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Les marchands d'ombre
METIERS DE L'ETE
Publié dans L'Expression le 08 - 08 - 2004

Comme des oursins, les petits métiers de l'été fleurissent.
A peine les premiers escaliers menant aux Tamaris la principale plage de la ville d'Aïn-Taya, gravis, des dizaines de jeunes en «effervescence» vous sautent presque à la figure tentant, vaille que vaille, de vous louer un parasol, une chaise longue si ce n'est, au bout du compte, une tente, pour les plus débrouillards d'entre eux.
La saison estivale aussitôt inaugurée, des centaines de jeunes oisifs, chômeurs pour la plupart, se sont, chacun comme il peut, procuré un travail qui, bien que rentable, demeure sans assise juridique.
Les loueurs de parasols, de tentes et de chaises de confort, comme ils ont été les premiers à envahir, dès le début, le sable doré, demeurent, par voie
de conséquence, les plus bénéficiaires, en termes de «commercialité».
Voilà donc, un nouveau métier qui, au fil des années, a gagné en ampleur et dont le mérite est de permettre aux jeunes chômeurs de fuir, durant les trois mois de
l'été, les vicissitudes de la vie quotidienne.
Farid M. est, justement, l'un de ces intrépides que ne dissuadent pas aussi facilement les entraves, qu'elles soient administratives ou financières. Avec les moyens du bord, cet homme à peine la trentaine, a pu, en l'espace de quelques années d'efforts et d'abnégation, se faire un nom qui n'est pas sans importance dans ce haut lieu balnéaire. Car pour les «Ouled El Houma», louer un parasol chez Farid est, cela va de soi, un réflexe.
Calfeutré dans sa boutique de fortune située au pied de la falaise qui surplombe la plage, Farid, chaque matinée, est envahi par un grand nombre d'estivants à la recherche d'endroits paisibles et ombragés qui échappent aux regards des curieux et au brouhaha des enfants.
Pourquoi une telle affluence? «Il y a beaucoup de personnes habitant les régions lointaines qui préfèrent louer un parasol au lieu de le traîner dans l'autocar» explique Farid, le visage rougeâtre, «calciné» par le soleil.
D'autres, aussi nombreux, se payent ce «luxe» sous prétexte que le prix du parasol dans les magasins est relativement élevé et que les plus abordables avoisinent les 1000 DA. «Alors autant payer 80 DA, surtout si ces derniers ne fréquentent la plage qu'une ou deux fois par semaine», soutient-il.
«Louer une parcelle d'ombre ou mourir»
Le Monsieur Parasol des Tamaris est un homme bien rodé à cette profession. Cinq ans d'exercice lui ont, en effet, suffi pour ériger son petit «royaume» et de quelle manière! Jamais auparavant, un loueur de parasols n'avait fait preuve d'autant de tact et de discipline que Farid.
Veillant au grain pour que ne soit pas parasité le bien-être de ses clients - des familles pour la plupart - il est là, présent, judicieusement à leurs petits soins. «Le confort est un facteur d'une importance extrême(...) En plus des parasols, je propose à mes clients des chaises de confort afin qu'il apprécient, mieux qu'avant, le moment» Famille, respect, assistance... tels sont entre autres, les mots d'ordre autour desquels il s'est arc-bouté, pour, n'a-t-il cessé de ressasser, gagner en reconnaissance et en argent.
Financièrement parlant, travailler comme loueur de parasol est, en effet, une opportunité que de nombreux intéressés se disputent à couteaux tirés. Parce que, au bout des trois mois de la saison, Farid se perd à compter les liasses.
Pour autant, si rentable que soit ce «job», son exercice n'est pas dépourvu de difficultés, notamment lorsque les taxes imposées par les autorités communales se font, avant même le début de l'été, lourdement sentir.
