«Je ne sais faire que mon métier!», lâcha dans un rire retentissant le comédien charismatique à la riche expérience. «On ne porte pas impunément la parole d'un auteur.» Ces paroles sont du grand comédien, Sid Ahmed Agoumi. Brillant acteur, que ce soit sur les planches ou au cinéma, Sid Ahmed Agoumi, de son vrai nom Ahmed Meziane, débute dans la comédie dans les années 60. Il interpréta de nombreux rôles aussi bien au théâtre, au cinéma qu'à la télévision. Il excelle dans les rôles de composition. Parallèlement à sa carrière artistique, il dirigera successivement le Théâtre régional d'Annaba (1974), le Centre de culture et d'information (1985) et le Théâtre national algérien (1991-1992). En France depuis 1994, il a entamé une seconde carrière, au cinéma mais surtout sur les planches où il a joué dans Pirandello, Koltès, Alloula, Benaïssa... Dernièrement, il excellait dans la chute de la jeune Serbe Biljana Sbrajanovictc et, aux côtés d'Anne Alvaro, dans Mariage Lescot. Il est aussi Si Mokhtar dans Nedjma, une adaptation de l'oeuvre katebienne par Ziani Chérif Ayad et présentée, dans le cadre de l'Année de l'Algérie en France. «Je n'aime pas parler de l'Algérie, mais seulement de mon rôle», nous a-t-il confié à propos des médias français et ce, en marge de la conférence de presse tenue avant-hier à l'hôtel El Djazaïr, à l'occasion de la fin du tournage du film Morituri du réalisateur Okacha Touita et adapté du roman noir de Yasmina Khadra. Un film dans lequel Sid Ahmed Agoumi joue... L'Expression: Peut-on connaître le rôle que vous campez dans le film adapté du roman de Yasmina Khadra? Sid Ahmed Agoumi: Comme l'a décidé Yasmina Khadra, c'est un personnage noir. Le genre de personnages qui sont liés au système indirectement. Moi, j'interprète le rôle du «ankabout» qui, comme son nom l'indique, tisse sa toile pour imposer ses idées fascistes. On devient implicitement Goebbels, la matière grise de Hitler. Il est prêt à toutes les exactions et les crimes néfastes. Comme vous savez, un acteur adore jouer soi-même et le contraire de soi. Peut-on parler du retour de Sid Ahmed Agoumi au cinéma? Je n'aime pas le mot «retour». Je suis comédien, j'ai quitté l'Algérie en mars 1994 après l'assassinat d'Alloula, que j'avais appris avec une très grande douleur. «La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie», comme disent les poètes. J'ai eu cette chance en fait de poursuivre mon métier en France, notamment au théâtre. L'Algérie c'est comme une femme, elle a besoin d'un amant fidèle plutôt qu'un mari présent, mais mauvais coucheur. C'est une comparaison «hard», mais elle est juste. Si on évaluait nos compétences? Vous savez, en France, personne ne fait de cadeau. J'ai continué grâce à ma formation ici, mon contrat avec le public d'ici qui est le plus exigeant. Mettons-nous au niveau de l'intelligence du public. Je ne conçois pas d'acteurs analphabètes! Nous sommes en 2004. Nous sommes le médium entre l'intelligence et le génie créateur, il faut être quelque entre les deux. Des projets? Quand on est à l'étranger, on vit sur le qui-vive. Il faut être tout le temps en projet: pour la télé, la radio, les planches... Cette activité est épuisante. On pense déjà à 2005 et 2006. Quand les gens ne se projettent pas dans l'avenir, ils sont dans l'angoisse. Cela permet d'avoir une perpétuelle vivacité de l'esprit qui est fatigante. Quand on m'a demandé de prendre les rênes de l'Institut dramatique de Bordj El Kiffan, j'avais refusé parce que je suis insatisfait de moi. Donc, je ne pouvais être généreux avec les autres. Aujourd'hui, je pense revenir à la formation. Je pense être redevable à mon pays qui m'a aidé à me construire. Le contraire veut dire que je suis égoïste. Il serait intéressant de faire partager aux gens mon expérience. J'y réfléchis... Revenir aux institutions de l'Etat, non. Les structures doivent être révisées. On ne peut travailler sur la base de textes qui datent de 1962. il faut adopter une nouvelle approche du cinéma. Je ne veux pas de structure d'Etat. J'ai ai souffert. En septembre sinon, je compte présenter en Belgique la pièce «Nous sommes à l'orée d'une aube nouvelle» de Jean Sénac. Je poursuis «présence de Kateb» à limoges plus le journal de Mouloud Feraoun, une adaptation d'une heure et demie limoges entrecoupée de chant andalou. Une façon d'aérer les textes, en acapela. D'ailleurs, je conseillerai aux comédiens le chant pour avoir un meilleur souffle. J'ai un autre projet avec Sid Ali Kouiret reste le problème de trouver un bon traducteur pour le texte de Mourad Bourboun: «Les prédateurs». J'espère jouer son texte en Algérie. Cela me permettra de revenir sur les planches algériennes. Mais les moyens du TNA sont faibles. Je n'aime pas le bricolage. L'appel est lancé... Sid Ahmed Agoumi a surtout brillé dans les rôles de Français, type du commissaire... Ce sont ces rôles-là qui m'ont donné la célébrité. En même temps, ils m'ont desservi dans le sens où ils m'ont éloigné d'autres rôles. J'en ai fait les frais plusieurs fois au casting. Par exemple, je ne peux prétendre au rôle du bougnoul. Les Français aiment les clichés. J'ai beaucoup