Les étudiants de l'Esba sont en grève depuis dimanche 15 mars. S'ils ont réussi à mettre la pression sur le directeur Kamel Chaou, pour qu'il «dégage», chose faite mardi matin, ils sont bien décidés à ne pas s'arrêter là. Dans leur communiqué, les étudiants de l'Esba signalent comme suit leur revendications: «L'aboutissement avec résultats concrets de la plateforme de revendications formulées depuis plus de trois ans, elever l'Ecole supérieure des beaux-arts au rang d'élite et dépendante du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, La délivrance d'un diplôme universitaire en fin de cursus, permettre une post-graduation dans toutes les disciplines existantes à l'Esba» et de préciser: «La levée du dispositif d'arrêt des cours et du ''sit-in'' ne se réalisera qu'après, et uniquement après la satisfaction des doléances suscitées.». Dépêché mardi sur les lieux pour prendre la température de cette grève, force nous a été donnée de constater une belle mobilisation qui nourrit cette dynamique de groupes des étudiants qui nous sont apparus bien mûrs et fort lucides quant à la position à prendre, résolus à aller coûte que coûte de l'avant et ne rien lâcher. Pour ce jeune homme, nommé Arbid, étudiant en 3e année de design d'aménagement, architecture d'intérieur, 28 ans «une plateforme de revendications existe depuis toujours et qui perdure. Nous n'avons jamais été entendus, jamais de résultats mais que des promesses. Depuis ces dernières années, un problème est survenu, celui du nouveau directeur. En occupant ce poste il a commencé par nommer plein de personnes. Il interdit à qui que ce soit de rentrer y compris des gens, parents ou amis pour nous voir. On dirait que l'école est devenue sa propriété privée. On ne peut même pas se balader à l'intérieur de l'établissement. Interdit par la direction. S'ensuivront des agressions verbales. Des intimidations. Une forme de terreur s'est installée. Dimanche on a convoqué le directeur dans la salle de conférences, on s'est réunis tous les étudiants, en présence même des enseignants et on est arrivés à la décision finale: rouh! (dégage).» Rejoint par un autre élève, ce dernier nous confirme que cette grève ne date pas d'hier sans aucun résultat satisfaisant. Il évoque principalement la mauvaise qualité de l'enseignement dispensé dans cette école. «Aujourd'hui on dit stop, on veut réussir! On veut faire des études à la hauteur, sans parler que notre diplôme n'est pas reconnu ailleurs. Administrativement c'est le désordre qui règne ici. On a demandé la venue de la ministre de la Culture. On nous a dit qu'elle allait venir. On veut s'entretenir avec elle directement. Nous avons des points à lui soumettre. On préfère les lui dire en face.» En effet, hier, jour de notre arrivée dans l'enceinte de l'Esba, nous avons pris acte sous nos yeux d'une AG, tenue dans le jardin même par un bon nombre d'étudiants. L idée était de prendre chacun une feuille et un stylo et de noter chacun ses revendications et doléances, lesquelles synthétisées, feront l'objet d'une plateforme à soumettre à la tutelle. Une mobilisation sans faille Des élèves qui s'organisent, clairvoyants, déterminés, nous l'avons bel et bien constaté. Motivés ils l'étaient davantage d'autant qu'ils ne sont pas prêts à lâcher le morceau. Décidés à aller au bout de leurs idéaux, certains dorment carrément la nuit dans cette école, pour assurer le suivi et la continuité de la grève. «Il y a des étudiants qui dorment ici pour occuper les lieux tout le temps, pour qu'on soit au courant de tout ce qui se passe. Les garçons dorment dans la salle de prière et celle des enseignants pour les filles. certains dorment même dehors. Tout le monde met la main à la poche pour qu'on puisse manger», nous a-t-on appris. Après la démission du directeur, survenu dans la matinée du mardi dernier et de leur dire: «Vous avez ce que vous