Cette peine est assortie d'une amende de plus de 2 milliards de centimes. Le directeur du Matin, Mohammed Boualem Benchicou, n'écrira pas sa chronique jeudi prochain. Il a été mis en prison hier 14 juin, date anniversaire de la marche du mouvement citoyen sur Alger en 2001. Il est désormais incarcéré à la maison d'arrêt d'El Harrach. Le verdict a été lourd. Deux ans de prison ferme et une amende de près de 2,4 milliards ont été requis contre le directeur du journal Le Matin par le tribunal d'El Harrach. C'est le deuxième journaliste algérien à être condamné en l'espace d'une semaine. «Pouvoir assassin», «il ne reste rien dans ce pays », «la justice a perdu ce qui lui reste comme capital de crédibilité», entend-on dans la salle. Des cris et des larmes fusent juste après l'annonce du verdict. Dès les premières heures de la matinée, un dispositif sécuritaire a été mis aux alentours du tribunal. Depuis 9h, les journalistes de la presse nationale faisaient le pied de grue. Le front ridé, Benchicou attendait son tour. Il entre dans la salle d'audience à 11h 30 et s'assoit près de deux autres citoyens. Derrière lui, Ali Dilem, le caricaturiste du journal Liberté et Youcef Rezzoug, rédacteur en chef du quotidien Le Matin. Les affaires défilent et Benchicou attend toujours. Il caresse son menton, ajuste ses lunettes et plisse ses yeux. La présidente l'appelle à la barre, il est 12h 30. Sept avocats constituent le collectif de la défense. Me Miloud Brahimi, Bergheul Khaled, Mezaine Ali, Benarbia Abdellah, Mohand Messaoud, Hannoun Salah, Bouziani et Zaïdi. Le procès débute par des remarques émises par la défense de Benchicou : «La loi n'autorise pas le ministère des Finances à se constituer partie civile.» Le collectif s'oppose alors à ce que le ministère des Finances se constitue partie civile. La polémique s'enclenche. La représentante de l'agence judiciaire du Trésor, déléguée par le ministère des Finances, M. Oukaci insiste qu'il s'agit d'une affaire de bons de caisse anonymes qui constituent des capitaux qui n'ont pas été déclarés. « Nous sommes devant la justice pour demander l'application de la loi et demander des réparations.» La défense s'enflamme : «Il n'y a aucun motif pour que la délégation de représentation soit faite par l'agence judiciaire du Trésor», lance M.Benarbia. La présidente s'en remet au procureur qui n'a pas vu d'entrave à ce que le ministère soit représenté par M.Oukaci. Grabuge dans la salle. La présidente demande le silence : «Faites sortir les perturbateurs de l'audience!» Abrika et plusieurs autres délégués sont rentrés. M. Ali Yahia Abdenour tente de se frayer un chemin au milieu de la salle bondée. Un policier l'aide et rejoint le premier rang. Le procès continue et la défense présente «les anomalies au niveau de la forme». Les sept avocats insistent sur «l'impossibilité, voire le non-sens de bâtir une accusation sans qu'il y ait un acte écrit : un procès-verbal». Le procès-verbal a constitué l'un des points essentiels sur lesquels ont insisté les avocats. «Il n'y a jamais eu de procès-verbal le jour où Benchicou a été intercepté à l'aéroport», avance M.Benarbia. Benchicou affirme : «Je n'ai jamais signé de procès-verbal.» «L'affaire démarre sur un procès-verbal qui n'a jamais existé», déclare Me Brahimi. La présidente interroge Benchicou : «Savez-vous que les bons de caisse constituent une infraction ?» Il répond : « Comment voulez-vous que je le sache alors que les policiers eux-mêmes ne le savent pas.» Elle se tait. Les témoins défilent à la barre. Des officiers de la deuxième brigade de la Police des frontières aériennes. Ils affirment qu'ils n'ont pas reçu d'ordre pour arrêter M.Benchicou. «Personnellement je ne le connais pas, c'est un contrôle routinier auquel nous avons procédé» témoigne l'un d'entre eux. Les plaidoiries commencent. Surprise : l'avocate, représentant le ministère des Finances exhibe un procès-verbal établi le jour des faits. La défense n'a pas pris connaissance de cette pièce. «Ce n'est pas mon problème, vous avez eu suffisamment de temps pour consulter le dossier», réplique la présidente. La défense tente de rattacher l'affaire au journal Le Matin et ses déboires avec le pouvoir. Un véritable débat s'ensuit pendant plus de trois heures. Le réquisitoire a été trop lourd aussi. Le procureur de la République annonce cinq ans de prison pour M.Benchicou et une amende égale à la somme des bons de caisse qu'il avait sur lui le 23 août, jour des faits : 1,1 milliard. Les avocats défilent et expliquent que les dessous de l'affaire «sont foncièrement politiques et visent à réduire au silence M.Benchicou qui n'est pas dans la ligne du pouvoir». Des plaidoiries d'un haut niveau où sont brassés la situation politique du pays et l'état de la justice algérienne. Avant la délibération finale M. Ali Yahia déclare, à la sortie du tribunal : «Les choses sont claires, les instructions sont venues d'en haut.» Quelques minutes plus tard, retour dans la salle. Citoyens, avocats et journalistes retiennent leur souffle. Le verdict tombe : Benchicou est condamné à deux années de prison ferme et une amende de près de 2,4 milliards de centimes. La défense a dix jours pour faire appel.