Femme engagée dans les combats en faveur de la femme de l'Algérie profonde, présidente de l'association de promotion de la femme rurale, elle est bien placée pour s'exprimer au nom de ces milliers de «divorcées», jetées dans la rue, brimées, à cause d'un texte que les préceptes islamiques authentiques ne sauraient que renier. L'Expression: Dans la polémique grandissante autour du code de la famille, les islamistes occupent le terrain et les médias. Pourquoi, à votre avis? Saïda Benhabylès : Je suis révoltée de voir que l'on politise une question d'ordre strictement social. Le débat autour du code de la famille intéresse la société entière. Loin de moi l'idée d'attaquer tel ou tel parti. Mais, force est de constater que cette polémique constitue une aubaine, carrément un fonds de commerce, pour certains. Or, il nous faut placer l'Algérie au-dessus de toute autre considération, surtout politicienne. Au lieu de quoi, certains partis sont en campagne préélectorale en prévision des prochaines législatives. Pour ma part, je trouve qu'il n'y a rien de contradictoire entre la chariaâ et le nouveau code de la famille. Le texte vient au contraire rattraper le déshonneur fait à l'islam par la loi de 1984, dont de nombreux articles contredisent foncièrement cette religion. La chariaâ prévoit, en effet, la protection de la société, mais aussi de la famille. Je ne comprends donc pas pourquoi on nous brandit aujourd'hui le principe de la chariaâ pour empêcher cette réforme salvatrice. Je ne comprends pas non plus pourquoi on nous ferme au nez les portes de l'Ijtihad. Pour ne citer que l'exemple de la polygamie, Dieu, dans le Saint Coran, use de la négation absolue pour souligner qu'aucun homme ne peut se montrer parfaitement juste entre ses épouses s'il en a plusieurs, alors que c'est là une condition sine qua non. Ceux qui s'opposent à ces réformes, que je qualifie de timides, se prennent donc pour de supermusulmans. J'en veux à titre d'exemple l'octroi de l'appartement à l'enfant jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la majorité. Après cela, la mère répudiée peut bien aller dans la rue. Le nouveau texte, hélas, ne cherche pas non plus à protéger la femme musulmane. Que chacun pense enfin que sa fille pourrait un jour être victime du code de la famille. Mieux, en protégeant la femme, c'est l'enfant, les personnes âgées, tous les membres d'une même famille, que l'on protège. Pourquoi ceux qui s'opposent aux réformes ne pensent-ils pas aux personnes âgées, en imposant des articles interdisant l'abandon. L'islam est pourtant intransigeant sur cette question. C'est pour cette raison que je persiste à dire que la démarche de ce courant d'opposition est strictement politicienne. Comment une femme magistrat, qui a droit de vie et de mort sur les autres, devra-t-elle aller chercher un tuteur si elle veut se marier? Mais là n'est pas le débat à mon avis. L'Algérie panse difficilement ses blessures après dix années de terrorisme. Il s'agit de renforcer la cohésion et de prôner la réconciliation. Au lieu de quoi, d'aucuns, prétendument alliés du président Bouteflika, multiplient les brèches et cherchent à créer des clans, allant jusqu'à nous traiter de nouveau de laïcs. Que vous soyez laïc ou pas, vous devez quand même avoir une position sur la question du code de la famille... Justement. Je dénonce cette manipulation. Ceux qui s'opposent au nouveau code de la famille avaient aussi été les premiers à défendre une réconciliation synonyme d'impunité pour les tueurs, située aux antipodes de la démarche du chef de l'Etat. Ils sont en train de créer des brèches au sein de la société. Excusez ma franchise, mais ces gens suivent la même démarche que celle de l'ex-FIS. Ils nous traitent de laïcs et s'arrogent le monopole de la religion musulmane. Or, Dieu seul sait qui est un véritable croyant et qui ne l'est pas. Je tiens à préciser que je suis modérée dans mes revendications. Je ne soutiens pas l'abrogation du code de la famille. Je prône l'homogénéité et les équilibres au sein de la société. Ceux qui crient au scandale contre une pareille revendication, ajoutant que pour être un bon musulman il faut les suivre, commettent des actes d'une extrême gravité. Or, à mon sens, nous nous trouvons face à un faux débat. Il y a d'autres priorités. Il n'est pas question de remettre en cause l'attachement du peuple algérien à sa religion. C'est même le contraire qui est recherché à travers le nouveau code de la famille. C'est cela la démarche réconciliatrice authentique du chef de l'Etat. N'y a-t-il pas risque que la société se scinde en deux à la faveur de cette polémique qui vire à l'hystérie générale? Je souhaite vivement que l'on n'en arrive pas là. Aussi, je lance un appel à ces partis (le MSP, Ndlr) en train de déstabiliser l'alliance présidentielle et de remettre en cause les sacro-saintes règles de la solidarité gouvernementale. J'ai la chair de poule en pensant que les mosquées elles-mêmes risquent de nouveau d'être instrumentalisées à ces fins politiciennes, portant monopole de la religion musulmane. Cela me révolte en ma qualité de musulmane. Moi, qui suis proche des Algériennes et Algériens de l'Algérie profonde, je peux dire que les gens sont parfaitement conscients des drames que cause le code actuel. Beaucoup supplient pour que soient abrogés certains articles qui ne sont nullement conformes à la philosophie musulmane. L'Ugta, entrée dans la mêlée, peut bien faire basculer les rapports de force. Mais n'y a-t-il pas là quelques risques de dérapage? Je parle franchement pour dire que la plupart des associations ne bougent qu'une fois que le feu vert leur est donné. Je salue le courage dont a fait montre l'Ugta dans ce débat capital. Notre mouvement, quant à lui, se bat depuis longtemps contre certaines dispositions contenues dans le code de 1984. Nous sommes présents en force sur le terrain, aux quatre coins du pays. Nous pouvons récolter trois millions de signatures en faveur du nouveau code si le besoin s'en faisait sentir. Nous sommes prêts à conjuguer les efforts, sans faire cavalier seul, afin d'arriver à homogénéiser la société algérienne au lieu de casser la démarche réconciliatrice du président. Je suis prête à engager des débats publics avec n'importe qui pour le convaincre du bien-fondé de cette démarche. L'Algérie sort littéralement du coma. En pleine convalescence, il est pour le moins inapproprié de lui inoculer quelque nouveau poison, comme s'évertuent à le faire ceux qui s'opposent à ce projet de loi. Au lendemain de l'indépendance, nous criions: 7 ans barakat, aujourd'hui, nous disons: 10 ans de sang versé et de fitna barakat aussi.