Ce poète au kabyle «nucléaire» torpille d'un revers de la main la médiocrité. C'est un ciseleur des mots, un intarissable et un inusable... poète. Il est aussi l'orfèvre de la saillie. Il revient après avoir annoncé son départ; certains l'avaient «enterré» et prédisaient sa chute au lendemain d'un sit-in en août 2013 où l'enfant d'Ath Xalfun marquait sa présence pour soutenir les non-jeûneurs où l'inquisition religieuse et politique le désignait du doigt à la merci d'une caste hypocrite et mortifère. Mais ce Kabyle du crû n'abdique pas et croyait à son étoile, même s'il se morfondait avec désolation dans sa chanson Dda Sliman. Il s'agit de Mouloud Zedek.Comme les nuits portent conseil, Zedek revient après moult hésitations avec Asderfef (tâtonnement), un nouvel opus où toutes les anagrammes ont été brouillées, même pour les plus initiés. Tirer sa révérence n'est pas sa tasse de thé; il faudrait juste «écouter» dans le marc du café. Ce poète au kabyle «nucléaire» torpille d'un revers de la main la médiocrité, la bassesse et l'hypocrisie de certains de ses détracteurs. Subjugué par les thèmes abordés, Zedek nous fait tourbillonner dans une poésie océanique. Les métaphores, les oxymores, l'allitération sont partie prenante. Les prolepses et les supputations font monter les enchères. A travers cet album, Lmulud passe la rampe, les médiations sur la compréhension thématique prolifèrent et démangent les plus aguérris. Il aime ce qu'il fait et fait ce qu'il aime. Taqbaylit-nni est le premier thème de son album où il traite la question kabyle et sa dépersonnalisation. La douceur d'un enfant étrenne la chanson avec une mélodie particulière, c'est Minig Zedek, l'enfant de Lmulud. Zedek, le père, reprend le témoin et évoque la métamorphose identitaire kabyle voulue et imposée. A Tizi Ouzou, le palmier prend la place du genêt et de l'olivier, les gens en gandoura se pressent d'aller à la mosquée, les autres atteignent aveuglément l'université... C'est ce visage néfaste d'une Kabylie étrange à nos coutumes que décrit Zedek Ay neggi jarjer yafghasad i nessis, Ma ghazif laàmar analhu fyajdis (Djurdjura se décompose et se fissure, A l'avenir nous marcherons sur le sable). «Ce qui me préoccupe...» Ici, Lmulud parle des valeurs ancestrales qui disparaissent jusqu'à devenir ce désert à la fois culturel, moral et identitaire. Le constat est funeste, mais sans pour autant sombrer dans une psychose de mauvais aloi. Zedek s'interroge, tout de même, avec diligence sur le travestissement des coutumes kabyles. Anda kkan taqdact talxaxt tazram dacu d imensi (Là où se mêle la saleté, vous conviendrez de la qualité du repas), dira-t-il plus loin dans une autre chanson. La saleté est l'antre de la maison, elle est aussi les serviteurs zélés de chez nous. Lemmer bghigh est la 2ème chanson de l'album où Zedek traite l'hypocrisie des uns et des autres, qui se pavanent dans les salons des médias publics et qui n'ont guère l'autorité morale pour lui «dérober» les clés de son sort en leur infligeant plus loin une sentence proche de «l'oecuménisme»: A vav (bab) b awal awal-iw slith, A bab bakal d aylak s issinith. (Toi qui cultives les mots, écoute bien mes mots, Toi propriétaire des terres ce sont les tiennes, sache-le). Dans Ha-t-an ihi (En voilà encore), Lmulud revient sur l'épisode du mois d'août 2013,se désole du silence des siens et tire à boulets rouges sur d'autres en leur prêtant une «condamnation expéditive»: I tufra ak du dari, Iban u jaghlal nni ghaf ayen it bubbadh ay arus, l'on ne peut se cacher ou s'abriter derrière aucune idéologie dans les moments difficiles, comme pour décrire une neutralité qui est synonyme de complicité. Nekini thchaghbiyi yiwet, ce qui me préoccupe c'est cette vie, cette liberté (tilelli) du culte, cette identité (tamagit) de l'être, traîne-t-il langoureusement dans le vers d'après. Plus loin, Lmulud dénie le droit à ceux qui portent les armes Amennugh s tarsasin win it nirafdan yaghladh, amennugh stuhsifin tazram san ighdisawadh, les rancunes, les jalousies et les subterfuges ne mèneront à rien, s'agace Lmulud, mais il prône le combat d'idées qui est le meilleur des combats pour démêler le vrai du faux. Le poète aiguise ses flèches telles celles de Parthes dans Dnekk (c'est moi); tout de même avise win yachdan idelli, diriyas adesyarnu (A celui qui a trahi hier, ne doit récidiver). Il taquine la muse dans un esprit de poète galvanisé par la force des mots, ou leur quintessence reste la beauté de la rime jusqu'à torpiller toutes les proses de ceux qui «chantent en kabyle et d'autres qui chantent le kabyle» plus loin encore. La nuance est forte, mais chanter taqbaylit pour l'enfant «n Atdwala» n'est nullement un métier de charlatans où de ces insignifiants (izambac) qui ressassent la médiocrité dans une langue approximative. Le poète est aussi sensible à la chose environnementale. Dans Tizwal, Zedek met en garde, comme dans le laboureur et ses enfants cette anthologie de la poésie classique de Jean de La Fontaine, son fils afin de cultiver et travailler ses terres déjà