Une victoire à la Pyrrhus, c'est ainsi que l'on peut qualifier la grève d'une partie des enseignants. Il est vrai que nous avons sans doute sous-estimé la dégradation des conditions d'exercice du métier d'enseignant ces dix dernières années, sur le plan matériel autant que moral. Il est connu qu'en plus de 50 ans d'indépendance, les enseignants n'ont jamais été à l'honneur. Ce n'est pas demain que l'on verra des professeurs honorés pour le service rendu à la nation. On aurait pu éviter aux enfants cette grève, sachant bien que le problème posé- s'il est recevable en partie- n'est pas du ressort de la tutelle mais du gouvernement. C'est-à-dire, plus concrètement, d'une hiérarchisation des métiers au sein de la Fonction publique en fonction de plusieurs critères, le niveau du diplôme du concerné, la spécificité de la tâche. Si tous les enseignants avaient fait grève, les 400.000 enseignants auraient fait perdre au budget du ministère à raison de 1000 DA/jour pour une seule journée l'équivalent de 400 millions de DA.! Fouad Irnatene du journal El Moudjahid rapporte: «C'est l'action de trop, cette grève des enseignants.» Une enseignante ne s'est pas limitée au simple constat. Elle lance un cri du coeur et exprime son ras-le-bol de cette décision «pénalisante» qui, d'autant plus, intervient au milieu de l'année scolaire. Donc, «doublement pénalisante pour les élèves, surtout ceux des classes d'examens». Cette enseignante demande aux grévistes qu'est-ce qui motive leur choix au moment où la ministre de l'Education nationale ne cesse de les appeler à un dialogue responsable: «Il faut lui donner du temps, c'est un travail de longue haleine qu'elle est en train d'effectuer, mais apparemment ça ne leur plaît pas.» «Très affecté par ce «temps perdu», Salim, qui est un exemple parmi tant d'autres, dira qu'«une grève nationale est celle qui apporte une solution éducative à un problème éducatif. Ce n'est pas le cas.» De telles situations, peuvent «profiter aux élèves qui vont songer, eux aussi, au recours à la grève dès qu'un problème surgit». Les élèves, encore une fois, paient une lourde facture suite aux grèves récurrentes des enseignants qui se répercutent, à coup sûr, sur le rendement et les performances de l'élève mais aussi, sur sa santé et son moral. Les perturbations que connaît le secteur de l'éducation sont fortement ressenties par les parents d'élèves qui craignent que les programmes pédagogiques ne soient bouclés.» Fouad Irnatene, Omar Kawsam, président de la Commission nationale des conseillers d'orientation d'éducation El Moudjahid 12/02/2015 A mon sens, les problèmes de conditions de rémunération ne sont pas de la responsabilité du ministère de l'Education nationale, dont la vocation est d'assurer un enseignement de qualité au plus grand nombre, en mettant à l'honneur la pédagogie, le travail bien fait et en récompensant les enseignants qui ont fait, preuve d'abnégation dans leur travail. S'il est reconnu à chaque fonctionnaire algérien le droit de grève, encore faut-il raison garder s'agissant des enseignants. Une grève dans l'éducation est spécifique. Il s'agit des élèves, c'est-à-dire d'une couche sociale fragile, vulnérable, celle des enfants, on n'a pas encore fait le tour des traumatismes latents dans l'imaginaire des enfants stressés au quotidien et qui, allant à l'école, trouvent le portail fermé, signifiant de ce fait une interdiction de savoir. Les enfants ne sont pas des automates que l'on peut actionner, selon le bon vouloir des grévistes et qui peuvent se remettre en ordre de marche à la fin de la grève, le temps d'induction est long et l'enfant perd pied surtout si cette épée de Damoclès est constamment brandie au-dessus de leur tête. Une grève dans l'éducation n'a rien à voir avec une grève dans les transports, ou dans une usine!! Cette grève est de fait, injuste vue sous l'angle de l'intérêt supérieur de l'enfant: On peut comprendre les raisons invoquées concernant les conditions de travail, surtout si on sait que dans la mercuriale des salaires, des salaires autrement plus élevés sont distribués à des personnes dont on peut discuter de la valeur ajoutée comparée à celle d'un enseignant en principe responsable de la formation du futur citoyen éclairé, fasciné par le savoir. Les dérives non dénoncées par les syndicats Parmi les dérives qui menacent une Ecole déjà en butte à des problèmes structurels, le manque d'éthique de beaucoup d'enseignants qui créent- certaines fois avec la complicité des chefs d'établissement- un système éducatif parallèle pour les privilégiés, ceux qui paient des cours particuliers