Sid-Ahmed Agoumi et Archie Shepp seront au rendez-vous au Théâtre Saint-Gervais du 27 août au 8 septembre. A l'image d'Albert Camus, le poète Jean Sénac, «l'Algérien» est connu pour son combat militant pour l'indépendance de l'Algérie. Fort de ses armes: la poésie, l'organisation de manifestations artistiques, d'expositions de peintures, le poète croyait en ce rêve. «Nous sommes à l'orée d'un univers fabuleux», ainsi commence le poème Alger, ville ouverte, que Jean Sénac écrit en 1966. A cette année, l'Algérie est socialiste, Che Guevara est le roi et les Black Panthers les maîtres du monde, agitateurs de mouvements de libération. Personne déterminante et emblématique dans l'histoire politique et culturelle d'un pays, Jean Sénac sera au cours du festival de Genève, la Bâtie qui lui sera consacré au Théâtre Saint-Gervais du 27 août au 8 septembre. Pour dire Sénac, l'homme, l'écrivain, Hervé Loichemol s'entoure de personnes qui ont une histoire en commun avec l'Algérie : l'immense jazzman Archie Shepp et notre brillantissime comédien Sid-Ahmed Agoumi. Si le premier festival du Bois de la Bâtie a eu lieu en 1977, il est le fruit d'une gestation qui a commencé avec la décennie. Il constitue le prolongement des nombreux festivals libres qui se sont succédé à Genève depuis 1970. Leur enjeu est global, leur action tout à la fois politique, culturelle et sociale: elle vise par tous les moyens à remettre en question l'ordre établi et les orientations d'une politique culturelle officielle qui donne la priorité aux institutions et aux artistes déjà réputés, qui favorise le prestige de l'esthétique. Le choix de nos deux artistes n'est donc pas fortuit. La Bâtie Festival de Genève est aujourd'hui l'un des principaux rendez-vous pluridisciplinaires de Suisse. A la clôture de ce festival commencera un autre événement culturel, littéraire, celui-là qui rendra également hommage à Jean Sénac. En effet, en marge du 9e Salon du livre, le Centre culturel français d'Alger organise les «Journées Sénac». Il est prévu des spectacles (Entre soleil et chardon, dirigé par Jacques Miel. Jean Sénac, l'enfant désaccordé, mis en scène par Marie Paule André), des films Le Soleil assassiné d'Abdelkrim Balhoul avec comme acteur principal Charles Berling, Le forgeron du soleil d'Ali Akika et des expositions (photos, documents et livres de Jean Sénac, photos d'Yves Jeanmongin faites sur les lieux qui ont marqué la vie du poète, peintres-artistes qui l'ont côtoyé et une installation d'Arezki Larbi). Un livre (photos, textes inédits de son oeuvre poétique et témoignages de ses amis) devrait être édité à cette occasion. Né en 1926 à Béni Saf, de père inconnu, le poète Jean Sénac fut également le chroniqueur attentif et l'agitateur infatigable de la vie intellectuelle de son époque. Ami d'Emmanuel Roblès et de Sauveur Galliéro, Jean Sénac est l'auteur d'un grand nombre d'articles sur la littérature et les arts, d'émissions radiophoniques dédiées à la poésie et d'autant de prises de position publiques. En 1954, année du déclenchement de la guerre d'Algérie, Jean Sénac voit ses poèmes publiés par Albert Camus chez Gallimard avec une préface de René Char. Demeurant en France durant le conflit, ce compagnon des indépendantistes, rompt ensuite avec Camus, à qu'il conserve une «profonde et dramatique affection», puis retourne au pays en 1962 et opte pour la nationalité algérienne. Nommé conseiller du ministre de l'Education de la jeune République, Sénac lance une nouvelle émission de radio (Le poète dans la cité), ouvre la galerie 54 avec Mohammed Khadda, et publie la Rose et l'Ortie. Il connaît la disgrâce après le coup d'Etat de juin 1965 et démissionne de l'Union des écrivains algériens, à la tête de laquelle il avait été porté en 1963 aux côtés de Mouloud Mammeri. Jean Sénac réalise alors une nouvelle émission radiophonique baptisée Poésie sur tous les fronts et se remet à publier avec Citoyens de beauté (1967). Auteur d'une anthologie de la nouvelle poésie algérienne (1971), il n'a jamais cessé de prodiguer ses encouragements à toute une génération de jeunes plumes et de peintres. En 1972, la diffusion de son émission est interrompue par la direction de la chaîne. Jean Sénac alias Yahia El Ouahrani (Jean l'Oranais), le poète homosexuel qui signait d'un soleil, est mort assassiné le 30 août 1973 à Alger, dans des circonstances encore mal élucidées. Au jour de sa mort, dans sa «cave-vigie» du 2, rue Elisée-Reclus (aujourd'hui Omar Amimour), sa naturalisation n'avait toujours pas abouti. Trente ans après, sa brutale disparition continue d'alimenter la discussion sur le sort fait aux intellectuels dans le pays et aux promesses non tenues de l'indépendance.