Contestée à la marge, mais jamais démentie: l'hégémonie du dollar dans les échanges et dans les coffres de banques du monde a encore de beaux jours devant elle, et prend même une nouvelle tournure avec l'affaire BNP Paribas. La banque a été sanctionnée pour des faits qui ne sont pas illégaux au regard des lois françaises et européennes, mais qui tombent sous le coup du droit américain car ces opérations ont été réalisées en dollars. "L'extraterritorialité des normes américaines, liée à l'utilisation du dollar, doit conduire l'Europe à se mobiliser pour faire progresser l'usage de l'euro comme monnaie d'échange internationale", a réagi le ministre français des Finances Michel Sapin après l'annonce lundi d'une amende de près de 9 milliards de dollars pour la banque française. Dès 1964 le ministre des Finances français Valéry Giscard d'Estaing déplorait le "privilège exorbitant" des Etats-Unis, seul pays à pouvoir s'endetter dans sa propre monnaie, c'est-à-dire indéfiniment ou presque, grâce à la puissance du billet vert. - 'Notre monnaie, votre problème' - =================================== En 1971, le secrétaire américain au Trésor John Connally faisait cette réponse cinglante à des Européens s'inquiétant des taux de change: "Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème". En 40 ans, rien n'a vraiment changé: selon le Fonds monétaire international (FMI), fin 2013 le dollar comptait pour 61,2% des réserves des banques centrales mondiales. En avril 2013, il était impliqué dans 87% de toutes les transactions de change, selon la Banque des règlements internationaux (BRI). Et il pesait en octobre dernier 81,08% des financements commerciaux, selon le pointage de la société belge Swift. Pour Jérôme Sgard, professeur à l'Institut d'études politiques, cette hégémonie prend désormais une nouvelle dimension. "Ce qui est nouveau c'est l'articulation du monétaire et du juridique", dit-il en référence à la condamnation de BNP Paribas. En cause: des paiements en dollars vers des pays soumis à des sanctions économiques américaines, notamment le Soudan et l'Iran, entre 2002 et 2009. - Le levier de la compensation - ================================ Dans cette affaire, qui ne s'est pas jouée aux Etats-Unis, le juge a "utilisé le levier des chambres de compensation", explique l'universitaire. Chaque fois qu'une transaction est réalisée en dollars dans le monde, qu'il y a une ligne de compte à modifier, un virement à faire, cela passe par un système informatique américain de "compensation", opération censée garantir la sécurité des échanges. Ce qui permet à la justice américaine de s'en saisir, avec un champ d'application potentiellement immense. Le pétrole et les matières premières s'échangent très majoritairement en dollars, ainsi que nombre de produits manufacturés comme les avions, et ce pas seulement entre les Etats-Unis et leurs partenaires, mais entre des pays tiers. Le groupe européen Airbus vend en dollars ses avions fabriqués en Europe, et la Russie et la Chine, signant récemment un énorme contrat gazier, l'ont libellé en dollars. Certains pays tentent de s'affranchir de cette tutelle: l'Iran a par exemple décidé de vendre son pétrole contre de l'or ou d'autres devises. Des professionnels du secteur aéronautique indiquent eux que de plus en plus de règlements d'avions sont mixtes.