Quelle que soit l'issue du scrutin, il faut admettre que la Tunisie a triomphé dans cette étape de transition Le nord est favorable à Essebsi, démographiquement important, alors que l'électorat sudiste soutient Marzouki. Le 23 novembre 2014, les Tunisiens se sont rendus aux urnes en participant à la 11e élection présidentielle depuis l'instauration de la République, en vue d'élire à la majorité absolue, au suffrage universel, libre, secret et direct pour un mandat de cinq ans, le futur président de la République, conformément à la Constitution en vigueur depuis le 7 février 2014. Les Tunisiens à l'étranger ont voté à partir du vendredi 21 novembre 2014. Tout électeur ou électrice âgé d'au moins 35 ans, de confession musulmane, peut se porter candidat au fauteuil présidentiel. Si le candidat a la double nationalité, il doit s'engager à renoncer à la nationalité étrangère s'il est élu. 27 candidats, (dont une femme) étaient en compétition parce que définitivement acceptés, alors que 42 candidatures ont été rejetées, cinq ont déclaré se retirer durant la compétition mais leur retrait a été rejeté. Aucun des candidats n'a pu atteindre la majorité au premier tour. Un second tour sera organisé la semaine qui suit l'annonce des résultats définitifs du premier tour pour départager les deux premiers candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix, en tête Caïd Essebsi, suivi du président sortant Marzouki. Si l'un de ces deux candidats décède, un nouvel appel à candidatures est lancé pour une nouvelle élection présidentielle dans un délai n'excédant pas les 45 jours. La candidature à la magistrature suprême est limitée à deux mandats. Toute candidature à l'élection présidentielle doit être introduite sur la base de 10 000 signatures nécessaires ou verser 10.000 dinars tunisiens de garantie. C'est une véritable réussite pour un pays arabe traversé par «le printemps arabe» quant au bon déroulement de ce premier scrutin. Le second tour constitue le dernier maillon dans le cadre de la stabilité institutionnelle du pays. L'aspect sécuritaire Depuis les élections législatives et à la veille du scrutin présidentiel, une stratégie sécuritaire a été étudiée minutieusement et mise en place pour assurer une réussite totale au processus électoral, indispensable à une stabilité institutionnelle du pays. Il s'agit de protéger les candidats à la présidentielle contre toute menace terroriste, préserver les citoyens contre toute agression physique ou d'intimidation pour le bon déroulement du vote, notamment à la suite de menaces à travers des communiqués des djihadistes ayant visé certaines personnalités politiques. Le candidat le plus visé, le favori de cette élection présidentielle, est le leader du mouvement Nidaa Tounès, le sieur Béji Caïd Essebsi dont plusieurs tentatives d'assassinat ont été jusqu'à présent déjouées. D'autre part, l'attention des personnalités politiques visées a été attirée sur le fait de prendre toutes les précautions utiles lors de tous déplacements. La transition démocratique C'est une réussite en Tunisie. Cela témoigne de la maturité exemplaire de la société tunisienne. Cependant, quelques contradictions sont à soulever: -la jeunesse, hier, fer de lance de la rébellion, se trouve marginalisée du processus de mise en oeuvre de l'accès aux responsabilités post-révolution, Celle-ci considère que sa révolution lui a été confisquée (le seul point commun avec l'Egypte). Elle a brillé par son absence lors des scrutins d'autant que le chômage a aggravé davantage sa situation. -les masses populaires ont perdu confiance en l'élite politique dont plusieurs caciques du régime ancien ont refait surface, notamment dans le camp d'Essebsi et donnent parfois l'image d'influer sur les diverses orientations politiques. Ces deux éléments peuvent constituer demain une source pour des candidats au djihad, d'autant qu'on signale que des milliers de jeunes Tunisiens ont rejoint l'Etat islamique en Syrie. Le chiffre avancé donne froid au dos pour une population tunisienne qui avoisine les 11 millions seulement. La maturité des Tunisiens Lors des élections législatives, la société tunisienne a surpris les observateurs politiques en faisant un véritable tri parmi les 1300 listes présentées au scrutin et en faisant reculer les islamistes. Elle a su de nouveau mettre en valeur les deux Hommes que tout oppose pour un véritable duel digne d'intérêt pour le second tour. Deux candidats potentiels avec deux projets de société opposés. Il y a d'abord l'âge qui les sépare. Le parcours de l'un est complètement le contraire de l'autre. Essebsi table sur le retour de l'autorité de l'Etat qui conditionne la sécurité et les investissements étrangers à même de garantir une réduction appréciable du chômage. Quant à Marzouki, il se considère comme le successeur légitime post-révolution. Il souhaite le démantèlement de l'ancien régime et la mise en place d'un nouveau système politique à même de répondre aux aspirations légitimes des masses populaires, stimuler un processus de remobilisation du peuple pour un changement réel. Enfin, il propose un débat public avec son rival, chose inédite dans un pays arabe. Tous s'accordent à donner Béji Caïd Essebsi, le leader de NidaaTounès, le clan des laïcs, comme favori face au président sortant Moncef Marzouki, dont le clan a subi un revers désastreux aux législatives. Mais rien n'est joué. La question sécuritaire qui ne cesse de s'aggraver dans la Tunisie profonde où le terrorisme a trouvé un terrain fertile dans le Sud, ravivé par le clivage nord-sud, le sahel, (les côtiers) qui détient et concentre entre ses mains le véritable pouvoir par rapport aux gens du Sud qui stagnent dans des postes subalternes. L'électorat et les alliances politiques Le nord est favorable à Essebci, démographiquement important, alors que l'électorat sudiste soutient Marzouki. La division du peuple entre laïcs et islamistes, le clivage Nord-Sud qui remonte à la surface après la révolution, l'ascension de la pauvreté, le chômage grimpant de la jeunesse sont autant de facteurs majeurs de la société tunisienne. La société civile où les femmes jouent un rôle prédominant serait plutôt favorable à se mobiliser derrière Essebsi et lui assurer le succès, nostalgie de Bourguiba puis de Ben Ali, sous l'impulsion de son épouse, Mme Leila Trabelsi pour assurer la liberté à la femme tunisienne jalousée par sa consoeur arabe. Marzouki a le soutien de l'électorat de l'étranger, d'une bonne partie de la gauche, la mobilisation de l'appareil organisé et structuré des islamistes si parfois ils se déclarent ouvertement en sa faveur. Tous ces éléments peuvent combler les six points qui le séparent de son rival issus du premier tour. Enfin, quelle que soit l'issue du scrutin en faveur de l'un, il faut admettre que la Tunisie a triomphé dans cette étape de transition, et ouvre une nouvelle page d'histoire du pays. Les limites imposées par la Constitution à l'intervention du président de la République dans la vie politique et la netteté constitutionnelle des domaines réservés au Président, font que le gouvernement issu des partis siégeant au Parlement est le grand responsable des solutions à apporter. Dans tout ce processus réussi de la transition démocratique pour un pays arabe traversé par «le printemps arabe», les tâches colossales sont celles que devra affronter le futur gouvernement issu des institutions achevées. C'est en fait, la véritable gestion du pays qui décidera de son avenir et dont dépendra sa stabilité.