De La bataille d'Alger, à Chroniques des années de braise en passant par Patrouille à l'est et Zabana, les films algériens ont traversé la frontière pour maintenir la mémoire collective et promouvoir la grandeur de la Révolution algérienne. A l'occasion de la célébration du 60e anniversaire du déclenchement de la révolution, plusieurs films algériens sont annoncés durant cette période faste en célébrations et commémorations: parmi les films les plus attendus, le dernier film de Mohamed Lakhdar Hamina, le seul cinéaste arabe et africain à détenir une Palme d'or pour son film «Chroniques des années de braise». Son dernier film Crépuscules des ombres, qui devait être présenté hier à la salle El Mouggar a été reporté pour permettre à tous les acteurs de la révolution d'être présents pour sa présentation. En effet, la présentation du dernier film de la révolution a été programmée en même temps que le grand opéra sur la révolution Malhamet November. Crépuscules des ombres est l'histoire du commandant Saintenac qui est retranché dans sa citadelle au coeur du Grand Erg. Objecteur de conscience, protégé depuis Paris, le soldat Lambert arrive. Il est perçu par Saintenac comme un ver dans le fruit. Seule issue pour le commandant: «Briser ce blanc-bec». Il torture moralement Lambert en torturant physiquement Khaled, ce fils du désert révolté par l'injustice coloniale qui se bat pour sa dignité d'homme libre. Dans une «corvée de bois», Lambert refuse d'exécuter Khaled et désarme le commandant. C'est la fuite vers le désert. Un road-movie infernal. Au-delà de cette sombre page de l'Histoire, entre convictions et doutes, dans le chaos de la guerre d'Algérie, des hommes font face à leur destin.Ce film intervient après plus de 28 ans de silence caméra pour Mohamed Lakhdar Hamina, le plus prolifique réalisateur algérien. Le cinéma sur la révolution a commencé en 1957 Ce film n'est pas le seul qui fêtera les 60 ans de la révolution. L'autre réalisateur Ahmed Rachedi va présenter deux films sur deux importantes figures de la Révolution algérienne: Krim Belkacem et le Colonel Lotfi. Il y a aussi Point de départ du même Ahmed Rachedi sur le déclenchement du 1er Novembre. Ces films font partie des sept projets de cinéma, financés par le ministère des Moudjahidines. Le film Le colonel Lotfi, produit et écrit par Bakhouche, l'auteur et producteur de Benboulaïd. C'est d'ailleurs ce film qui a ouvert le bal des hommages aux héros de la révolution. Pour certains spécialistes comme Boukhalfa Amazit, conseiller pour les films sur la Révolution d'Ahmed Rachedi «le parcours des héros de la Révolution, a une histoire déjà bien tracée, un scénario prêt, il suffit que de le mettre en images». Mais le parcours de certains révolutionnaires est difficile à illustrer en images, affirme une source au niveau du ministère des Moudjahidine, c'est le cas de Abane Ramdane qui a été assassiné au Maroc ou encore Krim Belkacem qui a été assassiné après l'indépendance en exil. Les révolutionnaires qui ont une fin héroïque sont les plus visés par les producteurs et les scénaristes, c'est le cas de Benboulaïd, assassiné par une radio piégée, les colonels Lotfi et Bouguerra qui sont morts sur le champ de bataille ou encore Larbi Ben M'hidi qui a été assassiné par Aussaresses. La majorité des films sur la révolution ont été réalisés par des cinéastes qui ont vécu la guerre ou parfois y ont participé comme Lakhdar Hamina, Amar Laskri et Ahmed Rachedi. Deux jeunes cinéastes nés après l'indépendance, ont fait des films sur la révolution: Lyès Salem qui réalisa son film El Wahrani et Lotfi Bouchouchi qui réalisa Les puits. Si le second a été inspiré par son père Youcef qui travailla comme assistant sur la bataille d'Alger et réalisa plusieurs documentaires sur la révolution, le premier (Lyès Salem) a voulu traduire dans son film sa vision personnelle sur la Révolution algérienne transmise par le parcours des membres de sa famille qui ont été des héros de la révolution. Il faut dire d'abord, que les cinéastes algériens ont payé un lourd tribut durant la guerre (une dizaine de morts durant la guerre, parmi eux l'un des plus grands espoirs du cinéma algérien Ali Djenaoui). Dès 1957, les cinéastes connaissent organisation et formation, grâce à l'aide notamment de jeunes cinéastes français