Oui, je suis optimiste parce que je crois au génie algérien Zoubida Assoul est avocate, militante associative depuis de longues années, notamment au sein de l'Association Aurès-Kahina; elle a créé en 2012 un parti politique: l'Union pour le changement et le progrès avec un panel d'intellectuels. Troisième femme à présider un parti politique en Algérie après Louisa Hanoune et Naïma Salhi, elle nous livre ici son analyse de la situation politique du pays et les propositions de son parti par rapport aux différentes initiatives qui émaillent la scène politique nationale. L'Expression: Une année après l'élection présidentielle du 17 avril 2014, quelle est votre analyse de la situation globale du pays? Zoubida Assoul: Aujourd'hui, tous les indicateurs, qu'ils soient politiques, sociaux ou économiques, sont au rouge. Sur le plan politique, on est dans une impasse. Le président a annoncé plein de choses lors de la campagne qui a été menée en son nom, notamment la naissance de la deuxième république, des réformes politiques profondes, une Constitution de consensus, l'éradication de la corruption, etc. Une année après, on constate qu'aucune de ses promesses n'a été réalisée. On remarque aussi q'il y a une cacophonie au sein du pouvoir. Les contradictions dans les discours sont légion. Par ailleurs, on parle de la révision de la Constitution depuis l'annonce des réformes en 2011 mais, on ne voit rien. La nouvelle donne par contre est que, depuis quelques semaines, on voit que les ressources du pays ont baissé suite à l'affaissement du prix du pétrole mais le pouvoir continue à gérer les affaires de l'Etat selon le même mode. Cette situation démontre clairement que le pouvoir navigue à vue. Face à cette situation, le pouvoir dont vous décriez le bilan, semble répondre à toutes les critiques par son projet de révision de la Constitution. Si jamais la révision de la Constitution devait se faire dans le contexte actuel, quelle serait votre position? A l'UCP, on considère que la Constitution est la feuille de route qui détermine le mode de fonctionnement des institutions de l'Etat et des libertés collectives et individuelles dans un pays. Elle devrait à ce titre être le fruit d'un consensus national. Cela veut dire qu'il aurait fallu réunir l'ensemble de la classe politique, la société civile et les intellectuels et tendre ensuite à se mettre d'accord sur ce qu'on veut faire de l'Algérie dans, au moins, les cinquante prochaines années. Notre vision, c'était ça. C'est toujours bien de faire des consultations comme celles menées par Bensalah et, par la suite, Ouyahia, mais si le citoyen ne sait pas en quoi ont consisté ces consultations, ne connait pas les positions de tel ou tel autre parti, cela jette le trouble et le discrédit sur la démarche. Nous avons participé aussi bien aux premières consultations qu'aux deuxièmes parce que, depuis la création de notre parti, nous avons toujours prôné le dialogue comme seule voie de sortie de la crise. Nous avons répondu aussi à l'invitation de la Cnltd pour participer à la Conférence de Zéralda ainsi qu'à celle du FFS dans le même esprit. A l'UCP, on se considère comme étant une opposition responsable et exigeante; on n'est pas là pour applaudir le pouvoir mais on n'est pas là non plus pour effacer tout. Néanmoins, par souci de transparence, nous avons demandé, lors de la dernière consultation, à M.Ouyahia à ce qu'il y ait une conférence nationale à la fin de ces consultations pour porter à la connaissance des citoyens l'ensemble des propositions qui ont été faites. Mais malheureusement, cela n'a pas été fait. Mais, dans l'absolu, si la révision de la Constitution consacre effectivement la séparation des pouvoirs, enlève le supra pouvoir à l'Exécutif, accorde de larges pouvoirs au gouvernement, réduit les prérogatives de la fonction présidentielle à son simple rôle d'arbitrage, impose la constitution du gouvernement par la majorité parlementaire, nous allons y participer et apporter notre soutien au processus. Mais si cette révision s'avère être un simple replâtrage, nous allons nous y opposer. Vous avez parlé de la constitution du gouvernement par la majorité parlementaire. Or, les élections étant peu crédibles au yeux de l'opposition, le problème de la légitimité du gouvernement sera toujours posé. Ne pensez-vous pas, comme le suggère la Cnltd et l'Icso, qu'il soit impératif de mettre en place une instance indépendante pour l'organisation de toutes les élections? L'UCP avait toujours dit que si l'administration reste en l'état actuel, quelles que soient les élections qu'on va organiser, le résultat sur le plan politique sera le même. Nous avons prôné une réforme et une modernisation de l'administration. Aujourd'hui, il est indispensable que l'administration qui organise les élections soit moderne de manière à assainir le fichier électoral, à permettre à tous les partis politiques et à tous les citoyens d'y accéder, que les responsabilités des walis et des chefs de daïras soient clairement définies, parce que, effectivement, si la situation continue sur le mode actuel, il ne peut nullement y avoir d'élections libres et transparentes. On a calqué le système français sans l'adapter au contexte algérien. Mais le système français subit un contrôle rigoureux de la part du Parlement qui est légitime et représentatif, ce qui est loin d'être le cas chez nous. Il faut qu'il y ait un partage équitable des pouvoirs entre le législatif, le judiciaire et l'exécutif, car c'est cela le vrai problème dans notre pays. Le pouvoir exécutif ne veut rien partager. L'institution d'une commission indépendante pour l'organisation des élections peut être une solution à présent et peut permettre de donner un peu de crédibilité