Chante Aït Menguellet, chante pour le plaisir de tous. Raconte-nous la joie et dis-nous l'espoir. La Kabylie, qui a tant souffert, a besoin de chasser les peines et les douleurs. L'Expression : Quels sentiments éprouvez-vous à l'appel de vos fans? Aït Menguellet : Il y a avant tout, ce plaisir de se retrouver devant cette foule avec qui on sait communier. Il y a ce double plaisir de savoir qu'on est écoute aimé, chéri. En dernière instance, l'artiste, le chanteur, le peintre... n'est rien sans son public. Ce dernier est là, pour jauger toute la popularité d'un artiste. Le plaisir ressenti par un chanteur est celui de savoir le degré de sa popularité. Un artiste sans fans n'est qu'une marionnette de cirque. Pour ma part, les personnes qui viennent m'écouter, m'apprécient (au sens large du terme) ils constituent le baramètre de tout ce qui est Aït Menguellet. En fin de compte, le plaisir pour un artiste signifie «adulation». Et ce retour sur scène? Pour revenir, il faut partir et pour le moment, je suis toujours là! Certes, il faut un certain temps pour produire, mais partir? Même si je pense souvent à le faire. il semble que le temps ne soit pas encore arrivé. Etes-vous un artiste au summum de la perfection? La perfection n'est pas de ce monde. Etre parfait relève plus du subjectivisme. Il faut mesurer le chemin parcouru et se poser la question : Est-ce que je suis sur ce chemin? Personne ne peut atteindre la perfection. Tout est perfectible. Personnellement, je suis satisfait au coup par coup. Est-ce que j'ai vu juste? C'est quelque chose que j'ignore. Grâce à Dieu, ça a marché. Je suis heureux et comblé. Le malheur pour un artiste «c'est de savoir» et de se poser la question «comment en être sûr ?» Vous arrive-t-il de pleurer sur un regret? Je refuse de répondre. Est-ce que vieillir est dur? Je ne pense pas du tout. Vivre ma vie, ne tenant compte ni de l'âge ni du temps. Ce que je dois faire, je le ferai. Ce n'est pas un handicap. Tout être humain est là pour une mission bien déterminée. Moi, en tant qu'artiste-chanteur, j'ai un rôle à jouer. Ce rôle est de transcender la réalité. Comment expliquer le sentiment de plaisir d'être devant le public? Ce sentiment vient du fait de partager une chose avec soi. Ce plaisir est profond, il consiste en cette symbiose entre l'artiste et son public. Cette relation doit être intime. Il faut que le public vive ce que l'artiste ressent au fond de lui-même. Bien sûr, il y a le plaisir superficiel en plus. Celui-ci consiste en cette modestie qui est une nature de l'être humain. Au plus profond de l'artiste, il faut qu'il y ait cette communication. Il faut communier avec les gens. Qu'entendez-vous par l'appréciation au sens pur de la chanson? C'est surprendre, pour une catégorie de personnes, l'appréciation n'est qu'une banalité et non un intéressement. Pour l'artiste, il faut chercher l'angle le plus inattendu. C'est quelque chose de non évident. Personnellement, l'artiste doit avoir une positon constante, évolutive et porteuse d'un idéal. L'utilisation des mots courants est une arme. C'est avec cela que je tisse le texte. Dans ce cadre, le sens de la phrase, il revient à chacun de le comprendre. Bien sûr, une chanson peut être subversive. Là, l'artiste apporte quelque chose dans le sens où les gens peuvent enrichir un débat. Mais personnellement, le vocable utilisé est le plus ordinaire. Ainsi, l'appréciation, la compréhension se situent au bout de la réception. A quand remonte la rupture dans la thématique? Question pertinente ! Tout artiste doit évoluer avec le temps. Personnellement, la chanson d'amour s'est située à l'âge de 20 ans. Il n'y a pas eu de rupture mais une certaine continuité. Aujourd'hui, l'artiste doit vivre avec les sentiments éprouvés, je suis de nature émotive. Je suis un être humain. L'amour c'est tout. L'amour pour le prochain, l'amour pour une femme, l'amour pour un mendiant, pour un misérable... Tout cela fait la trame et la muse de l'artiste, qu'il soit peintre, chanteur ou romancier... Mes chansons d'amour ont été le «fer de lance» de mes premiers pas. J'ai chanté l'amour comme j'ai chanté la révolution, la culture, la société. Je ne regrette pas d'avoir touché à tous ces points sensibles de la société. Peut-on parler d'une touche de modernité dans votre nouvelle production? Je ne crois pas, je dirais que l'agencement de la musique est plus étoffé alors qu'auparavant, il était dépouillé, le texte ayant la part du lion... Que représente pour vous l'art (chanson) engagé? L'art engagé ! Théoriquement, tout art est engagé. Tout art n'est que représentation des facettes de la vie. Celles-ci sont en elles-mêmes, un