Il offrait, hier, au quatrième jour des inondations, l'image d'un quartier qui a survécu à un déluge. Au-dessous des gravats, des dizaines de corps attendent la main des sauveteurs à l'intérieur de plusieurs chantiers en activité... Déblaiement, évacuation et opérations pour dégager les routes. Un souhait: que toutes les victimes soient dégagées avant les prochaines intempéries. Les sauveteurs: pompiers, militaires, policiers et des centaines de citoyens n'arrêtent pas de creuser dans tout Bab El-Oued. De véritables fourmis qui cherchent à déterrer des cadavres pour les enterrer avant qu'il ne soit trop tard. Dans trois jours, ce sera le ramadan. «Il ne faut pas perdre de temps... Cherchez même sans moyens.» La voix du pompier s'est perdue dans les cris des Ouled el-Houma. «Par-là, on a découvert un autre corps». Il est 11h et c'est la cinquième victime qui vient d'être dégagée de la boue. Au marché Triolet, les sauveteurs se sont multipliés. Le manque de moyens a mis les citoyens, qui se sont portés volontaires, dans une colère rouge. Ils font quand même avec. A 13h30 min un vieillard enfoui dans une maison effondrée a été dégagé par un groupe de jeunes. Le camion sapeur arrive pour l'évacuation. Les recherches gagnent en intensité. Deux autres corps ont été déterrés dix minutes plus tard: un homme et une femme. A ce moment, l'odeur de putréfaction devient insupportable. Les sauveteurs continuent de fouiller et de creuser malgré tout. A 14h, dix mètres plus loin, tout le monde se retourne. Plusieurs gosiers crient en même temps «Venez vite, il y a ici deux autres corps.» A l'oeuvre, il a fallu plus d'une demi-heure pour dégager les deux victimes (un homme et une femme). Alors, les gens se regardent sans ouvrir la bouche, mais tout le monde comprend. «Nous sommes sur un énorme cimetière.» Effectivement, l'espace mitoyen du marché a été enseveli par des couches de boue et de gravats et, depuis samedi, un nombre indéterminé de corps en est prisonnier. Peu après 14h, les pompiers marocains arrivent sur les lieux. L'unité que commande un officier quadragénaire est composée de 30 personnes. Il nous explique que ses éléments sont à Alger depuis dimanche. Ils sont là pour aider au sauvetage dans le cadre «des relations fraternelles avec le peuple algérien». Quand on lui demande son avis sur la mission, il dira: «Toutes les opérations de sauvetage sont difficiles, mais jamais impossibles.» Les Marocains s'attaquent donc à un périmètre nouveau. Plus bas que le marché où plane l'odeur des cadavres, de véritables chantiers ont été entrepris par les militaires pour dégager les ruelles. On se rend compte, sur les lieux, que la tâche est ardue. Il faudrait déblayer et transporter des centaines de tonnes de gravats et de boue. Les hommes de l'ANP sont appelés aussi à déplacer un nombre important de carcasses de voitures, de bus et de camions. En dépit des difficultés, on a remarqué que le déblaiement se fait progressivement. Il est 17h du côté de l'hôpital Maillot quand une procession de camions chargés de boue prend la direction de la mer. A cette heure-ci, quelques rues de Bab El-Oued commencent à retrouver leur beauté d'avant-samedi. Il ne s'agit cependant que d'un début, car beaucoup de travail reste à faire. Un travail, disons-le encore une fois, qui se fait dans des conditions terribles d'autant que le pain a été vendu à 20 DA, les bougies à 300 DA et les bouteilles de gaz à 200 DA. Il y a comme ça, des gens qui ne rougissent pas à manger dans la chair d'un cadavre. D'ailleurs, la colère des citoyens était très visible hier. Ils veulent crier leur rage.