Connaître sa société, c'est connaître son histoire aussi. Voici, entre autres, deux livres de genres différents qui invitent à les lire avant de penser à chanter et à danser... tout l'été. Ce qui subsiste de nos lectures nous fait découvrir ce que nous sommes ou ce que nous ne sommes pas maintenant, face à la vie, et sûrement face à nous-mêmes. Je ne parle pas des lectures aux textes moraux, donneurs de leçons de vie, mais de celles qui tiennent le chemin du plaisir de lire en s'instruisant et retiennent donc l'attention. Elles, oui, ces lectures, nous parlent et enrichissent notre esprit à l'aide d'exemples tirés du passé, du présent et même du futur proche fécond en sérieuses hypothèses. Il y est alors question d'histoire, de civilisation, de langue, de culture, de société, d'éducation, d'instruction,... de liberté et du vivre-ensemble. Si «Le livre nous est livré et, à travers lui, son auteur», comme l'affirme avec raison le grand romancier François Mauriac dans ses Mémoires intérieurs (1959), il nous révèle aussi notre propre conscience par rapport à l'authenticité et à la pertinence du thème abordé. Aussi doit-on dire qu'il n'est pas de bon livre sans bon auteur - ni de bon sujet sans audace - et qui ne fasse vivre, et souvent revivre au lecteur, un peu fier de savoir et de pouvoir lire, ses tentations d'être acteur de premier rang dans l'action humaine développée sous ses yeux. Effectivement, quand on réussit à faire ouvrir au livre ses ailes, l'enchantement produit en soi par le texte, tend vers l'idéal d'apprendre et de comprendre. J'observe là une méthode active joyeuse et rénovatrice dont l'école devrait inlassablement s'inspirer pour s'instruire et se former, elle aussi. Ah! oui, notre école, notre belle école en perpétuelle reconstruction liée à des restes d'une passion pédagogique aujourd'hui pâle et peut-être un peu oublieuse du Génie populaire, libre et indépendant qui, durant la lutte de Libération nationale pleine de présages, imagina l'Ecole de la République Algérienne. Il faudrait mettre davantage à l'honneur le Livre Algérien. Des livres du Temps de lire (Saison 2013-2014) L'ALLEE DES DAMES de Djamel Eddine MERDACI, Editions Barkat, Alger, 2013, 254 pages: «La vertu serait-elle autre chose, sinon un combat contre elle-même pour exister? [...] Faut-il rappeler que, chez certains, la société n'est d'abord qu'un jeu, une jouissance, tout juste aussi une activité qui aurait une importance considérable, mais elle ne se situerait pas toujours dans la recherche d'une qualité humaine sans reproche. Dans son roman L'Allée des dames, Djamel Eddine Merdaci nous le démontre comme il se doit, c'est-à-dire avec une conviction se fondant sur une observation aiguë de la société nouvelle des villes formée aux libertés acquises et développées depuis l'Indépendance. Nous y découvrons l'excellence d'un truisme que nous avons appris de nos anciens: «El houriya mâ tatasa ghîr fi râ's el âqal, la liberté ne prend tout son sens que dans la tête du sage.» Cela fut autrefois; aujourd'hui, les temps sont bien changés, - en effet, que de traits caractéristiques des moeurs empruntées endommagent ce que notre société intelligente actuelle essaie de construire ou de reconstruire! Ainsi, «L'Allée des dames»! - quelle expression euphémique dure, tout de même, à notre conscience surprise! - existe chez nous. Oui, les phénomènes sociaux imposent leur réalité et font pression sur le principe de la Morale personnelle. Par exemple, ailleurs, «Le Chemin des Dames est entré dans la mémoire collective pour avoir été le théâtre de plusieurs batailles meurtrières de la Première Guerre mondiale». Par contre, dans un autre contexte, celui de la littérature érotique, «L'Allée aux dames» rappelle aussi les «Lettres historiques et galantes de deux dames de condition, dont l'une était à Paris, l'autre en province» par Madame Du Noyer (Anne Marguerite Petit), volume 3 sur 8, éd. Pierre Marteau, 1722. C'est, a-t-on averti en sous-titre, un «ouvrage mêlé d'aventures et anecdotes curieuses et singulières». Une Parisienne écrivait alors à une Provinciale: «Vous avez raison, Madame, le Siècle est extrêmement perverti; et c'est avec justice que vous vous récriez là-dessus. Vous le faites de la meilleure grâce du monde; et j'aime ce noble courroux. Troquer le Portrait d'une Maîtresse contre un cheval, comme a fait votre Comte de D..., ou l'attacher derrière une chaise de Poste, comme fit le Chevalier de B... tout cela font des choses sur lesquelles on peut justement