On a cette nette impression que tout est suspendu. A croire que les Algérois font connaissance avec le Ramadhan pour la première fois. Que ce premier contact s'est mal passé. Qu'ils le boudent. Tout est fermé, tout est bloqué! on croirait la vie arrêtée d'un coup! Depuis quelques années, à chaque Ramadhan, c'est le même scénario qui se répète. Dès le premier jour, on a cette nette impression que tout est suspendu. A croire que les Algérois font connaissance avec Ramadhan pour la première fois. Que ce premier contact s'est mal passé. A 9h du matin, les rues sont vides, les magasins sont fermés. Ce climat rime avec vendredi ou jours fériés, même si dans ces occasions beaucoup de commerces ouvrent. La capitale, elle, n'est pas la seule à vivre cette situation de ville morte ou fantôme. Deux mots lourds de sens. Soyons plus gentils, l'on dira que la capitale devient moribonde, agonisante. A croire qu'elle est pestiférée et que sa population l'évite de peur d'être contaminée. Pourtant, Ramadhan n'est pas synonyme de repos, de congé ou de relâche. C'est d'abord un mois comme les autres. A part le fait de jeûner (ne pas manger ni boire), rien ne change. Mais vu cet état de fait, pour les Algériens, Ramadhan c'est également réduire le rythme du quotidien, pour ne pas dire, le suspendre. Tout est suspendu. A l'arrêt. Les seuls endroits où l'animation persiste et tient le coup, ce sont les marchés. Mais cette année. Ce n'est pas le grand rush. Juste des ménagères qui effectuent les courses sans trop s'attarder. Par ailleurs, le premier jour de Ramadhan est révélateur à plus d'un titre. Il met à nu l'Algérien. Les gens, dans la rue ne sont pas, pour la plupart, endormis. Ils sont agressifs. A croire qu'ils n'attendent que la moindre petite occasion pour s'emporter, se bagarrer, se disputer. Un rien les irrite. Comment expliquer cette métamorphose? La mentalité des gens? «Avant, il y a des décennies, on sentait Ramadhan par les préparatifs (achat d'une nouvelle vaisselle, certains foyers profitaient pour repeindre leur maison, certaines victuailles), les gens étaient zen, car ils n'avaient pas les soucis d'aujourd'hui», témoigne Amine un jeune artiste rencontré en face de la cafétéria le Tonton-Ville, au Square Port-Saïd, Alger. Selon lui, «le matin, tout le monde est à moitié éveillé, voire endormi. Les gens sont amorphes. Et ce n'est qu'en début ou milieu d'après-midi que ce beau monde se réveille. La plupart sont sur les nerfs. Ils courent dans tous les sens, leurs courses tournent autour de la nourriture... A croire qu'il n'y a que ça pendant Ramadhan», et d'ajouter: «Autre fait sidérant le premier jour de ce mois sacré, c'est le vide sidéral qui enveloppe la ville. Les rues sont désertes. La circulation plus que fluide. L'on constate également que le matin, la majeure partie des commerces est fermé. Pour ne pas dire que tout est fermé, les épiceries, les marchands de fruits et légumes. On dirait une ville déserte.» «C'est un désengagement de la part de ces commerçants qui sont sensé ouvrir et travailler normalement», soutient-il. Ramadhan rend surtout service à ceux qui sont obligés de se taper deux heures de temps pour gagner Alger-Centre de Aïn Benian ou des localités environnantes. C'est le cas de Bologhine (ex-Saint-Eugène). Les embouteillages n'existent plus à Bab El Oued ou du côté d'El Ketani. C'est un soulagement pour la population, notamment pour les chauffeurs de taxi dont certains ont préféré ne pas travailler dans cette période. La plupart préfèrent ne pas sortir. «Les chauffeurs de taxi connaissent la mentalité des Algériens. Ils s'en lassent déjà en temps normal, alors pendant le mois de Ramadhan n'en parlons pas!» A ce sujet, un chauffeur de taxi apostrophé nous déclare: «Les Algériens ne sortent pas durant le Ramadhan, car ils ne trouvent pas ce qui les fait sortir durant ce mois», faisant allusion aux femmes! De son côté, Ania, une jeune femme habitant à Baraki, et qui chaque matin se rend à son lieu de travail à Kouba, trouve «qu'il y a moins de circulation, surtout la matinée. Les bus, d'habitude, débordent de voyageurs, mais hier, aujourd'hui, je dirai que les arrêts de bus sont désertés. Cela fait partie des habitudes des Algériens, durant le mois de jeûne, tout fonctionne au ralenti: on veille la nuit pour dormir le jour. Alger ressemble ainsi à une ville assoupie». Enfin, durant le mois de Ramadhan, Alger se met à nu et dévoile ce qu'elle est en temps normal: une ville morte, endormie. Car une capitale est censée être une ruche bourdonnant de vie, ce qui n'est pas le cas d'Alger, 365 jours durant! «Une réalité froissante d'une ville froissée», comme dirait Sonia, rencontrée aux quartiers des Quatre-Jours, Alger-Centre.