En récupérant le dernier carré qu'il n'a eu de cesse de réclamer, Bouteflika arrache, sans coup férir, son statut de président à part entière. Si certains voient en lui le maître à la poigne de fer qui mettrait fin à l'immobilisme et redorerait le blason d'une Algérie dont l'image est ternie par une décennie noire, d'autres craignent que cet infini pouvoir qu'il a désormais entre les mains, au moins pour un quinquennat, ne dérape sur une dictature. Deux thèses diamétralement opposées représentatives de deux classes rivales ayant pour chacune d'elles des intérêts précis. La fracture qui s'est produite lors du dernier rendez-vous présidentiel transparaît à travers une certaine résignation. Aucune voix discordante ne vient perturber la monotonie ambiante. L'impression que tout se met en place par la grâce d'une force tranquille corrobore cette tendance à penser qu'un changement radical est en train de s'opérer. Le président vient d'effectuer des aménagements dans les rangs de l'armée. Mohamed Lamari et son bras droit Brahim Fodil Cherif, deux figures de proue de la lutte antiterroriste ne font plus partie du cercle des décideurs. Un souci de moins pour le chef suprême des armées qui va pouvoir poursuivre son programme sans être contrarié ni freiné dans son élan. C'était prévisible, diront les observateurs avisés car l'opinion publique était psychologiquement préparée à l'éventualité du changement depuis pratiquement le 8 avril et on s'attend à ce qu'il touche toutes les institutions. Cela entre dans le cadre des réformes globales qui tendraient à donner un coup de pied dans la fourmilière. Le président a choisi de mener sa barque en douceur, par étapes et sans faire de remous. Les profondes mutations dont il est question, se feront progressivement. Elles ont d'abord touché la classe politique quasiment groggy par les dernières élections. Certains partis s'auto-dissoudront naturellement par manque d'ancrage. D'autres, s'ils font preuve de doigté arriveront sûrement à tirer leur épingle du jeu. Ceux-là survivront à la déferlante. Quant à ceux qui nagent à contre -courant, ils feront certainement long feu. Le mouvement associatif sera réduit à sa plus simple expression. Il n'aura qu'un rôle primaire à jouer. Sa mission s'étant achevée lors de la campagne présidentielle. Les syndicats autonomes dont la vocation est la revendication, ne pèseront pas beaucoup dans la balance. N'ayant pour la plupart pas été agréés, ils n'ont donc pas le droit d'activer. Ils risquent de tomber sous le coup de la loi s'ils manifestent la moindre contestation. Quant à l'Ugta qui règne en maître sur le monde du travail, elle a rallié le camp du président. Cette organisation tant qu'elle se tient à carreau ne constitue nullement une menace. La presse qui a droit à un traitement particulier connaît aussi un infléchissement. D'ailleurs la machine a bel et bien été mise en branle pour mettre à exécution ce projet de «remodelage» de la société de fond en comble. Nul besoin d'être un fin politologue pour constater les signes avant-coureurs qui préfigurent de cette recomposition tant sur les plans politique, économique que social: la déconfiture du paysage politique, le ralliement des islamistes, le laminage des partis politiques et la mise au pas de la presse qui a commencé avec l'emprisonnement de journalistes. Même sur le plan de la politique extérieure, les choses sont en train de prendre un nouvel essor. L'Algérie se redéploie pour devenir un interlocuteur digne d'être écouté. Lors de son investiture en 1999, Bouteflika avait annoncé la couleur. En dépit du fait qu'il fut placé par les militaires, il contestait leur ingérence dans les affaires politiques et réclamait davantage de prérogatives. Il a réussi à les défaire de leur puissant pouvoir et à se l'approprier. Que va-t-il en faire? S'attaquera-t-il au système? Ou au contraire, en sera -t-il le garant et fervent défenseur?