qui ont rejoint l'ALN. Officiellement, la première collaboration cinématographique algéro-française est un court-métrage documentaire réalisé en 1956 par Cécile Decugis, intitulé Les Réfugiés. Tourné en 1956, ce film de 14 mn est un reportage sur les déportations-déplacements de population: regroupements et exils tunisiens. L'auteure, qui a fait cette production dans un cadre privé avec l'armée algérienne, a été emprisonnée en France deux ans pour ce court-métrage documentaire. Il faut dire que certains cinéastes français, proches de la gauche, ont longuement soutenu la guerre de Libération contre la France. Ils ne se contentaient pas seulement de signer des pétitions, mais ils faisaient aussi des films et formaient les futurs cinéastes algériens, comme Mohamed Lakhdar Hamina ou Ahmed Rachedi. Le plus connu et médiatisé est Vautier René qui entama sa collaboration avec l'Algérie en réalisant Une nation, l'Algérie, en 1957. Un autre cinéaste français travaillera avec le FLN en 1958, Pierre Clément, qui réalisera un documentaire L'ALN au combat. Comme Vautier, Clément rejoint le FLN. Arrêté en 1958, il est condamné à 10 ans de prison. Mais le film qui fera très mal aux autorités françaises a été Sakiet-Sidi-Youssef tourné conjointement par Pierre Clément et René Vautier. Réalisé à la demande de Frantz Fanon et de Abane Ramdane, pour le service cinéma FLN, le film expose l'acte illégal du bombardement en 1958 d'un village tunisien à la frontière avec l'Algérie, Sakiet-Sidi-Youssef. Un témoignage filmé qui provoqua une condamnation internationale de la France. Entre-temps, René Vautier réalise un autre film Algérie en flammes, un film, de 23 mn en 16 mm, de démystification de la propagande française, tourné en grande partie clandestinement en Algérie en 1956-1957. Développé en Allemagne de l'Est, le film est montré à des Algériens au Caire. Le Gpra lance son service cinéma Dès lors, le Gpra, (le Gouvernement provisoire de la République algérienne), conscient de l'importance de l'image et du cinéma dans la cause de la guerre de Libération, va se doter d'un service cinéma. C'est d'ailleurs le premier service cinéma dans l'histoire d'une organisation révolutionnaire. Entre 1960 et 1961, Chanderli Djamel, Pierre Chaulet, Lakhdar Hamina et René Vautier réalisent Djazaïrouna (Notre Algérie). En 1961, la même équipe Chanderli Lakdar Hamina et Serge Michel, réalisera, pour le compte du Gpra, Les Fusils de la liberté, un moyen métrage sur la base d'un scénario de Serge Michel. Après l'Indépendance en 1962, ces cinéastes français, qui avaient contribué aux premières coproductions algéro-françaises et surtout aidé les Algériens à se doter d'une machine cinématographique efficace, retournent en France. Accusés d'avoir collaboré avec le FLN et d'avoir établi un service de cinéma de propagande contre la France, ils seront confrontés à la justice et surtout bannis du circuit des aides accordées par le cinéma français. Les Français qui ont épousé la cause des Algériens vont contribuer alors à la création, en 1964, de la première institution cinématographique algérienne, la Cinémathèque, et certains techniciens français vont même enseigner dans l'Institut algérien du cinéma. L'aide des pays occidentaux. Mais très vite, les Algériens ont compris qu'il fallait demander l'aide d'autres pays occidentaux pour développer leur cinéma. Alors ils vont opter pour l'Italie afin de réaliser les premières coproductions post-indépendance. C'est Yacef Saâdi, l'ancien chef de la Zone autonome durant la bataille d'Alger, qui va établir ce contact, avec sa société de production privée Casbah Film et va coproduire avec l'Italie et Gillo Pentecorvo, le film le plus dérangeant pour le gouvernement français La Bataille d'Alger. Le film sera refusé à Cannes et n'obtiendra son visa d'exploitation en France qu'en 1972, avant d'être retiré à cause des menaces de l'extrême droite. Cet épisode des relations cinématographiques algéro-françaises irrita énormément le président Boumediene qui demanda à ses ministres d'offrir toute l'aide et la logistique aux cinéastes algériens et de multiplier la production de films sur la guerre de Libération. Un cinéma que les Français qualifieront de cinéma de propagande, puisqu'il a un seul objectif, dénoncer les affres de la colonisation