L'Islam est pur et sa pureté est éternelle Le monde musulman est regardé par les autres comme un monde en retrait de la civilisation. L'humanité qui, pour se nourrir, se contentait de la cueillette, en est aujourd'hui à parler de l'apport nutritionnel des aliments, de nutriments, d'antioxydants, de micronutriments, des radicaux libres etc... L'homme qui croyait, dur comme fer, que la terre est plate, vient de faire poser un robot sur une comète à 500 millions de kilomètres de la Terre après l'avoir fait voyager 10 années dans l'espace. C'est dire la distance gigantesque parcourue par les humains depuis leur arrivée sur Terre. Ce progrès époustouflant de l'homme n'a été possible cependant que grâce à l'évolution qu'il n'a eu de cesse d'insuffler à son environnement et à son monde. Tant sur le plan de la technologie, de la connaissance, de la santé, du savoir-vivre ou, tout simplement, du quotidien, la vie d'aujourd'hui ne ressemble en rien à celle d'autrefois. Dans cette situation où les innovations se bousculent et entraînent le monde dans une course de plus en plus vertigineuse en quête du mieux et du meilleur, est-il possible qu'une partie de cette humanité reste accrochée à de vieux rêves pour ne pas avoir à se réveiller un jour? Est-il permis à partie de l'humanité de vouloir vivre de l'avancée des autres sans prendre part à l'extraordinaire effort d'amélioration qui est mené en continu? La réponse est évidemment par la négative et il n'y a pas de secret à cela car, lorsqu'on veut faire partie d'un groupe, la moindre des choses c'est de participer à ce qu'il entreprend. Un diagnostic incontestable Dans la production scientifique mondiale, dans la production de la technologie, dans l'amélioration de la recherche scientifique, les musulmans n'ont malheureusement aucun apport aujourd'hui. Ils sont absents de tous les événements de l'innovation et ne font que consommer ce que les autres produisent. Cette situation est bien triste et elle l'est encore plus lorsqu'on se rappelle que les musulmans étaient à la tête du monde pendant une longue période, qu'ils avaient transmis à l'humanité savoir et sagesse quand ils avaient donné naissance à la plus belle des civilisations de ce monde. Le monde musulman est regardé par les autres comme un monde en retrait de la civilisation. Accroupi sur son propre passé, il ne veut ni relever la tête pour se situer par rapport aux autres, ni se relever pour entamer la marche de l'avenir, ni même tendre la main aux autres pour qu'ils puissent l'entraîner dans leur élan. Ce comportement, notre comportement, a fini par devenir agaçant et les critiques ont commencé à fuser de toutes parts. Ces critiques proviennent de deux sources. Il y a d'abord les non-musulmans qui, n'arrivant pas à nous comprendre, se sont mis à nous interpeller sur notre capacité à partager avec eux un même monde mais il y a, aussi, des musulmans qui, au bout d'un constat hautement désolant, ont fini par hurler leur déception, souvent avec des mots crus et même violents choisissant pour les grands maux, les grands mots! Cependant, il y a lieu de remarquer que, à côté de ces réformateurs musulmans, d'autres, tout aussi musulmans, ne prônent pas la même démarche. Parmi les réformateurs musulmans, Il y a donc ceux qui, partant de leur propre conviction, tentent d'apporter une contribution au changement plus que nécessaire de la situation des musulmans mais il y a aussi ceux qui ne font, au fond, que chevaucher idées et convictions d'autrui, quitte pour cela à prôner des remèdes qui, non seulement, n'ont absolument rien à voir avec la maladie du monde musulman mais qui, en plus, semblent relever de desseins fort douteux. Le diagnostic de la Oumma est établi à plusieurs endroits différents de la planète et, partout, il est pourtant le même. Un bilan on ne peut plus catastrophique d'où il ne ressort aucun espoir d'amélioration. Tournés vers un passé qui se fait de plus en plus lointain, les musulmans refusent de regarder devant eux et d'intégrer la notion de devenir dans leurs préoccupations. Ils se détournent donc de leur propre temps pour vivre au rythme de pensées archaïques qui n'ont plus de valeur dans les temps présents. Accrochés à un rétroviseur qui perd de sa netteté chaque jour que Dieu fait, c'est comme s'ils se perdaient dans la recherche de sens à leurs actions en se promenant entre les tombes de cimetières oubliés. Les certitudes que le monde musulman cultive sont celles qui le clouent au même endroit l'obligeant à faire du surplace depuis des siècles. Chez les musulmans, les paradigmes, mille fois vieillis, ont