en friche. Lmulud ravitaille sa mémoire, non pas pour soulager sa nostalgie d'une quelconque obsession passée, mais comme une visée didactique jusqu'à éveiller une certaine conscience qui tend à disparaître par l'usure du temps, afin de réinventer les coutumes kabyles. Il décrit nos champs, aujourd'hui, entourés par les ronces et les orties jusqu'à servir de clôtures puis ravagés par la canicule de l'été. Il nous rappelle aussi les temps où ses parents et lui-même travaillaient la terre jusqu'à l'aube. Maci kan ttimucuha tallit ignegren tquc (ce n'est pas seulement nos histoires mais toute une époque qui a disparu). Ce paysage désolé et pitoyable que Lmulud peint presque comme un tableau d'une fresque «sourde et malentendante», puisque le cri demeure aphasique, jusqu'à perdre nos rites telle cette convivialité autour d'un feu de bois où nous écoutions avec enchantement les histoires des fables kabyles avec comme ogre la sinistre taryal ou tawkilt (la fée). Lmulud nous replonge à travers «Agherrabu» (le bateau), où l'exil, aujourd'hui, est un thème «usé» par l'âge et les adages. «L'inconscience est une patrie, la conscience, un exil», disait Cioran. Entre l'une et l'autre le dilemme est cornélien et c'est la mer qui porte agherrabu de Lmulud qui à son tour portait et porte encore cette diaspora d'exilés, «inconsciemment ou consciemment» se fraient un chemin vers des terres où le sort des uns et des autres reste à jamais imperceptible. Lmulud traite, cette fois-ci, l'exil sous un angle différent que celui traité par ces pairs. Lmulud et le regret du poète Il chante cet exilé, qui pendant sa croisière en bateau, regorge de joie, le temps d'un voyage sans fin pour retrouver sa famille. Tamurt llakbayel inu adi d asawal, Anida nabgha naddu, Ar dinna nughal (ma Kabylie m'appelle, là où l'on ira, elle me rappellera). «Aman am zzit arsan,cruruqen a yid (L'eau telle l'huile illumine la nuit.» Une description simple et limpide. Cette clarté du ciel suivie de la lune et les étoiles où le bercement des flots pousse Zedek à céder à l'appel du terroir. Mais à la fin de la chanson, Lmulud avoue tout de même avec une petite dose de regret: Lghurbaw tacmat (Mon exil est moche). Les bonnes choses exigent du temps; dit-on et l'amour prend une place prépondérante chez l'artiste; tout de même Zedek sort des sentiers battus, à chaque sortie de son nouvel album. Et c'est là, que Lmulud excelle. Cwi tallid (Heureusement que tu es là), parle de sa dulcinée. Aqarrum ghaf y ighil iw, ighilim f yadmaren inu, Tamazzughtim ghaf wuliw, atas igebgha ad amyahku... (Ta tête sur mes bras, ton bras sur mon buste, Ton oreille sur mon coeur, il veut te raconter tant de choses...). Cette impression de langage des organes des corps où les yeux se mêlent au jeu de l'amour aiguisent l'appétit d'aimer. Au diable vauvert, Zedek décrète la royauté de l'amour et embellit la luxuriante et verdoyante flore, mais pulvérise un quelconque passage vorace de la faune. Tout ça, dans un courant de mélodie tressaillant l'émotion de l'auditeur. La dulcinée gagne la partie. Rendre hommage à l'artiste est un précieux engagement pour l'autre. Dans Dda Sliman, Tajmilt prend une autre tournure dans cet opus. Lmulud «se plaint» auprès de Azem en se recueillant sur sa tombe à Moissac, des chrysanthèmes en guise de reconnaissance, mais aussi avec du lait caillé, des figues sèches et du pain kabyle (aghrum aquran). Mais alors, Zedek, contre toute attente, s'adresse à Dda Sliman dans une complainte de déception. Akinigh nak d afennan, imeslayen inu d inagan, Ayen aàwazegh a yudan, assiw ur diyulara amniyi... (je suis un artiste, les mots sont les témoins de mon temps, j'ai veillé des nuits et des nuits sans avoir connu la gloire, crois-moi). Nwigh trad si seffra (Je crois au combat d'idées). Zedek met les mots sans l'ombre d'un mensonge. L'aveu est terrible, la sincérité est glorieuse. Cette sorte de mysticisme d'un poète maudit refuse le mercantilisme au service d'une caste ou d'un groupe idéologique. Comme Lwennas Matub l'a fait de son temps. Et les exemples d'artistes et d'écrivains maudits sont prolixes: J.J Rousseau a refusé la pension du roi et les cadeaux du prince de Conti. Van Gogh a préféré le pastorat auprès des pauvres. Picasso a toujours été du côté du Parti communiste... «Que ferai-je du chant, quand les mots sont insignifiants» (amek ara kxadmagh a chna ma yella I sefra d ilmawen). C'est dans ce sillage que Zedek décomplexe certains mots et les extrait de l'indigence linguistique. En voici quelques-uns: Akud (le temps), Acmux (la jarre), tuga (l'herbe), tallit (époque), taghramt (la civilisation), iggi (chêne), tamrilt (miroir), tillawt (réalité), tawtilt (condition)... C'est avec ces mots et sa poésie inébranlable que Lmulud Zedek a construit sa carrière durant trente années. Il résume ces moments dans la dernière chanson krad ntmerwin (trente ans) de chansons. Sa poésie et tous ces mots ont pignon sur rue à l'école (agherbaz) en Algérie. Un sésame qui le propulsera à l'apogée de son art. Bravo, l'artiste! A bientôt.