«Il faut qu'une Constitution soit courte et obscure. Elle doit être faite de manière à ne pas gêner l'action du gouvernement.» Napoléon Mon ami Sid-Ahmed est impayable! Il est d'une naïveté et d'une candeur qui n'ont d'égales que son patriotisme. Malgré les années passées, la modestie de sa situation sociale n'a pas ébranlé sa foi en ce pays pour lequel il avait déjà risqué sa vie, et il aurait fait plus encore si l'occasion lui avait été donnée.«L'Algérie avant tout!» est son slogan favori, bien que ce ne soit pas lui qui l'ait inventé. Mais il a adhéré à cette fabuleuse vision d'un pays prospère où les Algériens, tous, la main dans la main, iraient vers un avenir radieux. Il a toujours foi en les responsables qui sont nommés, désignés ou élus. D'ailleurs, lui ne croit pas au trucage des urnes. Les hommes ou les femmes qui accèdent aux responsabilités politiques sont tous dignes de confiance. «S'ils sont arrivés là, c'est qu'ils le méritent bien. Le peuple n'est quand même pas aveugle», se plaît-il à répéter. Et quand un responsable est limogé, remercié ou a démissionné, avec, à la fin de son exercice, un bilan plus que mitigé, Sid-Ahmed se contentera de dire avec l'air de quelqu'un de convaincu: «Ce n'est pas de sa faute! Il était mal conseillé, mal entouré! Et puis, faut dire qu'il est depuis trop longtemps à ce poste: on le gomme pour donner l'illusion du changement. Pour l'exemple! Il y a tellement de vautours qui attendent...» Sid-Ahmed est ainsi: tout d'une pièce! Il avait applaudi à s'en rompre les phalanges quand il avait entendu un jour Ben Bella déclarer à Aïn Bénian ex-Guyotville: «Les bourgeois, on les emmènera tous au hammam pour les dégraisser.» Quelle image forte! Cela ne peut venir que d'un homme sincère. Mais Sid-Ahmed s'est tout de suite entiché du successeur pour des raisons diamétralement opposées... Et vogue la galère! Les seules années où le doute l'a effleuré, c'est pendant la guerre civile. Mais même là, il a résisté. Il a vibré pour Boudiaf, il s'est repris sous Zeroual et depuis Bouteflika, il croit dur comme fer que le pays est sorti de l'ornière. Alors, depuis qu'il a entendu les propos comme quoi la loi était au-dessus de tout et qu'elle allait être appliquée sans restriction et sans dérogation, il a exulté: «Voilà ce qui nous manquait: appliquer la loi sur tous et partout! Ça va bigrement changer.» J'ai beau lui dire que c'est très dur d'appliquer la loi dans un pays où les dérogations sont légion et où les citoyens sont si réfractaires. «Regarde! lui dis-je. Tu as vu comment les gens conduisent: aucun respect pour le Code de la route, et encore moins pour celui qui roule devant, à côté ou derrière. Tu as vu comment les gens se comportent: ceux qui sont à bord d'un gros véhicule méprisent ceux qui ont des petites cylindrées. Ceux qui ont des voitures de luxe, genre 4x4 avec pare-buffle à l'avant et une immense roue de secours à l'arrière se conduisent comme si la route leur appartenait. Je ne te parle pas des coups de klaxon, des queues de poisson, des attitudes provocatrices. La plupart roulent sur la voie d'arrêt d'urgence, téléphonent en conduisant, changent de file sans se soucier des autres. Je n'oublierai pas non plus ces jeunes qui considèrent que la voiture est un jouet et qui slaloment dangereusement entre les files de voitures. Beaucoup d'entre eux finissent dans des fauteuils roulants ou dans des centres hospitaliers de rééducation. Mais ce sont avant tout leurs parents qui devraient être rééduqués. Et toutes les campagnes de prévention et tout le talent de la compétence d'un Lazouni n'y ont rien changé! Tu sais que j'ai connu quelqu'un qui a quitté le pays pour la simple raison que les gens se comportent mal sur la route.» «Ils conduisent comme ils se conduisent», m'a-t-il fait remarquer avant de me dire au revoir. Mais Sid-Ahmed croit fermement que les jours heureux sont pour demain.