«On n'est pas des musiciens africains mais d'origine africaine, on joue comme on le ressent», se plaît à préciser le saxophoniste camerounais. Les plus futés reconnaissent le son de son sax sur mille. Symbole de la world, puisqu'il a voyagé sur tous les continents, le Camerounais Manu Dibango est l'ambassadeur de l'éclosion de l'acid-jazz. Brillant saxophoniste au riche parcours, l'artiste revendique son africanité tout en étant «naturellement» tourné vers les autres cultures. S'adapter à tous les styles de musique est pour lui tout ce qu'il y a de plus normal. Un vrai musicien doit jouer de tout! Invité à la 9e édition du festival jazz de Tabarka, Manu Dibango a bien accepté de répondre à nos questions. L'Expression: Vous jouez du jazz sur une musique très africaine. Ce n'est plus le jazz de Louis Amstrong ou de Duke Elligton... Manu Dibango: Je crois qu'on y est pour quelque chose aussi que je sache (rire). C'est le retour du bateau. Vous savez un musicien réagit par rapport à son environnement. Mes grands-parents ne connaissaient pas l'avion, moi si, donc cela fait partie de moi. Les gens fantasment sur plein de choses. On fait de la musique, on a un tempérament comme ça ,on ne fait pas du folklore. Nous faisons de la musique comme on le sent. On est des instrumentistes. Le piano n'est pas africain, le saxo non plus. On est pas des musiciens africains, mais des musiciens d'origine africaine. Je joue bien du Bach, du Beethoven comme du Maria Makeba. On est avant tout des musiciens! Quel est votre rapport avec la world music, acceptez-vous ce terme, vous êtes invités au festival du jazz et pourtant on vous surnomme le père de la world... Tout ça, ce sont des étiquettes. Toutes ces musiques ont des origines dans ce continent qui se sont dispatchées. L'arbre est ici, les graines sont parties. Et cela a germé partout. J'ai dit qu'on est en train de faire un safari musical donc, elles courent à droite et à gauche... A quelle autre sauce musicale pensez-vous marier le jazz ? Il n'y a pas de jazz traditionnel et un autre, je suis musicien, je me dois de jouer les musiques... Comment vous est venue l'idée d'intégrer le son des platines? Ce n'est pas une idée, cela fait partie de mon environnement. Une platine en ce moment c'est un nouvel instrument comme le synthé. Quand vous êtes à Alger, vous prenez un ascenseur, ce n'est pas algérien. Vous n'êtes pas moins algérien que ça. Tout le monde roule en voiture.. Vous voulez rester africain, d'ailleurs je ne sais pas ce que cela veut dire. On est soi-même, représentant de ce qu'on fait et puis voilà. Il y a actuellement une certaine émergence de la musique africaine mais quelque peu «occidentalisée». Qu'en pensez-vous? Ce sont des questions que je ne comprends pas. Les musiciens font de la musique comme ils le ressentent. Ils n'ont pas de mission spéciale, seulement permettez qu'il y ait au moins de la démocratie, que chacun fasse ce qu'il aime. Il y a le folklore basque, corse, breton. Cela n'empêche pas qu'il y ait d'autres courants musicaux en France. Donc, on n'est pas gardien de quelque chose, je ne suis chargé d'aucune mission sauf d'ambassadeur à l'Unesco. Quelle a été votre réaction de savoir que Michael Jackson vous a plagié? C'est un grand honneur au départ. C'est quand même un grand artiste qui reconnaît au moins que je fais de la musique. C'est qu'il aime ma musique, simplement il oublie sur la pochette de son album de mettre : Manu compositeur. Moi, si je joue du Elligton, je mets son nom comme compositeur et le mien comme interprète. C'est une question d'éthique. Vous me parlez de cette histoire en 86, il y a 4 mois, j'ai gagné un autre procès contre Jenifer Lopez. Le même morceau. Il doit être bizarre! Votre souvenir le plus marquant d'Alger? C'était la révélation pour moi, car je venais de composer Soul Makossa qui n'était pas encore reconnu. Mais à chaque fois qu'on la jouait, on remarquait que les jeunes sautaient, ils étaient contents. On était à 10 mille lieues de savoir qu'un jour un morceau d'un petit Africain ferait un tabac. C'est un conte de fées! Finalement la révélation s'est faite pour moi à Zéralda. On y a produit un album et toutes les compositions qu'on a faites, à l'exception de Soul Makossa, ont été conçues à Zéralda. On est partis à Paris pour enregistrer l'album et quand Soul Makossa a commencé à marcher, nous l'avons mis sur cet album dans lequel figure un morceau qui s'appelle Night in Zéralda.