qui n'ont rien de particulier, le maître se trouve très souvent avec plus d'une dizaine d'enfants. Outre le fait, qu'en l'absence de réglementation toutes les dérives sont permises en matière de rémunération, il se trouve que par la force des choses, les élèves privilégiés sont bien suivis en classe par le maître et qui naturellement en fait des petits génies. La mise en place de ce racket qui consiste à dispenser des heures supplémentaires aux élèves saignant à blanc des parents qui, voulant s'assurer du passage de leurs enfants, en viennent à payer la dîme à celui qui a droit de vie et de mort sur l'avenir de leur enfant... La tutelle est pour le moment absente et il n'y a pas à mon sens de directive ferme visant à endiguer et moraliser ces pratiques contraires à la vocation d'enseigner. Nous n'avons pas vu jusqu' à présent - à moins que je ne me trompe-l'éthique guider le sacerdoce des syndicats s'agissant des dérives. Il en est de toutes sortes, celles qui consistent à marchander les notes, à délivrer des faux diplômes. Peut-on être étonné alors que l'Ecole ne fasse plus rêver, quand on sait par ailleurs qu'une scorie du système éducatif bac- qui «réussit» dans le football gagne en un mois ce que gagne un enseignant en trois ou quatre ans ou qu'un joueur offshore peut gagner lors des compétitions ce que gagne un enseignant en se réincarnant cinq fois comme High Lander, c'est-à-dire cinq carrières de bons et loyaux services. Les parents l'ont compris pris en tenaille entre une école du désespoir, ils en viennent à élaborer des stratégies d'évitement en tentant d'inscrire leur enfant dans des clubs de foot et là encore ce n'est pas gagné. Il faut connaître pour tenter un jour de voir leur enfant faire une carrière de météore... Les solutions possibles pour freiner la dégradation des valeurs Ce serait une gageure que de parler de solution pour le système éducatif, système à temps de réponse long, on ne peut pas foncer dans le tas et dire y a qu'à...Les problèmes de fond qui consistent à repenser l'école attendent d'être résolus. J'ai eu le privilège d'avoir contribué modestement à la Réforme du Système éducatif décidée par le président en 1999-2000. Il serait bien venu de la remettre sur rails en l'actualisant. Les solutions que l'on peut proposer concernent avant tout l'éthique, les enseignants responsables de la formation des élites de demain en sont les premiers responsables. Je propose donc la mise en place sans tarder d'une Réflexion sur l'éthique que j'appelle de mes voeux. La deuxième proposition que je fais est d'ordre pédagogique Le problème de fond est celui de la pédagogie qui semble totalement échapper aux syndicats, dont les préoccupations ne les distinguent en rien des autres catégories sociales, ils ne se mobilisent pas pour la qualité des enseignements et leurs améliorations. Le rôle de la tutelle serait de les responsabiliser et les mobiliser autour de la qualité des enseignements. Pour cela «le pouvoir pédagogique» devrait leur revenir. Ce pouvoir reste toujours prisonnier d'une administration des établissements qui travaille sur le chiffre et qui est plus à l'écoute de la tutelle que des enseignants. L'organisation que j'avais proposée en Comités pédagogiques nationaux par grande discipline est une des solutions que nous, d'ailleurs, avons préconisée lors de la Réforme de l'éducation de 1999-2000 lancée par monsieur le président de la République. Par ailleurs, il n'y a toujours pas de «charte fixant les droits et devoirs des composantes de la famille de l'éducation». Il n'y a toujours pas aussi de charte concernant les récompenses et ce n'est pas faire dans la nostalgie que de réhabiliter les palmes académiques, les bons points, les tableaux d'honneur en leur donnant à la fois un contenu honorifique mais aussi pécuniaire. C'est une action qui ne demande pas de grands investissements mais qui est un «signal fort» si on veut commencer à séparer ceux qui ont à coeur le métier d'enseignant des autres... Ce sont autant d'actions à mettre en oeuvre qui peuvent mobiliser et graduellement introduire la sérénité et la conviction que seuls le savoir et l'honnêteté intellectuelle ont droit de cité. La rémunération S'agissant des salaires, il est de la plus haute importance de coordonner avec l'enseignement supérieur et la formation professionnelle en définissant le rôle et les attributs d'un enseignant en fonction de son parcours personnel. En France, à titre d'exemple, rien ne distingue un professeur de terminales d'un enseignant du supérieur, des équivalences existent et l'agrégation est en principe le