Pénible est la fin du mandat de la coalition pour les Irakiens pris en otage par les extrémismes des forces d'occupation de la guérilla et du groupe d'Al Zarqaoui. Samedi en soirée, c'était au tour de la ville chiite de Hilla, au sud de Bagdad, d'être frappée par un meurtrier attentat à la voiture piégée qui a fait une trentaine de victimes et près de soixante blessés. En fait, la récurrence des attentats et attaques qui ont fait, pour cette seule semaine, plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, renvoie quelque peu en arrière-plan l'événement attendu de la passation du pouvoir à un gouvernement irakien, celui-ci ne fut-il que provisoire. En fait, la guérilla, -dont il reste à la vérité à déterminer autant l'implantation que les objectifs réels-, et le groupe Tawhid wal Jihad d'Abou Moussab Al Zarqaoui, lié à la nébuleuse Al Qaïda, -qui a revendiqué la plupart des attentats de ces derniers jours, semblent pour l'instant n'avoir qu'une stratégie: faire le plus de victimes possibles. De ce point de vue, il est patent qu'ils ont réussi à semer la terreur parmi la population si l'on avance le fait que sur cinq morts, tués ces de niers mois, trois sont des civils irakiens victimes d'une guerre dont les tenants et aboutissants les dépassent. Dans un Irak livré au chaos, personne en fait ne joue le jeu, chacun cherchant à tirer la couverture à lui. Ainsi, les Américains, qui ont atteint l'un de leurs objectifs stratégiques, celui de maîtriser la production énergétique irakienne et de contrôler les champs pétrolifères irakiens, sont maintenant pressés de retirer leurs billes du jeu sans plus de dégâts, d'où leurs appels pressants tant aux Nations unies, dont ils redécouvrent soudain les mérites, quoique sur le tard, qu'à l'Alliance atlantique à qui il est demandé de prendre en charge la formation d'une armée irakienne dont la mise sur pied demeure en réalité très problématique. Les hommes du gouvernement intérimaire irakien, plus ou moins proches de Washington, ou ayant servi les Etats-Unis, d'une manière ou d'une autre, se comportent comme les nouveaux maîtres du pays et s'emploient, pour leur part, -Saddam Hussein et son régime balayés-, à durer. L'option de la proclamation de l'état d'urgence après le transfert de souveraineté prévu ce mercredi, pour parer à l'instabilité sécuritaire, comme le laissait entendre samedi le ministre de la Défense du gouvernement intérimaire, Hazem Chaalane, l'annonce faite hier, par le Premier ministre désigné, Iyad Allaoui, de la nécessité de reporter d'au moins deux mois, pour raison sécuritaire, les élections générales prévues en janvier 2005 pour parachever le processus de réhabilitation des institutions irakiennes, participent à conforter la position de ces hommes dans la course au pouvoir dans l'Irak futur. De fait, au moment où l'Irak est mis à feu et à sang par les différents groupes, ou groupuscules, qui s'en disputent les décombres, le pays semble bien mal parti, les bases de ce départ étant biaisées si l'on excipe du fait que les Kurdes vivent quasiment en autonomie depuis la première guerre du Golfe (1991) et tiennent, comme ils n'ont pas manqué de le faire savoir, à ce que cela continue. D'ailleurs le fait même de l'existence au Kurdistan irakien de deux «parlements» et de deux «gouvernements» à Erbil et à Souleymaniah, que se partagent le PDK de Massoud Barzani et UPK de Jalal Talabani donnent une idée de ce que sera ce pays aujourd'hui plus proche du démembrement que de la construction de la démocratie. Si l'on ajoute à cet imbroglio l'armée «privée» du «Mehdi», du chef radical chiite, Moqtada Sadr, les revendications sunnites, on conçoit que l'embrouille dans cet Irak post-Saddam Hussein est totale, et le fait le plus patent est que les Américains venus, affirment-ils, pour démocratiser les Irakiens, ont surtout contribué à raviver et à exacerber les différences religieuses et ethniques pratiquement gommées par le régime laïc du Baas irakien. D'ailleurs le fait que chaque ethnie, chaque religion dispose d'un quota dans le gouvernement provisoire irakien en dit long sur les desseins cachés des Etats-Unis et de ceux qui ont pris la relève du régime déchu irakien.