Cette réflexion nous est inspirée par le regretté Djafar Bencheneb, décédé il y a un an, et qui, dans sa contribution répondant à la question «À quoi sert le livre?», titre du volume collectif du même titre, avait rappelé que «l'historien Roger Chartier se basant sur le concept de Kant, décrit le livre comme étant avant tout un corps et une âme». Il m'a semblé bien naturel de citer Djafar Bencheneb en rouvrant «La Petite bibliothèque de l'été» à laquelle sont habitués les lecteurs de la chronique Le Temps de lire, depuis plusieurs années maintenant. À quoi sert le livre? Que l'on me permette aussi d'indiquer que sous le titre «À quoi sert le livre?» (*), préfacé par Ahmed Fattani, j'ai réuni des contributions de quelques-unes de nos éminentes personnalités culturelles passionnées par le livre, car, pour elles toutes comme pour moi, la richesse de notre littérature se mesure dans le coeur du seul Algérien, auteur, éditeur ou lecteur. En effet, la hantise du livre et de la lecture n'est pas nouvelle. En vérité, elle ne s'écarte pas d'un réel décevant. Et, peut-être, un autre lecteur que vous, ayant ce livre sous les yeux, se sentirait-il envahir par quelque chose qui le rebuterait, comme le rebuterait une tâche quotidienne ou non, exigeant de lui plutôt un effort au lieu de lui offrir d'emblée l'accès à un plaisir facile attendu, - or, ce qui est facile n'instruit pas, nécessairement. Mais, se souvient-on qu'il se trouvait, autrefois, toujours un aîné, lorsqu'un jeune était oisif, errant dans les rues, pour lui crier «Va t'instruire!»? - Littéralement, en arabe parlé: «Roûh taqrâ!», «Va lire!». Ainsi donc l'essai À quoi sert le livre? est une réflexion générale sur le livre et la lecture. Les contributeurs (écrivains, journalistes, auteurs de manuels scolaires, critiques, éditeurs, libraires, bibliothécaires, lecteurs, - vous les découvrirez dans l'ouvrage cité) ont cherché à rappeler quelques repères, à poser quelques jalons, à préciser quelques évidences qui animent ou même qui agitent notre société dont l'ambition élevée, en ce Cinquantenaire de l'Indépendance, n'en finit pas de valoriser son identité nationale tout en s'engageant dans la modernité... Voici notre Petite bibliothèque de l'été 2014 ouverte. Suivons jovialement ce conseil - un hymne au livre - de l'Irakien Al Djâhidh (776-868), écrivain émérite et encyclopédiste: «Le livre est un commensal qui ne te flatte pas outrageusement, un ami qui ne te suborne pas, un compagnon qui ne t'ennuie pas, un solliciteur qui ne te reproche pas continuellement tes atermoiements, un voisin qui ne te trouve pas trop peu compressé à lui rendre service [...]. Plus tu te plonges dans la lecture d'un livre, plus ton plaisir (imtâ) augmente, plus ta nature (tibâ) s'affirme, plus ta langue se délie, plus ton doigté (banân) se perfectionne...» Livres du Temps de lire (Saison 2013-2014) LES ANGES MEURENT DE NOS BLESSURES de Yasmina Khadra, éditions Julliard, Paris, 2013, 403 pages: «Turambo est, «à quatre-vingt-treize ans» dans sa cellule de condamné attendant que le Chef Borselli, son féroce gardien - qu'«il n'est pas dans ses habitudes d'être aux petits soins pour un taulard qu'il tabasse juste pour ne pas perdre la main» - l'emmène vers le lieu d'exécution, «vers la bascule à Charlot»... Le suspense demeure obstinément tendu, grisant. Et avec quelle langue palpitante, il taraude le lecteur jusqu'à l'intolérable! N'en révélons rien!» POUR UNE ETHIQUE EDUCATIVE AU SERVICE DES ELÈVES d'Ahmed Tessa, imprimerie Gherbi, Alger, 2013, 111 pages: «Je termine cette lecture utile aux enseignants de l'Ecole algérienne par ceci: l'éthique est chose splendide, indispensable à l'art du pédagogue comme à l'art de l'ingénieur. La culture, le savoir, même l'intelligence, ne suffisent à rien de ce que le devoir de l'enseignant veut dire: l'éthique professionnelle, qui n'est pas le masque