française. L'Institut du cinéma est fermé une année après sa création et les jeunes réalisateurs stagiaires seront envoyés en Urss, en Yougoslavie et en Pologne (des pays socialistes, amis de l'Algérie) pour se former. La France ne fait pas alors partie des soutiens du cinéma algérien. Même s'ils ne coproduiront pas leurs films avec la France, de nombreux films de guerre algériens de qualité seront réalisés avec les meilleurs comédiens et des techniciens français, en coproduction avec de petites entreprises cinématographiques françaises. C'est le cas de Jean-Louis Trintignant et Marie-José Nat dans L'Opium et le bâton, Bernard Fresson dans Autopsie d'un complot, Michel Auclair et Jean-Claude Berg dans Décembre. Ce dernier joua dans plusieurs films algériens le rôle très convaincant du militaire, et le compositeur Phillipe Arthuys fera toutes les musiques des films de Lakhdar Hamina et de Ahmed Rachedi. Des comédiens français qui, en plus de jouer les rôles parfois difficiles de militaires, avaient épousé la cause de la guerre pour l'indépendance de l'Algérie. Et dès la création de l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (Oncic) en 1968, le cinéma algérien connaîtra durant plus d'une décennie (entre 1970 et 1980) une véritable explosion culturelle, devenant le digne représentant du cinéma africain et arabe. S'inscrivant dans la même ligne politique du pouvoir, le cinéma algérien est devenu le défenseur des causes arabe, palestinienne et surtout le promoteur d'un «cinéma non aligné». Une période faste puisque de 1969 à 1980, plus de 40 films algériens seront réalisés essentiellement sur la Guerre de Libération: Patrouille à l'est (1971), de Amar Laskri, L'Opium et le bâton (1969), de Ahmed Rachedi, Les Hors-la-loi (1969), de Tawfik Farès, ou encore La Voie (1968), de Mohamed Slim Riad. Des films qui seront interdits dans les festivals européens et surtout français et qui seront consacrés seulement dans des festivals plus proches du pôle socialiste comme le festival de Moscou, de Damas ou de Tachkent. Il a fallu attendre 1975 pour voir un cinéaste algérien consacré, Mohamed Lakhdar Hamina, lauréat de la Palme d'or au festival de Cannes avec son film Chroniques des années de braise. Une fresque de trois heures qui résume les différentes étapes de la Révolution algérienne. Alors qu'au même moment, d'autres cinéastes algériens issus de l'émigration s'exprimeront sur la guerre d'Algérie à partir de la France. Ainsi on découvrira Touita Okacha, avec Les Sacrifiés. Un film produit par la France, qui sera mal vu par Alger, puisqu'il dénonce les luttes des Algériens en France et les sanglants affrontements MNA-FLN à Nanterre en 1955. En 1985, Mahmoud Zemmouri, soutenu par Mohamed Lakhdar Hamina, a réalisé les Folles années du twist, une parodie sur la guerre d'Algérie qui déplaira aux cinéastes algériens locaux qui vont jusqu'à signer une pétition pour exiger le départ de Mohamed Lakhdar Hamina de l'Oncic, puissant organisme d'Etat chargé de la production et de l'exploitation de film algérien. Mais le film, qui effectuera un grand pas dans le rapprochement d'Etat à Etat, a été réalisé en 1993 C'était la guerre, un téléfilm réalisé conjointement par Failevic Maurice et Rachedi Ahmed. Un téléfilm de 180 mn en deux parties, produit à la fois par des privés et des télévisions publiques française et algérienne. Tourné dans la région de Bou Saâda en 1992, le film est inspiré d'un récit signé Jean-Claude Carrière (La Paix des braves) et du commandant Azzedine (On nous appelait fellaghas). La guerre décrite dans un lieu limité, entre 1957 et 1960, par des militants algériens et par des soldats français. Le film devait être diffusé en même temps par France Télévisions et l'Entv. Finalement, seul le côté français diffusera sa copie, à Alger on n'avait pas apprécié la description faite des moudjahidine. Entre 1990 et 2007, aucun film algérien ne sera fait sur le thème de la révolution. Les cinéastes se tourneront vers d'autres thèmes: les films prônant la liberté d'expression, dénonçant l'intégrisme, le terrorisme et la corruption. Il fallait attendre 2008 avec la sortie du film Benboulaïd, réalisé par un spécialiste des films sur la révolution, Ahmed Rachedi, pour que l'Algérie reprenne cette rhétorique sur le cinéma et la révolution.