Un terrible attentat a été commis hier contre les locaux à Paris du journal satirique français Charlie Hebdo causant la mort d'une dizaine de personnes dont les dessinateurs Cabu et Charb, parmi les caricaturistes français les plus talentueux. En l'occurrence, les mots sont de peu de poids et sans signification face à de tels drames. L'attentat contre Charlie hebdo nous remet en mémoire les pires moments qu'a vécus la presse algérienne au début des années 1990 avec notamment les attentats contre L'Hebdo Libéré, Le Soir d'Algérie et Variétés Magazine. Cela n'arrive pas uniquement aux autres. C'est lorsque l'on souffre dans sa chair que l'on comprend et mesure la vanité des mots face à la réalité des choses. Cet horrible attentat contre les locaux d'un journal, outre condamnable, ne se justifie d'aucune manière, quels que soient les griefs que l'on peut avoir contre la presse et les médias. Tuer des journalistes parce que l'on n'est pas d'accord avec ce qu'ils écrivent est d'une lâcheté incommensurable. Nous qui avons vécu ces tragédies en Algérie sommes sans doute les mieux placés à comprendre la tragédie qui est arrivée à nos confrères français. Mais, ce qui s'est passé hier ne pendait-il pas au nez de la France au regard de la montée en puissance d'une islamophobie aussi meurtrière que les kalachnikovs des assassins? Tout en nous inclinant à la mémoire des confrères et des travailleurs assassinés hier dans les locaux de Charlie Hebdo, relevons néanmoins la permissivité ambiante régnant en France qui a dénaturé la réalité des faits, quand le sacré pour les uns est devenu risible pour les autres. Les pouvoirs publics qui n'ont pas su prendre la mesure du danger islamophobe ont laissé se développer une islamophobie désormais ouvertement revendiquée par des intellectuels français (écrivains, journalistes, artistes) assument une large responsabilité dans cette dérive et la montée des oukases. Le dernier avatar de cet anti-islam bête et méchant est le roman, controversé, Soumission, de l'un des écrivains français les plus connus à l'étranger, «Michel Houellebecq». Nous ne comprenons pas et nous ne comprendrons jamais que le meurtre réponde aux écrits et à l'expression d'opinion. Mais cette expression de l'opinion ne doit-elle pas avoir ses propres limites? Sachant l'impact des paroles et des écrits auprès du public, peut-on dire n'importe quoi, ou peut-on écrire ou dessiner n'importe quoi, si cette parole, cet écrit ou ce dessin touche à ce que des personnes estiment comme la chose la plus sacrée de leur valeur? Or, le prophète Mohammed (Qsssl) est une des valeurs les plus sacrées des musulmans. Quand des journaux en Europe ont publié des caricatures hideuses et provocantes du Prophète (Qsssl), on nous a argué que cela découlait de la liberté d'expression protégée par les lois constitutionnelles. Nous on veut bien. Mais dès lors que cette liberté d'expression est gratuite et sans fondement, et surtout cultive en outre la haine pour l'Autre, comment peut-elle se justifier? Nous n'excusons pas la tuerie d'hier en France mais, toute chose égale par ailleurs, relevons néanmoins une certaine complicité des pouvoirs publics avec le climat délétère qui règne en France, où la discrimination de l'Autre prend de l'ampleur. On a ainsi laissé se développer l'amalgame entre islam et terrorisme - qui a enfanté l'islamophobie - qui a pris des dimensions qu'elle n'aurait dû jamais atteindre si les autorités publiques avaient mis le holà aux dépassements et aux attaques contre la croyance d'un milliard et demi d'êtres humains. Cela ne justifie en aucun cas l'assassinat de journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo quelle que soit la ligne éditoriale de ce journal qui devait être combattue par les mêmes procédures, l'écrit et le débat d'idées. En ce moment nos pensées vont aux familles des victimes avec lesquelles nous compatissons. Notons cependant, que la France avait hébergé dans les années 1990, sinon les assassins, du moins les commanditaires des assassinats de près de 100 journalistes algériens. En Algérie, la profession a payé un lourd tribut au terrorisme islamiste, qui n'a rien à voir avec l'islam. Personne n'a tenté de dissocier la religion du milliard et demi de musulmans avec les terroristes qui s'en réclament. Pire, pour des raisons de basse stratégie politique, nombre d'Etats, y compris la France, ont instrumentalisé le terrorisme islamiste pour des desseins peu avouables. Le cauchemar n'est pas près de finir.