Un dernier hommage à la romancière au Palais de la culture Des milliers de personnes anonymes ainsi que celles du monde artistique et littéraire ont assisté à son enterrement. C'est sous une pluie fine, avec des muguets et des fleurs, qu'Assia Djebar a fait sa dernière «Nouba» au mont Chenoua. La romancière algérienne, décédée vendredi dernier en France à l'âge de 79 ans, a été inhumée hier, au cimetière de sa chère ville natale, Cherchell (wilaya de Tipasa). Elle a été accompagnée à sa dernière demeure par une foule nombreuse. En plus des proches de Fatima-Zahra Imalayene de son vrai nom, étaient également présentes des personnalités du monde littéraire et politique telles que l'ancien ministre de le Jeunesse et des Sports Kamel Bouchama, l'ex-Premier ministre Ali Benflis. Il y avait aussi des citoyens anonymes, de diverses wilayas du pays, venus dire un dernier adieu à cette écrivaine qui a tant honoré le pays. Mais il y avait surtout des femmes qui comme l'a toujours fait cette intellectuelle avec son franc-parler et ses écrits, ont bousculé les traditions en assistant à l'enterrement. Ainsi, jusqu'au bout, Assia Djebar symbolisera l'égalité hommes-femmes. Ces dernières présentes au cimetière dès les premières heures de la matinée ont ainsi improvisé une dernière «nouba» des femmes du mont Chenoua à celle qui a tant fait pour leur émancipation et qui les a dignement représentées que ce soit au niveau national qu'international. La Zerda et les chants... A 10h du matin, des «youyous» et des applaudissements ont retenti! C'est le cortège funèbre qui est arrivé au niveau de l'ancien cimetière de Cherchell. En pleurs pour la majorité, ces femmes ont essuyé leurs larmes pour que celle qui incarnait la joie de vivre tire sa révérence dans la gaieté et la bonne humeur. Les hommes eux, ont de suite pris le relais pour prier sur l'âme de cette grande dame qui repose désormais en paix, faisant face au mont Chenoua qui l'a tant inspirée. Les éléments de la Protection civile qui ont escorté la dépouille mortelle de Assia Djebar depuis qu'il a foulé le sol de l'Algérie jusqu'à ce qu'elle soit mise sous terre, lui ont dressé une dernière haie d'honneur. La pluie abondante s'est d'un seul coup calmée pour laisser place à des gouttelettes qui ont chargé d'émotion la déjà très émouvante mise en terre de la dépouille de celle qui se distingua par son combat acharné pour les droits de l'homme et la cause de la femme. Pendant ce temps-là, ses proches pleuraient celle qui fut leur mère et celle de tous les Algériens. Sa mère à elle, toujours vivante et un siècle entamé depuis un an, se met debout malgré la maladie, la fatigue et la vieillesse pour être aux côtés de sa fille chérie pour ses derniers moments sur terre. Digne comme l'a été celle qu'elle a enfantée, elle sèche ses larmes pour faire part aux journalistes de sa douleur de voir sa fille quitter ce monde avant elle. Que c'est terrible pour un parent d'enterrer son enfant! Malgré cela, elle rappelle que c'est la volonté du Tout-Puissant et qu'il fallait s'y plier tout en Le priant de lui accorder Sa Sainte Miséricorde. La cérémonie funèbre terminée, on remet l'emblème nationale qui recouvrait le cercueil à sa famille. Il n'en fallait pas plus aux présents pour entonner l'hymne national suivi de chants patriotiques afin de rappeler à ceux qui ont tendance à l'oublier, quelle nationaliste fut Assia Djebar. Hommes et femmes se sont mis à chanter en choeur comme avec une seule voix «Kassaman» et «Biladi, Yabiladi», et «Min djibalina»... L'enterrement d'Assia Djebar fut comme sa vie et ses oeuvres: émouvant, nationaliste, égalitaire. Une «Zerda» avec des chants pour celle qui ne sera pas oubliée! D'ailleurs, dès que sa dépouille