Triste conjoncture que celle vécue par la patrie des droits de l'homme, triturée à l'envi par tous les courants contraires aux valeurs de Danton et Robespierre. Décidément, pour attiser le brasier de l'islamophobie, il faut compter sur BFM. La façon de traiter l'information continue sur cette chaîne TV est si particulière qu'on parle désormais de «bfmisation» du discours politique français. C'est dire la dimension pathétique du débat que certains dirigeants s'évertuent à entretenir, quitte à verser dans le grotesque. Reçue sur le plateau de cette chaîne, l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et néanmoins vice-présidente de l'UMP aux côtés du même Sarko, Nathalie Kosciusko-Morizet, a pointé du doigt les enfants de confession musulmane qui «perturbent» l'école de la République à cause de leur retard motivé par les obligations de la prière. Dérapage assumé puisqu'elle signe et persiste. Et, de bonne foi, elle en donne la preuve: c'est son ami Jean Rottner, le maire de Mulhouse, qui lui a rapporté les «faits». A croire que ces deux-là connaissent bien les mosquées alsaciennes mais ignorent tout des horaires de prière dans le rite islamique. Mais qu'importe! «Médisez...», disait l'adage. Kosciusko-Morizet et son acolyte de Mulhouse n'ont apparemment jamais mis les pieds dans les cimetières de la région où des milliers de soldats musulmans sont tombés au champ d'honneur pour cette amère patrie dont elle se veut aujourd'hui un chevalier en croisade. A quand l'étoile verte pour tous les enfants de confession musulmane? François Hollande pourrait même, du coup, présider la cérémonie émouvante qu'organiserait avec joie Mme Vallaud Belkacem, pour épingler la première étoile sous les feux de la rampe médiatique. Sauf que tous seront conscients du risque que, très vite, le vert ne vire au jaune, après une phase de latence marquée par le bleu... marine! Triste conjoncture que celle vécue par la patrie des droits de l'homme, triturée à l'envi par tous les courants contraires aux valeurs de Danton et Robespierre. Après les tentatives des amalgames qui ont suivi les terribles heures des attentats terroristes contre Charlie Hebdo et le super-cacher de la banlieue Sud, voici que les mêmes zélateurs d'une ghettoïsation des communautés musulmanes, en général, et algérienne ou d'origine algérienne, en particulier, reprennent du poil de la bête, croyant stupidement rivaliser de la sorte avec le Front national de la famille Le Pen. Et quand c'est une vice-présidente de l'UMP qui tient de tels propos, sans fausse pudeur, sans honte ni reproche, cela signifie que le parti de la droite s'est dramatiquement englué dans la gadoue des mots et des objectifs de l'extrême-droite. La deuxième mort du gaullisme On savait, depuis longtemps, qu'avec la sortie de Jacques Chirac du champ politique français, le gaullisme a totalement vécu. Point n'est besoin de chercher un quelconque héritier au natif de Colombey-les Deux Eglises, il n'y en a jamais eu après que le RPR se soit dissous dans la bouillabaisse d'une UMP attrape-tout, ravalée au rang de parti-croupion d'une extrême-droite conquérante avec laquelle Kosciusko-Morizet et compagnie tentent de rivaliser benoîtement. De Gaulle aura beau se tourner et se retourner dans sa tombe, la «politique arabe de la France» a, elle aussi, vécu et n'est plus qu'une antienne qui ne sera même pas enseignée aux générations montantes puisque le courant dominant est à la vindicte contre tout ce qui n'est pas en odeur de sainteté. Et pourtant! Pourtant, on imagine mal les mêmes propos recueillis sur BFM ciblant les enfants juifs qui se rendent aux synagogues, au point d'irriter des maires comme ce Mister Rottner que la prière indigne. Le vrai drame des communautés musulmanes Tous les sondages français l'affirment, le FN sera au second tour des prochaines élections, quelles que soient les entourloupes. Les instituts sont unanimes à le prédire. Certains donnent même le FN de Mme Le Pen gagnant au deuxième tour de la future présidentielle (qu'elle se déroule aujourd'hui, demain ou dans deux ans) et quel que soit le compétiteur, de droite ou de gauche. Cette prédiction est une option politique forte à l'avènement de laquelle la stratégie du couple Hollande/Valls n'est pas étrangère. Elle est très sérieusement envisagée par la classe politique française, dans ses diversités, toutes couleurs droitières et socialo-démocrates confondues. Et à qui va-t-on faire appel pour enclencher un enième sursaut du front républicain, afin de barrer la route aux adeptes de la nuit des longs couteaux? A ces milliers de jeunes qu'on caricature, insulte et bafoue à volonté, depuis des décennies, depuis la marche des beurs, en fait, dont François Mitterrand s'était joué en un joli tour de passe-passe qui lui a facilité la grimpette des marches de l'Elysée. Le vrai drame des communautés musulmanes, car elles sont plurielles et souvent opposées, réside dans les représentations serviles qui parlent en leur nom, comme lors des galas du Crif, mais ne montent curieusement jamais au créneau lorsqu'il s'agit de les défendre, exception faite de l'Observatoire de l'ami Abdallah Zekri, qui sait de quoi il retourne. C'est vrai que ces «dirigeants» sont à l'islam ce que le Congo était à Tintin, et Ghaleb Bencheikh, digne héritier du regretté Cheikh Abbès, a bien raison de réclamer leur disqualification. Mais à qui? Pas à tous ceux qu'ils servent, en tout cas. L'apartheid dont souffrent les communautés musulmanes n'est pas une vue de l'esprit, parce qu'il est le fait d'une politique de facto insidieuse, sournoise et méthodique, depuis des décennies. En parler, la reconnaître comme l'a fait Valls, ces jours derniers, ne signifie pas la combattre. Pour cela, il faudrait d'abord sortir du carcan de la stigmatisation et cela, ni les médias et leurs mentors, ni les clones des Le Pen comme Kosciusko-Morizet ne sont là pour y souscrire. La preuve. La loi contre le racisme et l'antisémitisme ne protège pas, loin de là, tous les sémites.