«Chacun de nous décroche auprès de l'APC un contrat d'exploitation de trois mois avec comme exigence, outre la somme imposée, de tenir compte de l'ensemble des éléments à même de garantir le maximum de conditions pour le confort des estivants», dit-il comme pour souligner l'importance, combien grande, qu'accordent les autorités locales, à la réhabilitation de cette ville naguère fleuron du tourisme local.
Aïn-Taya, pour la petite histoire, fut dans un passé pas vraiment lointain, ce havre de paix qui, en dehors des milliers de touristes étrangers qui le fréquentaient, servait de coin de repos à de nombreuses personnalités politiques et non des moindres: l'ancien président Houari Boumediene, Larbi Belkhir, l'actuel chef du cabinet de Bouteflika, le défunt Rabah Bitat, etc.
Chemin faisant, Farid, soucieux lui aussi, de contribuer à la mise en valeur de cette station à travers sa petite armada de parasols mais aussi et surtout grâce à son éternel sourire, s'échine à vouloir offrir le meilleur de lui-même: «J'y tiens. Je suis un fils du bled. Avec les quelques outils que je possède je m'efforce de fidéliser les gens à notre plage. Il faut que notre chère ville retrouve sa réputation d'antan.»
Skier sur...mer
Si la location des parasols semble le «boulot» le plus prisé, et si aussi les jeunes chômeurs sont nombreux à vouloir glaner quelques sous pour se fourvoyer «chaudement» à la fin de l'été, d'autres jeunes, voire moins jeunes, plus nantis ceux-là, ont mis généreusement la main à la poche, pour mettre à la disposition des vacanciers des Tamaris, des moyens de loisirs qu'on voyait uniquement dans les films ou autres séries télévisées.
C'est ainsi que pour les amateurs de «dragée haute» maritime et les éternelles personnes en quête d'aventures, on loue aussi des motos-nautiques, connues plus précisément sous le nom de «Jet-Sky» et destinées plutôt à la «Jet Set» de la cité tant les prix proposés dépassent, dans une large mesure, toute «logique».
En effet, le prix d'une tournée d'une heure, atteint, lisez bien: 2000 DA. Le chiffre double durant les week-ends. Un tarif que ne peuvent, hélas, se permettre les bourses modestes qui se rabattent, souvent à leurs corps défendant, sur d'autres moyens de loisirs... plutôt archaïques. A l'instar de Farid, Mourad O, fait autorité sur la plage. Son credo: louer, pour la somme de 300 DA, les planches à voile, et dans certains cas, les planches uniquement. Et, comme la demande, dans ce genre de distractions, est en nette augmentation, Mourad entend lui aussi, mettre le paquet.
Au bout de quelques jours seulement, il a acquis trois autres planches pour un prix, dit-il, dérisoire. Ce sont surtout les femmes et les enfants qui s'intéressent à ce genre d'escapade aquatique.
Pourquoi avoir choisi ce métier, pour le moins original? Mourad, non sans fierté, pense que dans l'état actuel des choses, il est du ressort des jeunes de pousser les autorités locales à prendre en compte ces dizaines de boulots que la loi, malheureusement, ne reconnaît pas encore, et ce, contrairement à ce qui se fait chez nos voisins tunisiens et marocains.
Il est vrai qu'à ce titre, l'Algérie, dont la renommée touristique se jouait autrefois au coude à coude avec d'autres pays comme l'Egypte, ne semble pas encore consciente des potentialités que recèle l'exploitation efficiente des plages.
Cela suppose, la mise en place d'une politique à travers laquelle tous les aspects y afférents seront traités rationnellement. Car pourvoyeur de richesses et d'emplois, la priorité pour le tourisme en Algérie reste, à ce jour, loin de faire l'unanimité parmi les décideurs.
Des Farid et des Mourad foisonnent au sein d'une jeunesse qui n'aspire, justement qu'à voir les pouvoirs publics leur tendre la main pour les aider à garantir un emploi digne, rentable et surtout légal... sinon ils seront, tous, condamnés à une noyade certaine.


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