L'explosion peut signifier que le Gspc a tenté de réussir un grand coup médiatique. La police scientifique rassemblait, hier matin encore, les derniers débris de l'explosion de la veille. Pneus déchiquetés, pièces mécaniques calcinées, débris et amas de gravats étaient encore visibles sur un rayon de 150 m. De larges tôles de zinc ont été placées à la hâte, afin de cacher le spectacle désolant qui s'offrait aux premiers passants du matin : le mur d'enceinte détruit, la façade sud de la centrale électrique éventrée, un large cratère fait dans l'asphalte du trottoir, des vitres cassées et des bris de verre de voitures s'amoncellent un peu partout. En fait, il a fallu que cet accident intervienne pour qu'Alger retrouve, de nouveau, ses réflexes des attentats terroristes. Les riverains des quartiers d'El Hamma et des Annassers n'ont pas de doute sur l'origine de l'explosion et parlent d'une voiture piégée : «Un camion Toyota», disent les uns. «Une Clio dont il ne reste que le châssis carbonisé», précisent les autres. Le black-out sur l'information a été total. Le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni a d'abord affirmé qu'il s'agissait vraisemblablement d'une explosion «d'origine accidentelle», avant de revoir sa thèse au bénéfice du doute : «Il appartient à l'enquête de déterminer les circonstances exactes de l'explosion.» Selon un responsable de la Société publique de l'électricité et du gaz (Sonelgaz), «l'origine de l'explosion n'a pas encore été déterminée», alors que deux agents de sécurité qui s'affairaient devant le grand portail vert de la société, sont formels : «L'explosion est venue de l'extérieur». Tout, en fait, concourt à ajouter foi aux propos des deux agents de sécurité. Un officier de police nous informait, hier, que «des traces d'ammoniac et des morceaux de fer ont été retrouvés sur le site de l'explosion». Un autre officier de la Dgsn nous a affirmé que le propriétaire du camion qui aurait été utilisé dans l'explosion a été identifié à Bab El Oued et la police va l'interroger. La police, sur le qui-vive le jour même du lancement de son programme de sécurité d'été 2004, semble secouée par cet attentat et se plaint du peu d'indices en sa possession. «Imaginez que même les caméras de surveillance, censées être un indice majeur pour notre enquête, n'ont pas fonctionné.» Les officiers de la police scientifique ont mis dans des sacs plastique transparents tout indice susceptible de fournir le moindre élément sur l'origine de l'explosion. L'énorme cratère provoqué par l'explosion se situe sur le trottoir, et non à l'intérieur de l'enceinte clôturée par un large mur de protection, renforcé par des rouleaux de fils barbelés. Un site stratégique Dans l'explosion, le mur de clôture a cédé sous la forte pression de la déflagration, dont l'onde de choc a été ressentie jusqu'à Dely Ibrahim, et le souffle a défoncé encore sur son passage toute la façade de la centrale, que surplombent quatre grosses turbines, lesquelles «n'ont pas été endommagées». Le système des commandes et les structures vitales de la centrale n'ont pas été touchés non plus, c'est ce qui explique que tout a continué à fonctionner normalement et qu'Alger n'a pas été privée d'électricité. Fonctionnant avec quatre turbines appelées «groupes» de 100 mégawatts chacune, la centrale électrique produit 400 mégawatts à travers des connexions qui alimentent pratiquement l'ensemble du territoire national. Dans l'explosion, le «groupe 4» a été touché et a été mis à l'arrêt. Par mesure de sécurité, le «groupe 3» a été lui aussi, arrêté par la direction de Sonelgaz. Hier, le «G3» a redémarré et le «G4» mis sous contrôle «sera opérationnel dans quarante-huit heures», pronostique un technicien de la société. Site hautement stratégique, la centrale électrique d'El Hamma, fonctionnelle depuis seulement quelques années, se trouve située dans une «zone à risques» entre Les Anassers, El Hamma, le Caroubier et Hussein Dey. Les grandes usines de la société des eaux gazeuses Hamoud-Boualem se trouvent en bordure de la centrale électrique et les camions privés, de tout tonnage, circulent près de la Sonelgaz à longueur de journée, avec tous les risques que cela induit. L'importance de la centrale a été vérifiée par tout le monde, lors du black-out du 3 février 2003, à 19h 04, lorsque la capitale a été plongée dans l'obscurité pendant plusieurs heures. L'incident causé par une succession d'événements, avec à l'origine le déclenchement de deux groupes turbines à gaz de 350 mw, s'était produit au moment où la demande était maximale. Ce fait important vérifié, il était certain que le Gspc s'intéresse à la centrale d'El Hamma, d'autant plus que la longue rue Hassiba Ben Bouali, qui va pratiquement d'Hussein Dey au Jardin d'essai, est mal éclairée, mal surveillée et jouxtant de surcroît, une cité populaire et un pâté d'entreprises publiques et privées. Une bonne cible à prendre en ligne de compte, en somme. Réussir un coup médiatique Si la thèse de l'attentat à la voiture piégée se confirme, on peut en faire déjà les premières lectures qui s'imposent. Il peut s'agir d'une riposte, «à la hâte» du Groupe salafiste pour la prédication et le combat pour répondre à la mort de l'émir de l'organisation, Nabil Sahraoui, tué par un détachement de l'ANP qui ratissait dans la région de Bourbaâtache, à El Kseur, dans la région de Béjaïa. Il peut encore s'agir d'un coup dont l'objectif était de plonger Alger dans l'obscurité, avant d'opérer un ou deux autres raids meurtriers sur des cibles choisies auparavant. L'heure de l'explosion - 22 h - plaide en faveur de cette hypothèse. L'autre lecture qu'on peut faire de l'attentat serait celle d'un simple coup de semonce dont l'objectif évident est de réussir un coup médiatique qui indiquerait que la force de frappe du Gspc reste intacte et qu'il reste opérationnel même dans la capitale, où le dispositif sécuritaire «spécial été 2004» a été renforcé par l'apport de quelque 20.000 policiers et gendarmes. Ce qui est sûr, c'est qu'à Alger se trouve bel et bien une cellule opérationnelle du Gspc. En six mois - du 25 décembre 2003 au 25 juin 2004 - plusieurs attentats ont été commis par un groupe réduit, mais exceptionnellement efficace : deux policiers assassinés à Belouizdad, deux autres à Addis-Abéba, un cinquième au quartier populaire de Laquiba, non loin de l'explosion d'avant-hier, un repenti à la cité dite La Montagne, un imam, ex-chef du GIA, près d'une mosquée à El Harrach, etc. L'élimination de chefs d'organisations terroristes peut générer un «chaos des djamaâte» où l'on assistera, non plus à des attentats ciblés, mais à des incursions meurtrières qui toucheront le plus de monde possible. Dans le cas du Gspc, tout dépendra du choix des nouveaux chefs de porter le danger au coeur de la capitale.