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Il y a le feu!
AIN-DEFLA
Publié dans L'Expression le 21 - 08 - 2004

Avec les moyens du bord, les responsables forestiers d'Aïn-Defla peinent à circonscrire l'étendue dévastatrice du feu.
Chaud, chaud, chaud! Abdekka, tel un vieux loup des hautes plaines, veille au grain, du fond de sa guérite de fortune. L'oeil vif, le visage buriné, la moustache poivre-sel finement taillée, le tout, enfoui sous un chapeau de paille donnant à son accoutrement rural l'image d'un authentique montagnard.
A l'aide du bâton de bambou qui lui sert beaucoup plus d'arme de défense que d'outil orthopédique, Abdelkader a constamment les yeux rivés sur la haute montagne. Ce ne sont, sûrement, pas les quelques ovins qui traversent sporadiquement son campement, qui attisent, le plus, sa curiosité, mais plutôt les flammes qui, depuis le début de l'été, ont calciné, les pins d'Alep couvrant du «Eddoui», la montagne qui surplombe l'est de la ville d'Aïn-Defla. Car, si, à vrai dire, le triste sort a fait d'Aïn-Defla, dans la décennie écoulée, une wilaya meurtrie par le terrorisme, la canicule qui s'est abattue sur le pays, actuellement, ne l'a pas, pour autant, épargnée. Bien au contraire, les mille cent douze hectares qui ont été, jusqu'ici, ravagés par les flammes, ont classé cette localité la plus urbaine cité du haut Chelif, en tête de liste des régions les plus touchées par les incendies de forêts, loin derrière ses voisins de l'Ouest: Tlemcen, Saïda, Sidi Bel-Abbès...Fortement boisée, entourée par les monts du Zaccar, de Dahra et plus au sud par l'immense Ouarsenis, le pays de la pomme de terre dont l'étendue est estimée à plus de 130.000 ha, comme la surnomment les fils du bled, paye, de ce fait, un lourd tribut aussi bien sur le plan économique qu'écologique.
Moyens archaïques
«Aussitôt l'incendie déclaré, je prends mes jambes à mon cou pour aller alerter les gardes forestiers», raconte le vigile qu'avait engagé pour cette besogne, depuis deux ans, la direction locale des forêts. Non sans fierté, Abdekka prend un malin plaisir à nous raconter ses hauts faits de «feux» sur les hauteurs vertigineuses du Eddoui: «Le 25 juillet dernier, il était midi passé, se souvient, au détail près, Abdekka. Alors que j'étais allongé avec mon fils à l'intérieur de ma guérite, j'entendis des bruits secs lointains. Une fois la fumée apparue, j'ai dépêché mon gamin à la ville pour donner l'alerte. Sur place, nous avons engagé, avec l'aide de la Protection civile une véritable bataille contre les flammes géantes qui a duré jusqu'à une heure du matin tard dans la soirée». Pour archaïque qu'elle soit, la stratégie de lutte, si l'appellation est appropriée, mise en place par la direction chargée de la protection forestière au lendemain du déclenchement des premiers incendies, est inefficace. Les moyens matériels et autres types d'équipement font défaut, tandis que le personnel humain reste, lui non plus, en deça de la moyenne. Peu convaincants ont été, à ce titre, les arguments avancés par le conservateur d'Aïn-Defla, aux yeux de qui, les pouvoirs publics, à travers l'instance qu'il a la charge de gérer, ont mis à la disposition de la wilaya les moyens nécessaires, tant financiers que matériels, à même de venir à bout de la pyromanie forestière. Selon lui, dix-sept postes de vigie ont été répertoriés sur les cinq domaines faisant l'ensemble de la superficie sylvicole, quatre brigades mobiles sillonnent, jour et nuit, les moindres recoins des massifs des alentours. Pour ce qui est des gros engins, le seul camion citerne que possède l'institution, est en panne depuis plusieurs jours, sans que cela suscite l'inquiétude du premier forestier de la ville. Même l'hélicoptère utilisé au début, dans la lutte antiacridienne, mis, depuis peu, au service à la wilaya d'Aïn Defla, ne semble pas être un moyen suffisant dans cette lutte qui demande, d'après un autre inspecteur de la direction, que les pouvoirs publics, à leur tête le ministère de l'Agriculture et du Développement local, mettent le paquet en moyens matériels et humains... «Nous manquons terriblement de capacités et ce n'est pas ces deux ou trois voitures qui vont nous permettre de contrôler assidûment les massifs forestiers du Zaccar ou du Dahra». Son directeur ne l'entend pas de cette oreille, se bornant à ressasser des explications sur l'intention de doter l'institution qu'il gère, des moyens nécessaires. Lui emboîtant le pas, M.Mammeri, sous-directeur chargé de la protection du patrimoine forestier à la direction générale des forêts, parle, pour sa part, de l'enveloppe de trois milliards de dinars que le gouvernement leur avait, récemment, accordée. Les deux tiers, soit deux milliards, sont destinés à l'acquisition de 220 entre camions et véhicules citernes. 