joué dans des films d'auteur mais pas commerciaux qui ne donnent pas de notoriété particulière. Aujourd'hui, je regrette certains rôles campés à l'époque pour la télévision algérienne. Mais on fait cela pour se faire connaître, telle est la vérité... Sid Ahmed Agoumi se sent mieux au théâtre ou au cinéma? On est plus à l'aise au cinéma parce qu'on n'est responsable pendant le tournage. Je me sens mieux sur les planches car je sens que j'ai la maîtrise de ma performance. Il ne faut pas décevoir le regard des autres, si le spectateur se détourne de moi, c'est ma mort! Quel conseil donneriez-vous pour un jeune qui veut débuter dans le cinéma ou le théâtre? Je dirais que ce n'est pas un métier qu'on exerce comme un pizzaiolo. Acteur c'est un choix douloureux. C'est un métier de passion et d'abnégation, d'intelligence et de culture. C'est un perpétuel travail et une remise en question. On ne peut plus se permettre des comédiens d'instinct. Il faut répondre aux attentes du public sur tous les plans. A l'issue d'une représentation théâtrale, il faut en sortir avec une idée ou un questionnement. Le théâtre c'est un art majeur intelligent qui s'adresse aux gens intelligents. Peut-on parler d'absence du cinéma et du théâtre algériens? Le théâtre et le cinéma algériens existent. Ils ont leurs particularités. C'est le reflet de la société et son marasme. Le cinéma algérien est en crise, comme une personne malade fiévreuse. Cependant, il y a des dépassements qu'il faut stopper. Chacun à son poste. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, comme dit l'adage. Je pense que la crise liée à l'absence d'écriture théâtrale s'explique soit par le manque d'imagination des gens, des gens qui ne lisent pas par paresse, ou bien c'est dû à l'analphabétisme de gens qui sont à la tête de l'institution culturelle. Or, des auteurs existent. Prenez le cas de Waciny Laâredj et bien d'autres... Peut-on revenir sur le rôle que vous avez interprété dans la pièce Nedjma, adaptée et mise en scène par Ziani Cherif Ayad, d'après l'oeuvre monumentale de Kateb Yacine? J'ai joué le rôle de Si Mokhtar. Kateb Yacine disait que tous ses personnages sont autobiographiques. Ici, c'est une autobiographie plurielle. Kateb Yacine se retrouve dans Lakhdar, Rachid, Mustapha aussi dans Nedjma. Nedjma n'est pas fictive. Elle a existé. C'est un amour de jeunesse, un amour impossible, parce qu'elle a été mariée à un de ses cousins et c'était donc le drame de sa vie. A force de travailler sur ce personnage, elle est devenue par extension l'Algérie, l'Algérie envahie, une conquête incessante, perdant sa virginité, son identité culturelle et la question lancinante que se pose Kateb Yacine est: quelle est la faute de nos ancêtres? Pourquoi se sont-ils laissés envahir? Une question que personne ne peut comprendre... Jamais peut-être un auteur n'a rendu un hommage aussi sublime, magnifique que Kateb Yacine, pour la femme symbolisée ici à travers Nedjma. Kateb Yacine voulait s'ouvrir à la civilisation arabe qu'on oublie. Il est temps de le rappeler, Si Mokhtar est justement un prototype de cette civilisation arabe. C'est un type pieux, très sincère dans sa foi, mais en même temps dans une sorte de paillardisme, un bon vivant. Il a un côté falstaffien. Il est supposé être le père de Nedjma, cette fille juive marseillaise enlevée par le père de Lakhdar, le père de Rachid. Cela veut dire revenir aux origines, c'est-à-dire dépasser toutes les invasions pour revenir à l'origine. N'avez-vous pas eu peur en jouant ce grand monument de la littérature d'égratigner un peu le personnage? D'abord, ce n'est pas la première fois que je joue Kateb Yacine. C'est l'auteur que j'ai joué le plus dans ma vie. J'ai une grande qualité en étant à Lyon. C'est que j'ai joué les grands auteurs algériens. Je dois rentrer dans le Guinness (rire). J'ai joué tous les auteurs, toutes les générations: Yacine, Dib, Mammeri, Rachid Boudjedra et je dis les textes d'Aziz Chouaki et Kacimi... J'ai fait toutes les générations d'auteurs aussi et même ceux qui ne sont pas adaptés au théâtre. Par exemple, quand un roman algérien sort, c'est à moi qu'on fait appel pour le présenter à Paris. Une façon pour moi de contribuer à la promotion des oeuvres littéraires algériennes. Lakhdar, je l'ai déjà joué en français, en arabe classique dans une merveilleuse traduction de Malika El Abyad Aïssi qui est une poétesse syrienne d'origine algérienne qui a mis un temps fou pour traduire la pièce. L'écriture de Kateb Yacine est tellement différente des autres. Je considère, moi, Lakhdar un peu comme Hamlet. Quand je l'ai joué dans les années 66-67 et quand je l'ai rejoué ici, j'en ai fait un enregistrement public. Vous savez ce que je me dis: comment as-tu osé le jouer il y a longtemps? C'est pour vous dire que dans la vie, c'est l'expérience, la confrontation avec d'autres qui font la personne. C'est maintenant que je dois jouer Lakhdar. Cela fait partie du mystère du théâtre. Ce genre de personnage vous habite. Il peuvent vous rendre visite un soir et vous êtes sublime et un soir, ils peuvent vous quitter et vous êtes mauvais comme un cochon!