mortelle a foulé le tarmac de l'aéroport international d'Alger, des signes laissaient prédire que comme sa vie, ses funérailles ne seront pas comme les autres. Le colonel Mustapha El Habiri, présent sur les lieux, a chargé ses hommes de préparer un accueil royal à la dépouille mortelle d'Assia Djebar. Fatima-Zahra Imalayene, alias Assia Djebar est une femme qui a sa... sépulture! Les pompiers ont amené le cercueil au Salon d'honneur de l'aéroport au son des tambours et des youyous. Ils ont rendu les honneurs à la dépouille mortelle, recouverte de l'emblème national sous les yeux émus de plusieurs personnalités politiques et culturelles dont la ministre de la Culture Nadia Labidi, l'ancien chef de gouvernement Rédha Malek, les anciens ministres Lamine Bechichi et Mahieddine Amimour ainsi que l'ambassadeur de France à Alger Bernard Emié. Ces personnalités ont ensuite formé un cortège pour transporter la dépouille mortelle de l'aéroport au Palais de la culture à Alger. C'est là-bas que l'Algérie a rendu un dernier hommage à Assia l'immortelle. Comme à l'aéroport et au cimetière, la dépouille de la défunte a été accueillie sous les youyous et les applaudissements des présents dans une salle du Palais de la culture où elle a été exposée pendant plus d'une heure. Plusieurs centaines de personnalités du monde des arts et des lettres ainsi que des militantes des droits de la femme et des inconnus se sont succédé au niveau du plateau des Annasers pour rendre un ultime hommage à la romancière. Dans une ambiance empreinte d'émotion, les présents ont adressé leurs condoléances à la fille de la défunte, Jalila, sa soeur Sakina, son frère Samir et sa mère Baya, centenaire. Des auteures, des cinéastes, des comédiennes et des universitaires étaient présentes à la cérémonie, en plus de plusieurs moudjahidate et de militantes des droits de la femme. En revanche, peu d'écrivains algériens reconnus, dont certains qui avaient rendu hommage à la défunte juste après son décès, ont fait le déplacement. La ministre de la Culture, Nadia Labidi et la ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, Mounia Meslem Si Amer, ont également pris part à l'hommage aux côtés de quelques personnalités politiques, à l'instar de Louisa Hanoune, présidente du Parti des travailleurs ou encore de l'ancien ministre de la Santé, Djamel Ould Abbès. Dans un discours lu en son nom par le poète et écrivain Brahim Seddiki, la ministre de la Culture a salué le legs de la défunte «à la culture nationale et universelle», elle qui était «profondément attachée à sa patrie». Les femmes - menées par les militantes et les sympathisantes du réseau Wassila et sa famille - se sont ensuite succédé au pupitre pour lire des textes et des poèmes, entrecoupés d'achwiq (chants religieux berbères) et chants sacrés de Taos Amrouche: DjoherAmhis, professeur de français à la retraite et animatrice d'ateliers d'écriture, Linda Bensid, étudiante en médecine et comédienne, ou encore Fadhila Chitour, vice-présidente du réseau Wassila. Une autre comédienne, Adila Bendimerad, a choisi des extraits des Nuits de Strasbourg. La cinéaste Fatma-Zohra Zaâmoum a, de son côté, salué la «pionnière» qu'a été Assia Djebar dans le cinéma comme en littérature, tout en regrettant que l'oeuvre de la romancière n'ait pas été exploitée suffisamment, ni «servi d'accélérateur» à l'amélioration de la condition des femmes. Cette personnalité exceptionnelle ayant réussi à s'imposer en 50 ans de création pour devenir un monument de la littérature et de la culture universelles, repose dans la ville de son coeur aux côtés de ses proches qui ont quitté ce monde et surtout son papa! Fatima-Zahra Imalayene, alias Assia Djebar est une femme qui a sa... sépulture!