320 autres voitures mobiles seront également achetées pour renforcer les brigades mobiles. Reste, enfin la réhabilitation, à l'échelle nationale, du réseau de radio de l'entreprise. L'autre milliard, est, selon M.Mammeri, consacré à la protection. Loin des appréciations chiffrées et en dehors des discours rassurants auxquels nous ont tant habitués les pouvoirs publics, la réalité du terrain à Aïn Defla est tout autre. L'indisponibilité des moyens à laquelle s'ajoute le laxisme manifeste aussi bien des autorités locales que celui des responsables chargés de la protection du patrimoine forestier, ont fait que la mobilisation des citoyens est indispensable. L'implication des riverains dans la lutte contre les feux de forêt a été suggérée à plus d'un titre. C'est à cet effet que sont nés progressivement, un peu partout dans les plaines boisées d'Ain Defla, les comités de riverains qui sont, en termes plus précis, les familles bénéficiaires des projets de développement local. Un plan ambitieux qu'avait impulsé le ministre délégué au développement rural, Rachid Benaïssa, au profit de la population rurale consistant à accorder aux habitants de la région, des parcelles de terrain avec une aide financière destinée à amorcer de nombreuses activités agricoles. Leur rôle : en cas d'incendie, et après les alertes données par les vigiles, ils assisteront, avec leurs propres moyens, les forestiers dans les opérations de lutte, avant, bien sûr, l'intervention «musclée» de la Protection civile. Ils sont, pour le petit exemple, une cinquantaine dans la commune de Karrata, ville rurale située à une dizaine de kilomètres du chef-lieu d'Aïn Defla, à y participer.
Après le feu, le terrorisme
En dépit du rappel des troupes rurales et l'engagement, en grand nombre, des citoyens, à cet effet, survient un autre problème, face auquel toute l'armada de lutte reste indéniablement impuissante. Il s'agit, dans ce cas de figure, des régions non sécurisées qui se trouvent sur les hauteurs des monts du Zaccar et du Dahra. Approchés à ce sujet, le conservateur de la wilaya demeure circonspect et évite de s'étaler sur un sujet qui fâche. Selon les informations que nous avons recueillies auprès de certains inspecteurs de la direction locale des forêts, ces lieux restent, à ce jour, «contrôlés» par les terroristes. «On ne peut accéder à l'intérieur de ces contrées en raison de la présence des terroristes», nous confie, sous le couvert de l'anonymat l'un des inspecteurs.
Comment faire dès lors en cas d'incendie? «Nous alertons les autorités militaires de la région pour nous escorter sur les lieux», nous a-t-il indiqué, sans autre précision. Il est vrai qu'Aïn Defla, fut, dans les années précédentes, l'un des principaux fiefs de la sinistre organisation terroriste, le GIA. Aujourd'hui, le retour de la sécurité aidant, de nombreuses régions situées dans les alentours de la ville ont été pacifiées, et ne reste, par conséquent, qu'une poignée de terroristes qui essaiment les vastes et sinueux massifs du Zaccar, du Dahra ou de l'Ouarsenis.
Ainsi, le constat, sans surprise, plaçant Aïn Defla, à la tête de la liste des wilayas les plus touchées par les feux, met à nu l'incapacité des autorités administratives, et de celui des instances chargées de la préservation du patrimoine forestier. Si la nature réussit, à chaque fois, à imposer ses lois, la bêtise humaine aggravée par la passivité des pouvoirs publics, reste, à cet effet, criante. Devrons-nous attendre que nos forêts brûlent pour enfin daigner dépêcher les soldats du feu?


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