La classe politique, hier encore, trouvait du mal à réagir à une pareille annonce. Le général Mohamed Lamari n'est plus le premier responsable de l'Armée nationale populaire (ANP). Le général Salah Ahmed Gaïd, commandant des forces terrestres, est depuis hier nommé nouveau chef d'état-major. Un communiqué laconique de la présidence de la République, répercuté hier par l'agence officielle de presse, indique en quelques mots à peine que: «Le président de la République, chef suprême des forces armées, ministre de la Défense nationale, M.Abdelaziz Bouteflika, a reçu le général de corps d'armée Mohamed Lamari, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire, qui lui a présenté sa démission pour raisons de santé». Le communiqué ajoute que «cette démission a été acceptée par le président de la République qui a nommé le général-major Salah Ahmed Gaïd, commandant des forces terrestres, en qualité de chef d'état-major de l'Armée nationale populaire». Voilà pour l'information. Impossible d'en savoir plus puisque tous les services concernés étaient hier inscrits aux abonnés absents. Aussi, la voie peut-elle s'ouvrir aux questionnements et autres spéculations. A la faveur de la visite de la ministre de la Défense française à Alger, le 17 juillet passé, nous découvrions que le général Lamari n'était pas en poste, et que le chef des forces terrestres assurait son intérim. Prié de s'expliquer sur une question aussi épineuse lors d'une conférence de presse conjointe avec la responsable française, notre ministre de l'Intérieur indiquait, sans convaincre personne, comme la preuve vient d'en être administrée, que le général Lamari serait simplement en congé et reprendrait ses fonctions le 22 du mois passé. L'Algérie vit ainsi un tournant historique, inédit dans ses annales politiques. C'est en effet la première fois qu'un chef militaire de cette envergure, qui a trôné à la tête des forces armées pendant plus de dix années, et qui a joué un rôle de premier plan dans la lutte antiterroriste et les choix politiques du pays, décide de son propre gré de s'en aller. Cela présage, comme le soulignent tous les observateurs avertis de la scène politique nationale, d'une véritable refondation des rapports de forces entre politiques et militaires. L'article 77 de la Constitution, citant les dix grandes prérogatives du chef de l'Etat, en fait «le chef suprême de toutes les forces armées de la République (...) le responsable de la défense nationale (mais aussi celui qui) arrête et conduit la politique extérieure de la nation». Ce sera désormais le cas. Depuis que celui qui affirmait refuser d'être «un trois quarts de président», a dépassé les entraves liées à son premier mandat en décrochant un véritable plébiscite pour le second, il ne fait aucun doute que le pouvoir politique, pour ne pas dire plus directement l'Institution présidentielle, jouit d'un ascendant total sur le pouvoir militaire. Mieux, si l'on en croit les mêmes sources, qui se bornent à faire de la simple analyse prospective, «la nomination du général-major Gaïd Salah est une suite logique, compte tenu de ses fonctions initiales de chef des forces terrestres, mais aussi de plus ancien des officiers supérieurs jouissant du grade de général-major». En clair, cette nomination, rendue nécessaire par «l'urgence» du moment, puisqu'il serait tout à fait superfétatoire de rappeler que des «passes d'armes à fleurets mouchetés» ont émaillé les relations entre le président et son ancien chef d'état-major, en annoncerait d'autres dans un avenir assez proche, peut-être à l'occasion du cinquantenaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Bouteflika, on s'en souvient, avait tenu à décorer personnellement les dix généraux et les quatre généraux-majors promus le 5 juillet passé. Un remaniement profond dans toutes les chaînes de commandement militaire, sinon nécessaire, du moins possible, depuis le «départ» du général Lamari, pourrait donc se faire dans les tout prochains mois. La professionnalisation de l'Armée, qui exige la présence d'officiers moins marqués par les années de lutte contre le colonialisme et la guerre froide, mais aussi très au fait des techniques nouvelles de la guerre moderne, passerait en partie par la nomination aux postes de commandement clés de militaires post-indépendance. Il est vrai que le «bras de fer», si bras de fer il y a eu, n'a pas été «homérique» dans le sens «dantesque» où on pourrait l'entendre. Le général Lamari, dans toutes les sorties médiatiques qui avaient précédé la présidentielle, confirmait la neutralité de l'institution aux destinées de laquelle il présidait, mettait l'accent sur l'accomplissement de sa mission consistant à sauver la démocratie et le régime républicain et, partant, le fait qu'il ne voyait guère d'inconvénients à partir, ou à ce qu'un civil occupât le poste de ministre de la Défense. Voilà qui est fait. Bouteflika qui a remporté haut la main une manche dans laquelle ses prédécesseurs s'étaient tous cassé les dents, a désormais les coudées franches pour mener à bien l'ensemble de ses promesses.