Fort de son plébiscite populaire, le Président prépare d'importantes décisions pour la rentrée sociale. Les Algériens, qui suivent avec beaucoup d'attention les changements en train d'intervenir à tous les niveaux, ne sont pas au bout de leurs surprises. Loin s'en faut. Des sources au fait de la stratégie présidentielle indiquent en effet que «Bouteflika compte, diplomatiquement, mettre fin aux fonctions d'au moins trois autres généraux dans un délai maximum de trois mois». La démarche, indique-t-on de mêmes sources, vise à asseoir définitivement le pouvoir de l'institution présidentielle sur l'Armée. C'est un préalable à l'établissement de l'ensemble des règles que l'institution présidentielle se propose de mettre en place afin de régir les relations futures entre les diverses institutions du pays, mais aussi l'opposition et les médias, tant publics que privés. De par son très long parcours de ministre des Affaires étrangères, le chef de l'Etat procède par à coups, sans jamais brusquer les choses. Nos sources, qui précisent que «les quelque 85% des suffrages obtenus lors de la dernière présidentielle, atout historique entre les mains du président, le poussent à envisager de réformer la société de fond en comble, en commençant même par les mentalités». C'est dans cet ordre d'idées, au demeurant, que le chef de l'Etat a mandaté son chef du gouvernement afin d'aller vers des rencontres intensives avec les partenaires sociaux dès le mois de septembre prochain. Du lest assez important doit être lâché en matière de régimes salariaux, faisant passer le Snmg (salaire national minimum garanti) à 12.000 DA avant la fin de cette année. Il faut dire que l'embellie financière exceptionnelle, alliée à un retour des investissements nationaux et étrangers fort importants, permet aux pouvoirs publics d'envisager ce genre de «petits cadeaux» face à un pouvoir d'achat extrêmement érodé, sur fond de contestation sociale violente et toujours recommencée. Alors que dans des démocraties séculaires les émeutes sont assimilées à des crimes passibles de très lourdes peines, chez nous on descend dans la rue et on casse tout pour les plus anodines raisons. Il faut dire quand même que c'est le seul moyen, admet-on à contrecoeur, qu'a trouvé le peuple pour se faire écouter face à une administration sclérosée, bureaucratisée à outrance, autiste et bien souvent corrompue. C'est dans le but d'y parer, au reste, mais aussi pour redéfinir les relations entre l'administration et le citoyen, qu'un vaste mouvement dans les collectivités locales est également programmé alors que la réforme de la justice se poursuit tant bien que mal et celle de l'Etat, de l'aveu du chef de l'Etat lui-même, demeure une entreprise de très longue haleine, nécessitant bien plus qu'un mandat présidentiel, quand bien même les principaux jalons en seront définitivement posés. Les raisons du «pacte social» C'est sur la base de ces concessions, ainsi que d'autres dont nous avions fait état dans de précédentes éditions, notamment le statut général de la Fonction publique, que Bouteflika compte décrocher auprès de l'Ugta un «pacte social» de trois années au moins qui lui garantisse la stabilité dont il a besoin pour mener à bien l'ensemble des réformes qu'il a en tête. Car, à n'en point douter, comme le martèlent avec force nos sources, «Bouteflika, qui a assisté, impuissant, à nombre de dérives durant son précédent mandat, a l'intention de fixer de strictes règles du jeu, dans lesquelles les bases d'une véritable République seront jetées, quitte à ce que la Constitution soit Révisée chemin faisant, puisqu'elle est située dangereusement à cheval entre les régimes présidentiel et parlementaire». Les articles 77 et 78 de la Constitution, pour ne citer que ces deux textes, énumèrent les très importantes prérogatives du président en matière de nominations et d'exercice de son pouvoir sur le restant des institutions, à commencer par l'Armée elle-même. Un remaniement gouvernemental, assez vaste et fort significatif est également prévu avant la fin de cette année. Bouteflika, qui ne trouvait pas encore ses marques au lendemain de sa réélection, s'était contenté de reconduire le plus gros de son ancienne équipe en attendant que son bras de fer avec le haut commandement militaire soit tranché. Ainsi, le départ du général de corps d'armée, Mohamed Lamari, a-t-il été, comme nous l'écrivions, le prélude à toute une série de «mises à la retraite» de l'ensemble des officiers supérieurs qui s'étaient distingués aussi bien dans le cadre de la lutte antiterroriste que dans les ingérences de l'institution militaire dans les questions strictement politiques. Cela ne sous-entend pas que la lutte antiterroriste doive être interrompue, même si la priorité sera accordée à la réconciliation globale. Entendre par ça le règlement définitif des dossiers liés au terrorisme, aux disparitions forcées, à la presse, à la Kabylie et même à l'éradication des circuits de la corruption et des détournements, notamment à travers la réforme bancaire ainsi que le fameux projet de loi contre le financement du terrorisme et la fuite des capitaux dont notre journal avait fait état en exclusivité. Parallèlement, il faut le dire, Bouteflika donne l'air de vouloir aider les autres «secteurs» à initier leur «devoir d'inventaire». Il s'agit aussi bien de la presse que de l'opposition politique. Pour la première, la mise en place par le ministère de la Communication d'une commission chargée de plancher sur un nouveau code de l'information vise à codifier le travail d'une presse, bien souvent ouverte au tout venant, et sujette à des dérives ne servant en rien la noblesse et les missions d'un pareil métier. Du devoir d'inventaire Quant à l'opposition, véritablement tétanisée au lendemain de ce 8 avril, elle donne l'air de chercher désespérément ses marques. Entre un FFS qui fait face à la plus grave de ses crises, un RCD qui ne sait plus à quel discours se vouer et un Islah dont le président oeuvre à contrer la réédition du scénario Ennahda, il ne fait aucun doute que l'opposition politique, qui a un rôle primordial de contre-pouvoir et de contre-proposition à jouer, fait face à un tournant décisif durant lequel elle devra soit constituer l'alternative viable, soit disparaître et céder la place à des courants plus porteurs et plus proches des aspirations citoyennes. Dans cette véritable «révolution» n'épargnant aucune institution, ni parti politique, seul le PT donne l'air de tirer son épingle du jeu avec un discours cohérent, proche des bases citoyennes, et d'une stabilité qui le met hors de portée de toutes ces mutations profondes. Le mouvement Wafa, qui a satisfait à toutes les conditions légales, et qui a eu un comportement exemplaire durant toute la campagne électorale, a préféré donner un délai de quelques mois au président depuis sa toute première déclaration, dans laquelle il affirmait vouloir être le président de tous les Algériens, et prôner une réconciliation globale et juste envers tous et toutes. Il apparaît ainsi que les changements qui ont eu lieu, notamment à la tête de l'APN et du FLN au lendemain du 8 avril, ne sont eux aussi que le prélude à des mutations autrement plus importantes dans un avenir assez proche. Si une rumeur persistante fait état de la possible dissolution de la chambre basse du parlement algérien, il semble que, le cas échéant, le plus grand perdant en serait le FLN. Un parti jusque-là majoritaire, mais qui est en train de payer très cher son opposition à Bouteflika. Après les bilans, l'heure de solder les comptes ne saurait tarder à sonner.