9 h 30 La circulation est très fluide sur l'avenue du 11 Décembre 1960, à El Biar, sur les hauteurs d'Alger, en ce 11 décembre 2007. Des officiels et étrangers arrivent à l'hôtel des magistrats où devait s'ouvrir sous l'égide de l'Unicef un séminaire international sur les violences à l'égard des enfants. Deux bus de transport d'étudiants et de nombreux véhicules légers se suivent. Un camion bourré d'explosifs sort de sa position, dépasse l'un des deux bus, à bord duquel se trouvaient le chauffeur et deux agents, et fonce brusquement sur le parking du nouveau siège du Conseil constitutionnel, inauguré il y a à peine quelques mois. Du véhicule de police, stationné en permanence sur le trottoir mitoyen, sort un brigadier qui tente de stopper le poids lourd, conduit selon des témoignages par un jeune homme. Il est 9h45. Subitement, une puissante déflagration souffle l'ensemble des bâtiments qui longent l'avenue. Une épaisse fumée noire s'élève dans le ciel. Quelques secondes plus tard, des cris de douleur brisent le silence macabre qui s'est abattu. Des hommes et des femmes ensanglantés courent dans tous les sens. Des véhicules sont projetés sur des dizaines de mètres. A l'intérieur, les conducteurs sont déchiquetés et certains calcinés. Le bus de transport des étudiants s'est transformé en un amas de ferraille au milieu duquel se trouvent trois corps réduits en bouillie. Des lambeaux de chair et du sang recouvrent la chaussée. Une moto coupée en deux, la partie supérieure du corps de son conducteur volatilisée. Les façades en verre de l'hôtel des magistrats s'effondrent. Les premiers blessés sont évacués par les passants, d'autres reçoivent les premiers soins à la polyclinique mitoyenne, assiégée par les passants sous le choc. Les ambulances de la Protection civile, les services de sécurité et la police scientifique arrivent sur les lieux. Il est 10h. Un cratère de trois mètres de diamètre est visible à l'entrée du parking du Conseil constitutionnel. Du véhicule piégé, il ne reste que le train coincé au milieu des débris. Des dizaines de véhicules, soufflés par l'explosion, sont encore sous les décombres. Les agents de la Protection civile déterrent les corps totalement déchiquetés des deux gardes républicains, en faction devant l'institution, et de trois civils dont une femme exerçant à l'administration. Les corps sont entreposés à l'hôtel des magistrats. « Ramenez les civières, il y a un autre corps à retirer », crie un agent de la Protection civile, le visage recouvert de poussière, le treillis taché de sang. Il a déjà extrait des décombres au moins une dizaine de corps, dont ceux de trois policiers et des deux gardes républicains. Ses collègues s'affairent à retirer les corps coincés dans les véhicules. Le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, et le ministre de la Solidarité, Djamel Ould Abbas, arrivent sur les lieux. Ils s'informent des circonstances de cette tragédie. Interpellé, Zerhouni nous déclare : « Le bilan que nous avons est encore provisoire. Je crois qu'il y a eu neuf morts et une trentaine de blessés. » Et de préciser : « Il y a eu deux explosions. Une à El Biar et une autre à Hydra, dont nous ne connaissons pas l'origine. » Le ministre a une mine triste et semble abattu. Il quitte les lieux une dizaine de minutes plus tard, pour rejoindre Hydra, où un autre camion piégé a foncé sur le siège de la représentation de l'ONU. Quelques minutes après, c'est le frère du président de la République qui arrive sur les lieux. Une heure plus tard, c'est le chef du gouvernement qui fait irruption et discute avec les officiers des services de sécurité. Une foule compacte tente de forcer le cordon sécuritaire. Sans aucune information de leurs proches, des familles des victimes envahissent les lieux. Elles sont vite bloquées dans leur élan par des policiers antiémeutes, intransigeants. « Allez aux hôpitaux de Ben Aknoun et Mustapha et vous aurez des nouvelles », leur déclare un officier de police. Mais elles restent imperturbables. Elles veulent à tout prix vérifier de visu, si leurs enfants, mari, frères et sœurs sont sous les décombres. De nombreux blessés se comptent parmi le personnel de l'Assemblée populaire de la wilaya d'Alger, du Haut Conseil islamique, de l'administration pénitentiaire, de l'école des magistrats, de l'hôtel des magistrats, du centre commercial et des habitations limitrophes, mais également des étudiants qui étaient de passage à cette heure de la journée. Des blessés graves sont enregistrés au collège Mackley, dont les vitres et les plafonds ont volé en éclats. Des informations font état de la mort d'une élève et de blessures graves de ses camarades causées par les débris de verre. Sur un périmètre de 400 m2 au moins, les dégâts sont considérables et dénotent la forte puissance de l'engin explosif utilisé par les terroristes. Fin de matinée, le bilan s'alourdit : 27 morts et une centaine de blessés. Les officiers de la police scientifique passent au peigne fin les débris autour du cratère. Des bouts de métal, une plaque d'immatriculation et un téléphone portable à quelques mètres de là sont ramassés. Des façades du Conseil constitutionnel s'effondrent. C'est la panique dans les rangs des artificiers et des agents de la Protection civile, qui s'attellent à déblayer les débris. Une femme au visage ensanglanté est prise d'une crise d'hystérie. « Où est mon fils ? Il était avec moi dans la voiture. Qu'est-il devenu ? L'avez-vous vu ? », lance t-elle en pleurs à un policier. La dame se trouvait dans un taxi avec son fils, un adolescent, lorsque la déflagration l'a éjectée à un mètre. Son fils, blessé également, a été évacué par des passants. L'anarchie s'empare des élèves et lycéens de tous les établissements scolaires se trouvant aux alentours. C'est d'ailleurs parmi eux que le plus grand nombre de blessés est enregistré. En milieu d'après-midi, le bilan encore provisoire connaît une hausse. Une trentaine de morts et une centaine de blessés parmi lesquels plusieurs sont dans un état critique. Les ambulances continuent d'évacuer les corps déchiquetés, des lambeaux de chair et des partis de corps, ainsi que les blessés vers les hôpitaux de Ben Aknoun, Birtraria et Mustapha. En fin de journée, le bilan est arrêté à 50 morts et une centaine de blessés. Les deux attentats ont fait, dans un bilan avancé par une source médicale, 72 morts et 200 blessés. En milieu d'après-midi, les unités de nettoyage, balais et pelles en main, entrent en action pour enlever les traces de cette violente explosion. Les deux carnages sont commis le premier jour du mois sacré de Dhoul Hidja, durant lequel, même en temps de guerre, les musulmans sont obligés d'observer une trêve. Les deux kamikazes ont utilisé des poids lourds pour se faire exploser à 15 minutes d'intervalle à l'aide d'un système de commande par téléphone portable. Le choix du 11 décembre comme date de l'exécution de ce forfait macabre est une signature. Pour des sources sécuritaires, le siège de l'ONU était en fait visé depuis les attentats du 11 avril dernier, puisque la Mercedes bourrée d'explosifs et abandonnée à Hydra était destinée à cette représentation. Ainsi, malgré les coups sévères qui leur ont été assénés par les services de sécurité, les terroristes restent actifs et profitent du moindre relâchement dans le dispositif de sécurité pour faire le maximum de victimes. Les jeunes adolescents ayant rejoint les maquis pour servir de chair à canon sont encore nombreux et les réseaux dormants qui restent tapis dans l'ombre peuvent passer à l'action d'un moment à l'autre.