La Tunisie, pays initiateur de la vague de révoltes baptisée «Printemps arabe», est entrée depuis trois jours en campagne pour la première élection présidentielle de l' après - révolution, dans une course où l'ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi, 88 ans, apparaît grandement favori, surtout après la victoire de son parti «bourguibien», Nidaa Tounès, aux récentes élections législatives. 27 candidats sont en lice pour le scrutin du 23 novembre. Parmi eux, figurent le président sortant Moncef Marzouki, une femme magistrate Kalthoum Kannou, le milliardaire patron de Syphax Airways ainsi que d'anciens ministres de l'ex-président Zine El Abidine Ben Ali, renversé en janvier 2011 par un soulèvement populaire qui l'a emporté au terme de 23 années de pouvoir. Si aucun des candidats n'obtient la majorité absolue des suffrages dès le premier tour, ce sera la porte ouverte pour un deuxième tour qui est prévu à la fin du mois de décembre. Ce sera la première fois que les Tunisiens iront voter librement pour élire le chef de l'Etat. De 1956, date du recouvrement de la souveraineté nationale, jusqu'à la révolution, le pays n'a compté que deux présidents: Habib Bourguiba, le «père de l'indépendance» déposé un 7 novembre 1987, suite à un coup d'Etat du Premier ministre, Zine el Abidine Ben Ali, qui allait s'installer au Palais de Carthage pour un règne sans partage jusqu'au 14 janvier 2011. «Chat échaudé craint l'eau froide», les Tunisiens ne veulent en aucun cas subir une nouvelle dictature, et pour cela la toute jeune Constitution, adoptée en janvier dernier, restreint considérablement les pouvoirs du futur chef de l'Etat, conférant l'essentiel des prérogatives de gestion au Premier ministre qui est issu de la majorité parlementaire. Malgré son âge certain, l'incontournable Béji Caïd Essebsi part largement favori. Ministre de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères sous Bourguiba, puis président du Parlement en 1990-1991 sous Ben Ali, ce brillant hérault des différents régimes qui se sont succédé en Tunisie, depuis le dernier bey à l'après - Benali, est un catalyseur non seulement des espoirs mais aussi et surtout des craintes du peuple tunisien qui refuse l'aventurisme d'une expérience à la libyenne. Béji Caïd Essebsi a promis de redorer le blason de l'Etat, un objectif prioritaire pour un grand nombre de Tunisiens, lassés des crises successives qui ont laminé l'espérance d'un peuple au lendemain de la fuite échevelée de Ben Ali. Conscient de porter ce regain d'espoir auquel s'accroche la Tunisie toute entière, Caïd Essebsi a engagé dimanche dernier sa campagne au niveau du mausolée de Bourguiba, à Monastir. Tout un symbole! Pour ses militants de «Nidaa Tounès» comme pour ses partisans, il est le seul en mesure de s'opposer, dans le contexte actuel, aux islamistes, mais pour ceux qui redoutent un retour des méthodes du sérail allant jusqu'à la résurgence des figures de l'ancien régime, il incarne à lui tout seul les bons et les mauvais points de tout un système dont la jeunesse tunisienne se méfie tant il semble loin des idéaux de la révolution qu'elle a imprimée. S'il se dit volontiers «porteur d'un projet qui est de ramener la Tunisie à un Etat du XXIe siècle», Béji Caïd Essebsi paraît parfaitement conscient de ce procès d'intention, mais du fait même qu'il se pose et s'impose comme le rempart exceptionnel à toute dérive extrémiste, il n'aura aucun mal à réunir le consensus le plus large au sein de l'électorat tunisien. Ennahda, deuxième force politique tunisienne après avoir remporté aux législatives du 26 octobre dernier, 69 sièges sur les 217 de l'Assemblée des représentants du peuple (contre 85 pour Nidaa Tounès), cherche à tâtons qui appuyer dans cette élection où elle n'a pas son propre candidat pour cause de refus du suffrage universel. Ce ne sera pas Moncef Marzouki, allié inconstant et décevant du parti islamiste depuis 2011, et le conseil de la choura doit trancher dans le vif au cours des tout prochains jours. Il se peut que ce soit l'homme d'affaires Slim Riahi qui obtienne l'onction d'Ennahda, plutôt que le président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaâfar. Celui-ci tente de mobiliser les socio - démocrates pour faire barrage à Béji Caïd Essebsi mais sa démarche n'est pas pour séduire des islamistes qui ne veulent pas rééditer l'expérience Marzouki. Par-delà l'instabilité qui plombe le pays depuis la fuite de Ben Ali, la Tunisie tente par tous les moyens de résister à la vague de violences et de désagrégation qui a submergé les autres pays victimes du «Printemps arabe» (sic), concocté dans des officines dignes de l'époque où les conquêtes coloniales étaient à leur zénith. Cette quête, à l'heure d'un Maghreb plus que jamais incertain, ne serait-ce qu'au regard de ce qui se passe en Libye, se déroule dans une phase où le peuple tunisien affronte de réels défis, parmi lesquels la menace des groupes armés islamistes, responsables de l'assassinat de nombreux soldats et policiers ainsi que de deux personnalités politiques, l'angoisse d'une économie anémiée et un chômage patent dont les jeunes diplômés sont les victimes expiatoires. Autant d'ingrédients qui font planer le risque d'une nouvelle secousse et qui rendent la tâche du futur président bien plus qu'honorifique tant il faudra convaincre les partenaires étrangers que le danger est transcendé...