fini par devenir obsolètes et sans rapport avec une réalité alors que ce qui leur sert de repère, même aujourd'hui, n'est en fait que le souvenir d'images rapportées à propos de quelques très anciens repères. Absente de son présent et accrochée à un passé qui n'est plus là, la Oumma est déchirée entre ce qu'elle souhaiterait être et ce qu'elle est réellement, entre ce qu'elle fut et ce qu'elle n'est pas. En pareille situation, sans horizon et sans âme, la Oumma est condamnée, sinon à disparaître, du moins à perdre ce qui lui reste encore d'ombre. Cela, tout le monde l'a compris et nul ne peut le remettre en cause ou le renier. Mais comme le principe même de l'amélioration veut que l'on ne sarrête pas au seul diagnostic, un remède a donc été proposé au monde musulman, à la Oumma. Si vous voulez retrouver la force et l'esprit qui vous permettront de rejoindre le reste des humains, nous crie-t-on, il vous est nécessaire de «réformer l'Islam»! L'Islam serait ainsi, selon eux, la cause du retard des musulmans. Ce passage du diagnostic au remède est, bien entendu, plus que douteux. Les réformateurs, eux-mêmes, le savent et c'est pour cela qu'ils essaient de jeter un peu de flou sur les mots pour embrouiller les idées et les hommes. Il ne s'agit pas de l'Islam, disent-ils, mais de ce qu'ont en fait les hommes. Mais si tel est le cas, alors pourquoi ne parlent-ils pas, tout simplement, de réformer le monde musulman, ou de réformer la pensée islamique? Pourquoi faudrait-il dire «réformer l'Islam» puis ajouter quelques précisions sachant que cette manière de dire les choses «indiquerait implicitement que l'on veuille unilatéralement réformer l'islam en tant que religion? L'islam que nous connaissons est un tout, et le réformer sous-entendrait qu'il faille changer ce que l'islam est»1 alors, n'aurait-il pas été plus simple de le dire autrement surtout que, comme le dit Camus, «mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde». Ce papier est le premier d'une série qui se veut une contribution au débat sur la prétendue réforme de l'Islam et, afin de mieux situer les efforts des uns et des autres dans cette entreprise contemporaine de réforme de l'Islam, jetons d'abord un regard sur les «réformateurs» eux-mêmes. Nous avons choisi délibérément de ne pas nous intéresser aux anciens «réformateurs» car il ne s'agit pas pour nous de chercher l'ancrage théorique d'un travail quelconque. Nous nous intéressons seulement à ces «penseurs» d'aujourd'hui qui, surtout de France, appellent à réformer l'Islam. Des réformateurs de tous genres Il est important de préciser ici que si le désir de réviser l'Islam ou «faire réviser l'Islam» a été, depuis longtemps, le voeu cher de certains non-musulmans, cela n'a jamais été chose aisée à entreprendre. Au départ, l'Occident s'attendait à ce que la réforme tant souhaitée fût conduite par certains convertis à l'Islam mais «si les intellectuels convertis à l'Islam appellent (...) à un aggiornamento, ils ne peuvent que l'accompagner car ils ne sont pas présentés comme légitimes pour réaliser eux-mêmes une réforme qui doit se faire de l'intérieur, leur statut de converti les refoulant dans une posture éternellement extérieure en partie à la tradition islamique. A l'heure où la pression médiatique exige de l'Islam une réforme concrète (souligné par nous), ils ne sont donc plus des interlocuteurs indispensables.»2 Suite à cet échec à mener la réforme de l'Islam à travers les convertis, il y eut une autre manière d'opérer. Ainsi, en France, par exemple, les médias furent lourdement mis à contribution et des penseurs commencèrent à «avoir l'opportunité de s'exprimer et de réagir en tant que musulmans» (id.). Des radios et des chaînes de télévision concoctent des émissions à la mesure de ceux dont la France a voulu faire les nouveaux apôtres de la réforme de l'islam alors que les journaux leur ouvrent grandement leurs pages. Des prix leur sont distribués ainsi que des reconnaissances à différents niveaux de la hiérarchie de l'Etat français. Est-il toutefois utile de préciser que ces individus, ayant pris sur eux pourtant la besogne de rendre possible la réforme tant attendue de l'Islam, et à une ou deux exceptions, ne sont pas spécialistes de la question religieuse et qu'ils peuvent encore moins se prétendre savants de la religion. Ils sont, pour certains, philosophes, anthropologues, sociologues ou, pour d'autres, physiciens, économistes, médecins, etc... «La plupart de ces intellectuels ne sont pas des théologiens au sens strict du terme, mais ils se sont assignés un rôle d'herméneutique du texte coranique