«Bab El-Oued dah el oued !» Images de cadavres ensevelis depuis plus de 72 heures sous des tonnes de boue, mais aussi celles de ces centaines de familles sinistrées et abandonnées par l'incurie de l'Etat. Bab El-Oued est toujours noyée sous des tonnes de boue. Des quartiers et des pans entiers de bâtiments sont encore prisonniers de la gadoue et des eaux. Les jeunes de l'association SOS Culture Bab El-Oued se sont déployés dans leur quartier, les Trois-Horloges, portant assistance aux sinistrés, distribuant couvertures et vivres aux familles qui ont tout perdu. Des associations humanitaires internationales, Terre des Hommes et Handicap International, se sont mobilisées la nuit pour acheminer des articles de premiers secours. L'association SOS Culture a perdu trois de ses adhérents... «C'est l'absence totale de l'Etat», s'indigne ce jeune homme éprouvé par les efforts des derniers jours à établir les listes des sinistrés et à tenter d'organiser l'assistance. Juste à côté, à l'école Ali-Amara, des dizaines de familles s'entassent, à raison d'une vingtaine de familles par classe, soit plus de deux cents personnes, hommes, femmes et enfants. Il n'y a ni eau ni électricité et encore moins de toilettes... «Personne n'est venu nous voir ici!», explose le délégué des habitants sinistrés de l'un des trois immeubles. Ils ont tout perdu. Leurs affaires, meubles, papiers administratifs ont été charriés par les violentes inondations. Ils se sont enfuis à trois heures du matin de leurs immeubles, rue Ali Berrazouane, mitoyen de l'école, qui étaient inondés et menaçaient de s'écrouler sur leurs têtes. Le niveau de l'eau montait jusqu'à atteindre 4 à 5 mètres. La boue piégeait les veilleurs au bas de leurs immeubles. Les toits s'effondraient sur des familles entières et les murs se fissuraient dangereusement. Empruntant des voies hasardeuses pour atteindre l'école toute proche, des enfants, des femmes, des vieillards, des familles entières, tentaient d'échapper à cette mort aux trousses. Les escaliers étaient complètement inondés et les entrées d'immeubles obstruées par le flux furieux. Impossible de passer par là! Alors, sautant par-dessus un balcon, et atterrissant sur une terrasse qui, déjà s'affaisse, les habitants de l'immeuble n°6, se sont aventurés, dans le noir absolu, sous la pluie torrentielle et dans une indescriptible panique, en passant par une toiture en tuiles, qui grince encore sous nos pas lorsque nous entamons le terrible et hasardeux périple en sens inverse à partir de l'école. «Je ne réalise pas que j'ai fait ce parcours, et encore, il y avait avec nous des femmes âgées et des bébés», s'étonne notre guide dans cette périlleuse entreprise. Après avoir atteint le mur de l'école, il a fallu à ces familles traverser une étroite bande de ciment d'à peine 40 centimètres de large et sur une hauteur de 7 mètres environ au-dessus de la montée menaçante des eaux. Parcourant une dizaine de mètres dans le tumulte de cette folle nuit, des centaines de personnes accèdent, enfin, à une terrasse de l'école, complètement trempée, ahuries devant l'ampleur du désastre. Mais la nuit s'étend en appréhensions chargées. Même l'établissement scolaire menace de s'effondrer. L'attente est dure, et le lendemain, les crues reprennent de plus belle. L'immeuble, de l'intérieur, présente des fissurations et les toits se sont partiellement effondrés. Sous nos pieds, le plancher tremble à chaque pas, au moindre mouvement. Abandonnés en catastrophe, les appartements sont dans un état de grand désordre. Les vibrations causées par les engins déblayant les rues voisines risquent d'accélérer l'effondrement de ces bâtisses. «Depuis quinze ans, nous n'avons cessé de saisir l'APC, ils se contentaient de nous dire à chaque fois, qu'ils ne pouvaient rien faire pour nous», nous dit ce sinistré. Hier, l'intendante de l'école nous a fait visiter les lieux. La cour est inondée, ainsi que les rez-de-chaussée. La boue s'incruste partout. Selon des chiffres non encore confirmés, l'école a perdu 19 de ses élèves emportés par les eaux. «L'école risque de s'effondrer à tout instant et ses sinistrés sont ici en grand danger», s'inquiète t-elle avant de fulminer: «Nous sommes tout à fait abandonnés, aucune personne de l'Académie ni de l'inspection et encore moins les autres responsables ne sont venus nous voir!». Entassés dans des classes, les sinistrés ne demandent qu'une chose: «Il faut qu'on soit immédiatement relogé, on ne peut passer une nuit de plus dans ces conditions!». Plus haut, à Triolet, d'autres familles sont abandonnées. Un père de famille, M.Kara, dont le domicile situé entre le 16 et le 20 rue Colonel Lotfi, a été rasé par des vagues de boue et d'eau, désespère totalement des autorités. «On n'a pas eu droit à une seule bouchée de pain et moi, d'ailleurs, je ne compte pas sur eux (les autorités publiques NDLR).» De sa poche, il nous sort 40.000 DA, «je n'ai que ça pour tenir les prochains jours!» Pour sauver, à la dernière minute, sa famille de l'écoulement torrentiel de l'eau boueuse, il a dû abattre un pan d'un mur de sa maison, et pour l'instant, c'est la rue. Et la menace d'une autre pluie plane plus que jamais. Les membres de la famille Naït Châabane a, elle aussi, eu la vie sauve, in extremis. «L'Etat ne nous a pas aidés, s'emporte le père, des fourgons sont venus la nuit dernières et nous ont distribué quelques aliments et des couvertures, je ne sais même pas qui ils sont?»