dire: O temps! O moeurs! Les faux airs que Messieurs les Amants se donnent sur le chapitre des Femmes est aussi quelque chose de bien impertinent; et je dirai comme le Cocu imaginaire, les Gens de Police devraient bien donner des Règlements là-dessus.» À ce passé, qui nous est étranger, l'allusion n'est pas simple et à cette vie de femmes non plus. Toutefois, Djamel Eddine Merdaci présente, dans le style d'enquête, non pas un sujet sur le libertinage, mais des vies de femmes algériennes insoupçonnées par l'honnête homme algérien. Sans doute, la vision et la réflexion sont ici celles d'un cinéphile professionnel rompu aussi à l'esprit du spectacle cinématographique, - ce qui fait, à l'évidence, la force de l'expression écrite et la résonance immédiate de l'image «technique» formée par une imagination pure qui caractérise comme authentique l'objet de son roman. [...] Nous sommes au théâtre de l'âme; chaque personnage, surtout chaque femme, victime d'une abomination est d'une réalité inouïe. «La société, écrit l'auteur, se taisait sur de telles abominations dont pâtissent des femmes honorables, où des jeunes filles innocentes, détournant hypocritement les yeux pour ne pas voir des tragédies qui pouvaient atteindre chaque famille.» Les Editions Barkat méritent des encouragements d'avoir publié ce livre de morale et surtout de culture sociale. LES DROITS DE L'HOMME EN ALGERIE DE 1830 À 1962 de Ali Becherirat, Casbah Editions, Alger, 2012, 750 pages: «De l'inhumanité du colonialisme... Pour une fois, le jugement de valeur pourrait s'exercer de toute la force dont doit disposer l'homme juste contre la fausseté de l'homme. [...] D'emblée le lecteur, attentif à la valeur des mots et à leur analyse, se représente les divers efforts intellectuels engagés par l'auteur afin de produire ce travail volumineux (750 pages), particulièrement instructif et agréable à lire. Là, nos jeunes apprendront et là nos anciens se remémoreront les dégradations infligées à l'Algérien par l'oppression coloniale; là aussi a laissé son empreinte la volonté de résistance de l'Algérien; là encore apparaît son combat de refus et là, surtout, s'est longtemps élaborée l'histoire de la grandeur de l'Algérien. Le moudjahid et juriste Ali Becherirat a, sources juridiques à l'appui, essayé de le montrer dans sa présente étude «Droits de l'homme en Algérie de 1830 à 1962». Tout en tenant compte du régime colonial français, fondé sur la domination intégrale du peuple colonisé, on remarquera que les «indigènes» n'ont été, en aucun temps historique de l'occupation française en Algérie, pleinement citoyens français, et c'est tout là que - malheureusement (?) ou heureusement (!) - se révèlent «les méfaits de la colonisation». Dans son «Introduction», Ali Becherirat note: «La jouissance légale par les citoyens de leurs droits constitutionnels et humanitaires est une règle juridique fondamentale pour la protection des individus contre tout abus d'autorité ou tout acte de discrimination qui pourra mettre en question l'égalité des citoyens en droits et en devoirs.» [...] Dans sa longue et très utile conclusion (16 pages), Ali Becherirat a d'abord expliqué pourquoi il n'a pas «traité dans cette étude tous les sujets qui ont des liens avec la période coloniale», puis, passant en revue un grand nombre de décrets, de déclarations d'hommes d'Etat français de différentes époques, de lois, d'articles, de décisions, de divers documents officiels, de jugements et d'applications des peines concernant les combattants de l'ALN, les militants du FLN et les soldats déserteurs de l'armée française, il écrit: «La politique coloniale fondée sur la répression constante a prouvé son inefficacité à long terme. [...] L'ouverture d'une nouvelle page entre les dominateurs et les dominés de la période coloniale a besoin d'une amélioration du regard des uns envers les autres. [...] Certes, l'initiative prise par le Parlement français concernant la loi du 23 février 2005, dont l'art. 4 parle du rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ne va pas dans le bon sens. [...] Le monde d'aujourd'hui a plus besoin de consacrer ses réflexions à l'avenir des relations amicales entre les peuples qu'à glorifier un passé malheureux. C'est dans cet esprit que les peuples des pays colonisateurs et colonisés pourront envisager leurs relations futures, qui devraient être fondées sur le respect mutuel.» (À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2014 dans Le Temps de lire du mercredi 3 septembre prochain.)