Le gouvernement irakien cherche à reprendre la province occidentale clé d'Al Anbar au groupe EI, mais cette ambition s'annonce irréaliste pour le moment selon les experts. Al-Anbar, de loin la plus large des 18 provinces d'Irak, partage une frontière avec des territoires de Syrie aux mains du groupe jihadiste et est historiquement difficile à assujettir. Le 8 avril, le Premier ministre Haider al-Abadi a annoncé que «la prochaine bataille sera celle de la libération totale» de cette province aride traversée par l'Euphrate, qui s'étend du gouvernorat de Baghdad à l'est jusqu'aux frontières syrienne, saoudienne et jordanienne. M.Abadi a fait cette annonce dans l'euphorie de la reprise par les troupes irakiennes et les forces paramilitaires alliées de la majorité de la province de Salaheddine (nord) y compris sa capitale Tikrit le 31 mars. Mais, soulignent les experts, de telles victoires ne peuvent se reproduire systématiquement ailleurs dans le pays. «Al-Anbar est différente de Salaheddine car les jihadistes de l'EI y sont bien plus enracinés», explique Kirk Sowell, éditeur de la lettre d'information Inside Iraqi Politics. Les jihadistes s'y sont implantés bien avant l'offensive qu'ils ont lancée en juin 2014 et leur ont permis de conquérir près du tiers du territoire irakien. «Pour réussir, l'opération doit avoir des objectifs limités» et spécifiques et les forces irakiennes ne doivent pas chercher à reprendre la totalité de la province, estime M. Sowell. Les combats n'ont pas cessé ces derniers mois dans la province et les forces gouvernementales peinent à progresser. La capitale d'Al-Anbar, Ramadi, reste en grande partie aux mains de l'EI qui contrôle aussi la totalité de Fallouja, sur la route vers la capitale. Il a fallu 10.000 Marines pour prendre Fallouja aux rebelles il y dix ans pendant l'invasion américaine et les spécialistes conviennent que la reconquérir maintenant serait trop demander aux Irakiens. «Al-Anbar, spécialement Fallouja, c'est comme le village d'Astérix», explique Victoria Fontan, professeur à l'Université américaine Duhok Kurdistan, en faisant allusion à la cité gauloise impossible à conquérir par les Romains dans la célèbre BD. La province regorge de combattants aguerris et si certaines tribus sunnites se sont ralliées aux forces gouvernementales, d'autres ont choisi le camp de l'EI ou restent indécises. «L'opération d'Al-Anbar sera celle de Ramadi», juge Michael Knights, du Washington Institute for Near East Policy. «La clé pour contrôler Ramadi est de s'emparer des terres cultivées et palmeraies dans la vallée de l'Euphrate autour de la ville. C'est ce que les forces irakiennes ont systématiquement échoué à faire depuis plus d'un an». Les affrontements continuent à la limite orientale d'Al-Anbar, où les forces irakiennes ont lancé mardi leur énième tentative pour reprendre la région de Garma, à 45 minutes de route de Baghdad. Pour un responsable militaire d'un pays membre de la coalition antijihadistes dirigée par les Etats-Unis, les Irakiens doivent se fixer des objectifs spécifiques dans une province où des milliers des leurs ont péri depuis 2014. «Les forces de sécurité irakiennes ne vont pas purger Fallouja. Ramadi sera difficile et ce n'est même pas certain pour Garma», prévoit-il. Sur le terrain à Garma, un commandant irakien a appelé à un renforcement des raids aériens de la coalition internationale. «Couper les lignes de ravitaillement avec des troupes terrestres est impossible», a-t-il averti. La coalition mène quasi-quotidiennement depuis août 2014 des raids contre l'EI à Al-Anbar, mais sans le faire vaciller.