Le programme se présentait très électrique et devait satisfaire les amateurs de tous les styles. La soirée du jazz organisée, vendredi dernier, par l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique au Centre culturel français (Ccf) a suscité un immense engouement auprès du grand public présent. Une ambiance bon enfant naquit dans la salle et mit tout le monde dans la dévotion. On se sentit déjà à l'aise et le charme fit place à la détente. Le programme se présentait très électrique et devait satisfaire les amateurs de tous les styles. Jean-Christian Michel et son Jazz-Club chauffèrent l'atmosphère en lever de rideau et terminèrent par l'éternel mais excellent Royal Garden Blues. Puis, vint une interprétation de Bernard Kestler, véritable révélation de la soirée. Un remarquable pianiste, improvisa sur Tea fort two, et avec une virtuosité Art Tatum. Mais surtout, et c'est préférable, beaucoup de sensibilité flotte dans l'air en interprétant des musiques de Gilbert Tyssblat (Prix Jazz-Hot 55), très vedette ainsi que le Club rythmique, curieusement marqué par un style 1947 sans évolution. Le Jazz Group, bien que d'abord peu convaincu, hésitant, fut plus assuré et personnel pour interpréter deux compositions de Bernard Kestler Blues et Opus 5 qui confirmèrent la valeur de ce pianiste. Le concert s'acheva par une a Jam très enlevée. Un public de jeunes et aussi de connaisseurs aux clubs privés, suffisait à remplir la petite salle du CCF, ce vendredi soir, aussi le triomphe final, plus qu'un réel succès, fut un témoignage de la sympathie de l'orchestre. Le vrai jazz semblait être en perte de vitesse à Alger. Ce n'était d'ailleurs qu'une fausse impression pour être convaincu du contraire, il suffisait de se retrouver vendredi au grand rendez-vous. Il sied de noter aussi que plusieurs morceaux de Sydney Béchet ont été interprétés. Le nom de Sydney Béchet ne peut évoquer, pour certains «inassimilables», que la meute déchaînée des garçons et des filles brisant, fous d'enthousiasme et ivres de rythme, les fauteuils de l'Olympia, soudain trop étroits à leur ivresse de rythme. Ce nom peut demeurer pour eux le symbole d'une musique qu'ils veulent obligatoirement «cacophonique» et qu'ils croient aimée seule d'une jeunesse exaltée. Il n'en reste pas moins vrai que les origines de cette musique sont profondément humaines, et que le jazz est pur et beau. On oublie que Béchet, Amstrong, Gillepsie, Nat King Cole ou Impton sont autre chose que des idoles pour «Teddy-boys» excités. En réponse aux controverses et aux critiques suscitées, aux détracteurs d'un art qu'ils ne comprennent pas, les preuves de la vitalité du jazz sont multiples. «Béchet, vous pouvez offrir à tous les ciels votre sourire de prophète et d'enfant turbulent; déjà dans tous les pays du monde, de jeunes garçons travaillent passionnément pour ce jazz qui vous doit tant». A Alger, qui peut s'enorgueillir, à juste titre, d'être la ville natale de l'un des plus éminents musiciens du jazz en France: de nombreuses formations sont créées depuis des années. Nous en notons quelque-uns; le Jazz-Club universitaire se produisait l'hiver dans divers galas et à l'Agea; cet orchestre de style «New-Orléans» jouait chaque soir, durant cet l'été 1959, au Maurétania-Club. Le «Jazz Group» de Jean-Pierre Cazeaux, qui se manifesta principalement en mars 58, lors du passage de la formation de Martial Solal, se réunit dans un club très fermé, où il organisait des «jam session», cette année, quatre garçons se sont groupés pour créer un nouvel ensemble, le «Middle Jazz Rythm»; Robert Chiche (pianiste), Alain Benet (trompette), Pierre Regand (batteur), et Jean Daquin (clarinettiste). Chaque jour, depuis le début de l'été, ils se réunissent à l'Agea, où ils travaillent leur ensemble. «Middle Jazz» prend place entre le «New-Orléans», et le «Great Jazz». Le «Middle Jazz Rythm» participera comme le «Jazz-Club universitaire» aux divers galas algérois, aux manifestations estudiantines et même aux «surboums» algéroises, si on le lui demande. A un moment où chacun se pose la fameuse question: Alger, capitale artistique? Il est réconfortant de voir dans tous les domaines de jeunes talents non seulement naître, mais surtout se manifester.