Un front uni contre Boko Haram «Nous sommes agacés de faire cette guerre tout seuls», soupire un officier. Alors que les attaques de Boko Haram se multiplient au Cameroun, de plus en plus de voix s'élèvent dans l'armée pour dénoncer l'inaction du Nigeria. «Les attaques dirigées contre notre territoire viennent d'un pays voisin (Nigeria) qui se dit souverain et ne fait rien», fustige un responsable du ministère de la Défense sous couvert d'anonymat. Pour lui, le Cameroun mène «une guerre par procuration». Depuis des mois dans le nord Cameroun, l'armée sous pression tente de contenir les incursions de Boko Haram. Et le groupe nigérian ne se contente plus de massacrer des civils et de faire des razzias dans les villages, il attaque aujourd'hui directement les bases militaires camerounaises. «On est tout seul au front», renchérit un commandant du Bataillon d'intervention rapide (BIR), une unité d'élite formée par les Israéliens aujourd'hui en première ligne face aux islamistes. De l'autre côté de la frontière, dans le nord-est du Nigeria, Boko Haram contrôle désormais des pans entiers de territoire désertés par les autorités locales, et où les populations ont été abandonnées à leur sort. Ainsi à Amchidé, ville à cheval sur les deux pays, les soldats camerounais font directement face à l'ennemi, installé de l'autre côté du pont qui matérialise la frontière après avoir mis en déroute l'armée nigériane. Seul un inquiétant no man's land de ruelles poussiéreuses et désertes les sépare désormais. C'est là qu'une base camerounaise a été prise d'assaut mi-octobre par des combattants islamistes emmenés par un blindé. «A chaque fois que Boko Haram s'empare d'une ville nigériane, ils récupèrent tout le matériel militaire sur place. Donc maintenant ils ont vraiment des armements lourds», explique une source proche des services de renseignements. A plusieurs reprises ces derniers mois, le Cameroun a même accueilli sur son sol des soldats nigérians fuyant la progression fulgurante du groupe islamiste dans leur pays. Début août, 500 d'entre eux ont ainsi franchi la frontière. Selon l'armée nigériane, il ne s'agissait pas d'une fuite mais d'une «manoeuvre tactique de charge à travers la frontière». Le Cameroun a d'abord été très critiqué par ses voisins, mais aussi par la France, qui l'accusaient de passivité face aux agissements de Boko Haram. Pendant des années, Boko Haram, qui commettait des attentats au Nigeria, se servait essentiellement du territoire camerounais comme base arrière pour se reposer, se ravitailler en armes et en nourriture. Mais la donne a changé depuis les enlèvements de la famille française Moulin-Fournier et de religieux occidentaux dans le nord Cameroun en 2013. Dans l'extrême nord du pays, le président Paul Biya a décidé d'envoyer d'importants renforts militaires avec l'opération «Alpha» pour contrer les attaques islamistes. Environ 2000 hommes ont ainsi été déployés, mais il en faudrait beaucoup plus pour contrôler une cette frontalière extrêmement poreuse, selon des sources sécuritaires. «Nous souhaitons que l'aide des uns et des autres, la communauté internationale, nous permette de mettre un terme le plus rapidement possible à cette agression», affirme le porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary. En mai, le Nigeria et trois pays limitrophes (Cameroun, Niger et Tchad) ont adopté à Paris, sous l'égide de la France, un plan de riposte contre la secte islamiste nigériane prévoyant notamment une meilleure coordination du renseignement, l'échange d'informations, une surveillance commune des frontières et une capacité d'intervention en cas de danger. Le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger se sont engagés à déployer chacun 700 soldats dans la zone du lac Tchad d'ici fin novembre. «Le Cameroun a déjà dépêché dans la région 300 hommes de la marine. Le Tchad et le Niger sont dans de bonnes dispositions à fournir des troupes, mais c'est moins certain pour ce qui est du Nigeria», observe un responsable de l'armée camerounaise.