qui ne lui accorde pas la possibilité de s'accomplir et de faire parler ses idées. La cave est un lieu qui se situe dans le sous-sol, où tout est enfoui, et dans la pièce il est le rebut des rêves et des espoirs de ces jeunes qui souffre de mal-vie. Autrement dit, la pièce aborde en filigrane la mal vie de ces jeunes qui n'arrivent pas à avoir de place dans leur propre pays, ils s'y sentent exclus. Ils y sont étrangers ici comme ailleurs. La pièce raconte l'histoire de Fawzi, un jeune algérien, diplômé, donc un intellectuel, mais qui, à défaut d'environnement propice à son épanouissement et en l'absence d'opportunités favorables à l'accomplissement d'un devenir, le sien, se voit, malgré son attachement à son pays, contraint de le quitter. Plein de rêves et gonflé d'espoir, celle d'une vie meilleure, il émigre en France. D'emblée, le public est transporté par les élans de Fawzi et aussitôt plongé dans la profonde et amère désillusion de ce dernier face à un ailleurs fantasmé, dont la réalité est toute autre que celle perçue, au départ, de l'autre côté de la mer. La France n'est pas l'Eldorado, cette terre promise à tous «les damnés de la terre», une terre qui alimente les rêves et nourrit les espoirs de ces milliers et milliers de jeunes de la rive sud de la Méditerranée. La pièce évoluant dans un jeu mêlant la tragédie et la comédie, se veut une immersion dans le monde de ces déçus de l'exil forcé. Car Fawzi est un émigré clandestin : c'est un harag, à la recherche du paradis occidental. Mais quel a été son désenchantement lorsqu'il y débarque, où il découvre avec déception et beaucoup d'amertume le drame de l'exil. Wahch el Ghorba, qui est l'âpre vérité sur l'exil, raconte donc les déboires des émigrés algériens – et autres aussi – vivant en France et leurs difficultés de s'adapter aux mœurs de la société occidentale. Cette pièce nous rappelle à un certain point le destin tragique de ces Algériens de la première génération forcés par la dure réalité de leur pays, pendant la colonisation, à émigrer en France. Elle nous permet de redécouvrir des thèmes liés au déracinement et à l'incommunicabilité, ces mêmes thèmes que l'on retrouve d'ailleurs dans les chansons de l'exil. Jouée avec conviction et, par scènes, avec un certain humour qui se veut recherché, subtil, approprié, donc adapté au contexte, la pièce qui interpelle l'homme et questionne les valeurs humaines, parce que, selon le metteur en scène, «nous assistons à une époque où la déperdition des valeurs humaines s'accélère. La décomposition de la cellule familiale, la multiplication des conflits et des guerres dans plusieurs contrées du monde. On a voulu sortir des thématiques locales et traiter un sujet universel tout en sachant qu'il est en rapport direct avec notre société». Il impute cela aux bouleversements causés par la mondialisation. «Nous vivons dans une époque où les gens n'ont plus de repères», souligne-t-il.