aux processus électoraux mais elle reste fragile et ne peut donc servir de paravent à la fraude qu'à titre provisoire. L'exemple de la Tunisie où une instance de ce genre a été mise en place est là pour appuyer notre point de vue car, au fond, les élections tunisiennes ne sont pas exemptes de tout reproche. Il faut donc que cette commission soit faite avec beaucoup de rigueur pour qu'elle puisse aboutir à des résultats probants. Entre le FFS, la Cnltd et le pouvoir dont les initiatives ne semblent pas très prometteuses, quelle est la voie que compte suivre votre parti? Nous considérons que toutes les initiatives politiques, d'où qu'elles viennent, sont positives car il faut que les partis apprennent à se parler et à s'écouter. On a répondu à toutes les invitations que nous avons reçues. Personne ne peut prétendre qu'il a les clés de la crise. Il reste cependant que le pouvoir a plus de responsabilités que l'opposition. Nous continuerons à croire que pour sortir de la crise actuelle, il faut que l'opposition et le pouvoir se réunissent dans le cadre d'une conférence nationale pour trouver une solution consensuelle. Suite à cela, des élections présidentielle et législatives doivent être organisées. Et en cela, c'est le pouvoir qui est le plus interpellé. Les replâtrages comme ceux issus des réformes initiées en 2011 qui sont déjà obsolètes, ne servent à rien. Il faut que l'ensemble de la classe politique, au pouvoir ou dans l'opposition, cesse de travailler sur les constantes et touche aux questions de fond: la construction d'une économie productive, la réforme de l'école, la réforme de l'administration, la réforme du système de santé etc. Objectivement, pensez-vous que les conditions sont réunies pour la réalisation de ce que vous dites? On n'est pas naïfs. Nous mettons simplement le pouvoir devant ses responsabilités. La situation que vit l'Algérie aujourd'hui n'est plus la même que celle d'il y a quelques années. Quand on voit ce qui se passe à nos frontières, on doit dire au pouvoir qu'il n'a pas le droit de jouer avec l'avenir de l'Algérie. La situation sécuritaire sur nos frontières et les enjeux géostratégiques qu'elle implique, la menace terroriste, ne sont pas une vue de l'esprit. Le renforcement du front interne est indispensable. Le pouvoir ne peut plus ignorer ces menaces qui pèsent sur le pays. Il ne peut plus non plus ignorer que l'Algérie est plurielle, que les Algériens refusent que leur pays soit géré dans l'opacité, par la dilapidation et la corruption. Les dirigeants doivent accepter qu'il est vital pour l'Algérie de partager le pouvoir aussi bien sur le plan politique, économique qu'administratif et ne plus brandir la menace de l'instabilité pour continuer à ruiner le pays. Vous avez été militante dans l'association Aurès-Kahina qui s'emploie, autant que faire se peut, à défendre depuis des années la dimension amazighe de l'Algérie. Quel est le regard que vous portez sur la question amazighe à l'occasion du 35e anniversaire du Printemps amazigh? Le pouvoir algérien procède de la même manière depuis l'indépendance. L'amazighité a durant longtemps été considérée comme étant un facteur de déstabilisation, de division et de tension. Avec le temps et grâce aux sacrifices des Algériens qui croient en leur identité, une évolution est aujourd'hui perceptible. On s'en réjouit. Mais, beaucoup reste à faire. Le pouvoir n'a pas mis en place les moyens nécessaires pour développer la culture et la langue amazighes et les promouvoir. Mais ceci demande davantage de sacrifice et de lutte car, fondamentalement, le pouvoir reste toujours frileux par rapport à ce qui est initié en dehors des circuits qu'il a lui-même créés. Cette frilosité s'illustre par le fait de s'être simplement limité à sa constitutionalisation comme langue nationale. Ne pensez-vous que la non-prise en charge en urgence de la question amazighe risque de provoquer des replis identitaires, comme c'est le cas pour le MAK, le MAC et le MAM qui peuvent coûter cher au pays? En effet, il existe aujourd'hui des mouvement, basés sur le repli identitaire dans certaines régions du pays mais ils sont minoritaires et tant mieux. Ces mouvement sont le produit des frustrations accumulées durant des années à cause du dogmatisme doctrinal exclusiviste du pouvoir. Aujourd'hui, surtout à l'aune de l'instabilité que vit la région nord-africaine, l'Etat algérien a intérêt à donner tous les moyens à l'amazighité pour qu'elle s'exprime à tous les niveaux et en toute liberté. Cela, contrairement à ce qui se dit, consolidera l'Algérie. Le discours qui consiste à diaboliser des Algériens sous le prétexte qu'ils porteraient atteinte à l'unité nationale ne tient plus la route. C'est le subterfuge que le pouvoir ressasse continuellement pour différer l'impératif historique de reconnaître les Algériens dans leur pluralité et de composer avec eux dans la gestion démocratique des affaires de l'Etat. Etes-vous optimiste quant à l'aboutissement du processus démocratique initié en 1989? Oui, je suis optimiste parce que je crois au génie algérien. Mais il est temps que les Algériens se remettent au militantisme. Le changement ne tombe pas du ciel. L'engagement politique, la lutte pacifique quotidienne, sont absolument nécessaires pour que la situation change. Le pouvoir a intérêt à réviser sa copie, son mode de fonctionnement et de gestion au regard des immenses potentialités dont dispose le pays sous peine de le conduire au chaos. Il faut cependant être dévoué, loyal et persévérant envers et dans les causes que l'on défend. A l'Union pour le changement et le progrès notre credo est: faites comme l'arbre, changez vos feuilles et gardez vos racines, changez vos idées et gardez vos principes.