engagement. Dans notre société, l'engagement est très fort, car les problèmes sont nombreux. Ailleurs, il y a moins d'engagement parce qu'il y a moins de problèmes. Personnellement, l'engagement événementiel n'est pas voulu par l'artiste. Ce dernier est là pour la création. Elle est l'engagement le plus beau pour, dénoncer, s'apitoyer, crier son ras-le-bol. L'artiste défend ses idées non pas de gaieté de coeur, mais tout simplement pour exprimer un désarroi, des contradictions, les malheurs, le népotisme, la dictature... toute l'injustice qui plane sur la société civile. Toutes ces contradictions font de l'artiste une personne, considérée malade, incomprise, mais en réalité, l'artiste est là comme centre d'intérêt, point de mire de toute solution. Question pertinente : Aït Menguellet et la morale? Personnellement, il n'y a pas de la morale dans mes textes, par rapport aux lignes conventionnelles de ce que l'on entend par «morale classique», une morale figée ne m'intéresse pas. Il ne faut pas perdre son temps à ressasser. Si des gens trouvent des choses pertinentes à travers l'écoute et la compréhension de mes textes : «tant mieux». Je ne fais pas ce genre de chansons morales. Une chanson doit être large au sens propre du terme. Elle fait appel à la métaphore, à l'intelligence, à l'âme la plus profonde du simple citoyen. Sliman Azzam est un exemple concret de ce génie de référence. Vous arrive-t-il de manipuler une idée? Je suis un manipulateur de mots, mais pas un manipulateur «politique-politicien». Je fais dire aux mots un maximum de messages. Personnellement, je me contente d'être observateur. J'observe à ma façon, mais d'une manière efficace. Je me trompe parfois car je ne maîtrise pas la science politique. Je suis, avant tout, artiste-poète et chanteur. Je vois les choses d'un point de vue qu'observe un simple citoyen. J'analyse la situation. A ma manière de voir les choses. Je ne peux donner que ce que j'ai. Manipuler une idée est une action très dangereuse pour un artiste. Je ne peux aller vers ce danger néfaste qui risque d'entraîner des conséquences désastreuses. Il faut être observateur, analyste, objectif pour arriver à localiser les détenteurs et les exécuteurs. On peut être engagé sur une idée, mais jamais la manipuler. Je refuse toute idée de manipulation car elle relève d'une simplicité d'esprit et surtout d'une attitude subjective. La manipulation est politique et non culturelle. Et la fameuse «lettre aux miens»? J'ai assisté en spectateur au déversement de ce flot d'accusations. J'ai pris cela à la légère et ne voulais nullement m'impliquer, mais devant la montée en cadence de ces «on-dit», j'ai cru utile de m'adresser au public. Je ne me suis reconnu dans ces «disent» que certains ont fait de moi. Ils ont diffamé à tour de bras. Alors, il m'a semblé utile de remettre les choses en place. Dans cette lettre, je me suis adressé à ceux qui me connaissent et à mon public. Je n'ai jamais accepté de compromission et, si j'avais eu des visées, il me semble que j'aurais été avili. Mon seul but : la poésie. Pour moi, ce chapitre malheureux pour les adeptes de la diffamation est clos même si on a cherché à m'écorcher et à me faire mal ! Et comment composer une chanson? Je ne sais pas. C'est la façon que je connais le mieux pour dire ce que je sens et ressens. Je m'exprime ainsi sur un thème bien précis. Je chante comme je vois la vie ! Mon opinion, évidemment, se forge à travers ce que je vois dans l'environnement ! C'est tout cela, une chanson. Comment expliquer le marasme de la chanson kabyle? Oui, elle est dans une passe dangereuse. Elle est tombée dans la facilité. La reprise systématique est un danger. Cela peut mener vers la disparition de la création et de la chanson kabyle en elle-même. La reprise tue la création. Les gens qui encouragent cette façon de faire, encouragent en fait, la disparition de cette chanson. Il me semble que le meilleur moyen de faire pour échapper à ses reprises, c'est de s'adresser aux musicologues et aux paroliers, il n'y a qu'à s'entendre. Vos relations avec la famille artistique? Elles sont excellentes. Il y a tout un plaisir au moment des retrouvailles. Malheureusement, elles sont espacées dans le temps et dans l'espace. Je renouvelle mes excellentes amitiés au poète-chanteur Si Mouh. C'est ainsi que la chanson algérienne en général, correspond à chaque période bien précise. Celle-ci est tributaire de la création, des problèmes, de la muse, des freins dressés devant elle. Il ne faut pas être pessimiste. Il faut s'habituer, c'est tout. Le monde artistique est noble, unique et respectueux. Il faut simplement l'aider.