voulez, je m'en vais», la sous-directrice avait elle aussi, déposé sa démission mais finit par se rétracter et la récupérer. Les élèves de l'Esba ne se contentant pas de ce départ, tiennent à ne pas briser leur chaîne de solidarité et mouvement de grève à ce premier stade de protestations. Un premier pas atteint mais «qui n'est pas une fin mais le commencement de nos revendications» affirmera pour sa part une autre étudiante. Une annonce de démission en tout cas verbale, car «nous n'avons pas encore vu de papier signé», nous fera remarquer cette jeune fille de 18 ans mais fort impliquée dans cette aventure pour le bien de son avenir dont elle avoue avoir espéré beaucoup de cette école qui relève pour elle d'un «rêve» près de l'écroulement aujourd'hui, à l'image de ces plafonds écaillés, de ces salles qu'elle tiendra à nous montrer, puis de s'improviser gentiment en guide dans les ateliers de l'école pour nous pousser à constater de visu l'état de délabrement de ce qui devrait être pourtant le fleuron de la fierté de l'essence même du symbole de la culture en Algérie. Parmi ces ateliers, celui de la sculpture où nous avons rencontré deux autres étudiants qui nous feront rapidement le tour du propriétaire, plein de poussière mais rehaussé ici et là d'oeuvres des élèves à qui on ne prodigue pas suffisamment d'importance et d'attention. Et de nous montrer cet amas d'argile de seconde main qui sert pour le moulage et le coulage mais point de sculptures à proprement parler ici, insiste-t-on. Un argile, ont tenu à préciser ces jeunes étudiants, qui est souvent récupéré et dans lequel on peut retrouver souvent des débris de verre! Et d'ajouter en raison de la grève: «Il n y a plus de cours. Toutes les activités sont gelées, par contre nous avons lancé des ateliers peinture et sculpture. Nous avons réalisé plein de tableaux depuis quelques jours. On se sent bien. Il y a une grande solidarité entre nous. Une bonne entente. On a bien réfléchi. Cela fait 3 ans que l'on parle. Cette date va probablement être fêtée chaque année. Ce sera une date historique pour moi», nous confiera Yasmine. Quel avenir? Et d'aborder la question de la valeur du diplôme: «Nous n'avons pas de diplôme mais une espèce d'attestation pas reconnue à l'étranger. Cela n'a aucun valeur même ici. Nous avons des camarades qui n'ont pas fini leurs études et qui se sont retrouvés bloqués parce qu'on leur a dit que le papier n'a aucune valeur. C'est comme s'ils n'avaient pas étudié pendant 5 ans.» Sur un plan technique et pratique, Yasmine évoque le manque flagrant de matériel à l'école, qui empêche les étudiants de mener à bien leur exercice courant l'année et évoluer dans leurs modules. «J'ai vu que le taux de consommation du budget destiné au matériel était élevé à 99,68% alors que l'on ne voit pas ce matériel! On ne nous fournit rien! On débarque, on a des chevalets, un tabouret et c'est tout. Des chevalets qui bougent, qui tombent dès qu'on les touche... On fournit tout nous-mêmes, les pinceaux, la peinture, les crayons, les cartons à dessins...un étudiant d'Azazga qui a fait l'école là-bas pendant un an, lors de son inscription au concours ici a été choqué de voir cela. Il nous a dit que là-bas on lui fournissait tout. Le jour du concours on nous a même pas donné des feuilles!» S'agissant de la qualité de l'enseignement, Yasmine estime: «Pour ma part j'ai deux professeurs sur 14 qui sont compétents. Il n'y a pas de programme, on ne sait pas vraiment vers quoi nous orienter. Ils sont vieux. Certains professeurs sont jeunes et bons mais c'est le système qui est ancien en fait. Il n'y a pas de mise à jour, ni d'échanges avec les autres écoles. C'est très ghettoïsé. On n'évolue pas. On s'ennuie...» achèvera de dire avec dépit cette jeune artiste en herbe. Triste constat imputé à cet antre de l'art, devenu moribond alors que censé promouvoir la vie...