inesthétique de circonstance, mise en pratique à l'école, est la seule qualité dont dépendent la réussite de nos enfants et, à l'évidence, l'avenir des générations suivantes,... à l'infini.» UN ALGERIEN RACONTE... de Meziane Noureddine, éditions Barkat, 2013, 388 pages: «Le récit est évidemment à lire intégralement. En donner quelques indications serait détruire le rythme de l'aventure héroïque. Cependant, disons que dans sa cellule de la prison «La Santé», à Paris, partagée avec ses compagnons, des garçons à la parole sobre et sincère, l'auteur-narrateur, Meziane Noureddine, fait le récit de son parcours de vie point par point. Il leur annonce qu'il a «été arrêté pour atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat. [...] Dans la nuit du 4 octobre». [...] ́ ́Un Algérien raconte... ́ ́ est incontestablement un document dont la portée historique, sociologique et psychologique aide à la formation de nos jeunes d'aujourd'hui qui doivent comprendre et apprendre l'amour de la patrie, la citoyenneté et la fraternité humaine. Bel aboutissement auquel veille l'Algérie éternelle, et justement comme dit l'auteur-narrateur: «Maintenant que nous avons gagné la partie!». LES APPELES DU CONTINGENT, CES SOLDATS QUI ONT DIT NON À LA GUERRE de Djoudi Attoumi, L'Harmattan, Paris, 2012, 218 pages: «N'est-il pas temps, d'écouter les voix humaines, saines et belles s'élever de part et d'autre de la Méditerranée et qui disent une espérance d'amitié et de reconnaissance mutuelle d'une injustice commise sur un peuple envahi, assujetti, spolié, exploité, enfin libéré du colonialisme au prix d'un lourd tribut du sang? Justice doit être aussi ainsi rendue aux «Appelés du contingent français, ces soldats qui ont dit non à la guerre», acte digne qui dénonce et foudroie la loi spécieuse du 23 février 2005, notamment en son insidieux article 2: «Les aspects positifs de la colonisation.» Or, comme l'écrit Djoudi Attoumi, à raison, «L'Algérie a toujours tenté un rapprochement entre les deux pays, dans le strict respect de la souveraineté de chacun». On tient chez nous ce propos même envers l'ami, surtout envers l'ami: «Un peu de moi à toi, et réciproquement, c'est correct. Mais si c'est uniquement de moi à toi, il y aura rupture. Man andî ou man andak tenteba; Ouallâ ghayr man andî taneqata.» SOLIDARITE EN ACTION de Kader Benamara et Fritz Keller, éditions Barkat, Alger, 2013, 150 pages: «Nous remarquerons, à la fin de l'ouvrage, que les textes des deux auteurs s'enchaînent, article après article et paragraphe après paragraphe, se complétant harmonieusement et se terminant avec la même finesse d'expression et de sentiment sur tous les thèmes abordés. Les explications claires des tenants et des aboutissants des réseaux et des mouvements de leurs militants favorables à la résistance algérienne, procurent à nous lecteurs algériens une sorte de joie ornée d'honneur d'avoir eu à compter aux côtés de nos moudjâhidîne tant de moudjâhidîne venus d'autres pays comme l'Autriche et dont beaucoup restent encore anonymes chez nous. Aussi, à l'instar des deux auteurs Benamara et Keller, faut-il noter et souligner que: «Vue sous l'angle d'une rétrospective historique, cette première coopération, à l'échelle européenne entre un mouvement de résistance tiers-mondiste à majorité musulmane, et des soutiens issus de la tradition humaniste, constitue un jalon très important qui a été largement sous-estimé jusqu'à nos jours.» Quoi qu'il en soit, à tous les héros anonymes qui, libres et originaires de nombreux pays de la Planète Terre, ont placé leur conscience au coeur de la conscience nationale algérienne, le peuple algérien ému exprime son éternelle reconnaissance.» (À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2014 dans Le Temps de lire du mercredi 6 août prochain.) (*) À QUOI SERT LE LIVRE? de Kaddour M'Hamsadji ENAG, Alger, 2013, 214 pages.