afin de l'adapter au contexte actuel.»3 Comme il est aisé de le prévoir, le champ de la réforme de l'Islam n'a pas attiré uniquement les intellectuels de tous bords. Il a aussi séduit des polémistes, des racistes, des homophobes, des islamophobes... qui se sont empressés de venir jeter, eux aussi, leur pierre à l'Islam. Ainsi, «l'islam, vont jusqu'à affirmer certains, est l'un des plus grands obstacles sur la voie de la modernité»4 avant d'ajouter que «tout musulman modéré qui voudrait réformer l'islam doit d'abord reconnaître que le Coran est la source de la terreur et de la violence. L'horreur absolue. Mais aucun musulman ne peut admettre que le Coran est un livre politiquement et historiquement déterminé et non pas la parole d'Allah.»5 D'autres, ne cachant pas leurs desseins, déclarent clairement qu'«il faut entreprendre la réforme théologique de l'Islam, exactement comme Martin Luther initia la réforme du Christianisme après l'abus des ́ ́Indulgences ́ ́ au XVIIème siècle»6. Ceux qui appellent à la réforme de l'Islam sont partagés quant au chemin à emprunter pour arriver à leur but. C'est ainsi que certains considèrent que les musulmans se doivent de revoir, de manière profonde, leur perception de leur religion et de remettre en cause leur interprétation du texte religieux pour qu'ils puissent s'extirper des conceptions extrêmement archaïques dans lesquelles les a jetés la pensée islamique traditionnelle. Ils ont pour charge de comprendre leur religion à la lumière de l'avancée des sciences et de la connaissance. D'autres, par contre, partant de l'idée que le ver est dans le fruit lui-même, pensent que ce serait pure perte de temps que de chercher à moderniser la vision des musulmans tant que l'on n'a pas délesté leur religion de ce qui ne cadre pas avec la modernité. Et, pour ce faire, il faut, ordonnent-ils, ôter au Coran tout ce qui empêche l'Islam de s'inscrire dans la modernité. Il faut, par exemple, «déclarer caducs tous les versets incompatibles avec les valeurs des droits de l'homme: versets discriminatoires non seulement contre les femmes, mais aussi les juifs, les chrétiens, les non-croyants, ainsi que l'ensemble des versets guerriers appelant à la violence et au jihad»7. Parmi ces «réformateurs», on retiendrait quelques noms comme Abdennour Bidar dont le souci premier est, selon ses propres dires, d'être à la hauteur de la confiance placée en lui par l'Occident, Malek Chebbal, Ghaleb Bencheikh, etc. Il existe, cependant, aussi un troisième courant de réformateurs qui regroupe ceux qui ne font partie ni des uns ni des autres. Ainsi, l'appel à la réforme de l'Islam n'a pas toujours le même sens car, alors que certains entendent par-là «une réforme de la pensée islamique», d'autres entendent exactement ce qu'ils ont bien dit, c'est-à-dire une réforme de la religion. Certains, comme Tariq Ramadan ont alors cru bon d'apporter la précision qui s'impose afin de se démarquer d'un mouvement pour le moins douteux. «Le projet dans lequel je m'inscris, précise-t-il de manière à lever toute ambiguïté, n'est pas un projet de réforme de l'islam ni d'adapter l'islam à la modernité». Cette position a fait de Tariq Ramadan un réformateur haï et repoussé. Unanimement loué au départ par une presse amplement mobilisée pour la cause, le petit-fils de Hassan El Banna fut, par la suite, attaqué de toute part par cette même presse qui n'hésita pas à lâcher sur lui ses pires démons. En effet, à partir du moment où il avait préféré aller chercher «ses principes éthiques et moraux dans la religion plutôt que dans d'autres principes universels»8 comme le font certains, Tariq Ramadan «est passé du statut du «bon réformateur» à celui d'interlocuteur indésirable»9. Chez nous, ce qu'il y a lieu de remarquer c'est surtout le manque de débat. Une seule tentative de porter le débat sur la place publique a été entreprise ces derniers temps et puis, plus rien! (A suivre) Prochain article: L'ambiguïté est intacte 1 Moreno Al Ajamî (http://oumma.com/Vers-la-reforme-islamique) 2 Tristan WALECKX, Naissance médiatique de l'intellectuel musulman en France (1989-2005), Université Montpellier 3 - Master Histoire, 2005 (http://www.memoireonline.com/12/05/63/m_naissance-intellectuel-musulman-medias-francais5.html#fnref108) 3 Idem 4 http://www.postedeveille.ca/2013/03/l-islam-peut-il-etre-reforme-kacem-ghazzali.html 5 idem 6 http://www.contrelislam.eu/necessite_ reforme_islam.php 7 http://www.lemonde.fr/idees/article/2005/02/14/ manifeste-pour-un-islam-europeen-par-abdennour-bidar_398041_3232.html#vJXIIozipgx7b0pT.99 8 Tristan WALECKX, op. cit. 9 idem.