diplôme auquel doit tendre par ses efforts personnels tout enseignant qui veut évoluer et à qui la nation doit donner les moyens de son épanouissement par justement la mise en place des concours par pallier jusqu'à arriver au concours de l'agrégation. C'est de fait une chaîne vertueuse basée sur l'effort personnel qui peut amener par le mérite l'enseignant à évoluer autrement que par l'ancienneté. C'est un chantier à lancer en faisant participer la Fonction publique qui aura à classer en fonction de l'échelle chaque enseignant en fonction de ses performances personnelles et non celles que leurs promettent les syndicats. «Dans le cadre de la promotion par le mérite, le moment est venu de réhabiliter l'agrégation» qui servira justement de transition envers les métiers du supérieur. Il est curieux de constater que les syndicats n'ont de visibilité que quand il s'agit de parler salaire, logement. Ils sont étonnamment discrets, notamment aussi sur les dérives de l'éthique due aux chasseurs de primes, pour qui l'éducation est un business comme un autre. Nous avons emprunté à la Charte de l'éducation en France ces principes qui nous paraissent valables en tout lieu et en tout temps: «L'éducation est la première priorité nationale. En théorie, le système éducatif contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale. Elle s'enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. Ce qui est attendu de l'éducation La mission première à l'école est de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Elle doit faire acquérir à tous les élèves le respect de l'égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et des valeurs. Dans l'exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en oeuvre ces valeurs. Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté. L'acquisition d'une culture générale et d'une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle. Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté» «Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa famille, concourt à son éducation. Elle prépare à l'éducation et à la formation tout au long de la vie. Elle développe les connaissances, les compétences et la culture nécessaires à l'exercice de la citoyenneté dans la société contemporaine de l'information et de la communication. Elle favorise l'esprit d'initiative. Les familles sont associées à l'accomplissement de ces missions. La lutte contre l'illettrisme et l'innumérisme constitue une priorité nationale. L'éducation physique et sportive et le sport scolaire et universitaire contribuent à la rénovation du système éducatif, à la lutte contre l'échec scolaire, à l'éducation à la santé et à la citoyenneté et à la réduction des inégalités sociales et culturelles.» On le voit, on se prend à rêver d'adapter ces bonnes dispositions pour l'éducation de nos enfants L'école actuelle ne fait pas épanouir les enfants, pire, elle les terrorise en les gavant de textes mal expliqués non adaptés à leur jeune âge et qui n'ont rien à voir avec ce que devrait l'ouverture à la vie de l'enfant, les miracles du monde, la beauté des choses et l'ouverture sur l'universel... car c'est une évidence: le monde qui nous entoure change, et très vite, de plus en plus vite, grâce à la diffusion de nouveaux moyens de communication et d'information. On peut ajouter que ces nouvelles méthodes d'enseignement doivent beaucoup aux technologies de l'information et de la culture. Mieux, la cyberculture est aujourd'hui l'un des lieux où s'élaborent de nouveaux comportements intellectuels et culturels, capables d'incarner concrètement, pratiquement, la question de l'universel. L'accès à l'information devient un facteur clé dans la lutte contre la pauvreté, l'ignorance et l'exclusion sociale... Le mot-clé de ces mutations est l'adaptation à un monde en perpétuel devenir, un monde d'où sont exclus les faibles et les pauvres. Notre système éducatif devra, pour survivre, être de plus en plus flexible et performant. L'école doit faire réussir. La formation de l'élite est pour le pays une question de survie. Des moyens appropriés et une vision claire doivent permettre à l'Education nationale, de former un eco-citoyen «ambassadeur du changement», et ceci en leur apprenant le monde, la gestion des ressources naturelles, leur glorieux passé, et ceci pour entrer dans la modernité seule voie vers une société durable et plus équitable avec une mentalité de vainqueur. Cependant, rien ne peut se faire sans une société apaisée. il est de la plus haute importance d'éviter que le système éducatif devienne la caisse de résonance des luttes partisanes.