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Au-delà de la corruption...
COUP DE PIED DANS LA FOURMILIÈRE FIFA
Publié dans L'Expression le 30 - 05 - 2015

Pourquoi les Américains? Pourquoi maintenant? Pourquoi cette mise en scène?
La police était venue interpeller quelques-uns des hauts dignitaires du royaume fermé du football qui se trouvaient dans l'hôtel en vue du 65e congrès de la FIFA et de l'élection de son prochain président prévus hier.
Au «Baur au Lac», on n'est pas habitué à voir la police débarquer et pour cause, c'est un luxueux «cinq étoiles» zurichois qui ne reçoit que la crème de la crème. Des gens au-dessus de tout soupçon, comme on dit généralement. Aussi, ce matin du mercredi 26 mai 2015, l'arrivée de la police, sirène à fond et toutes lumières allumées, étonna plus d'un, aussi bien à la réception que dans les différents compartiments de l'établissement.
La police était venue interpeller quelques-uns des hauts dignitaires du royaume fermé du football qui se trouvaient dans l'hôtel en vue du 65e congrès de la FIFA et de l'élection de son prochain président prévus ce vendredi 29 mai 2015.
Six personnes étaient arrêtées. Ces responsables de la FIFA quittèrent les lieux par une porte de secours sous bonne escorte policière. Ils étaient cachés par des draps certes, mais rien de cette arrestation inhabituelle n'a échappé aux médias présents autour de l'hôtel.
Quelques instants plus tard, la nouvelle fit le tour de la planète. Le football est bien le sport le plus suivi au monde et l'accusation de corruption portée à l'encontre de l'instance mondiale de football est un thème qu'aucun média ne laisserait passer sans en dire mot. On apprendra ainsi quelques moments plus tard que c'est la justice américaine qui a inculpé pour «fraude, corruption et conspiration» 14 personnes et que celles arrêtées à Zurich par la police suisse seront extradées aux Etats-Unis pour être jugées.
Parmi les grosses pointures concernées, les noms qui circulent le plus, sont ceux de Jeffrey Webb, vice-président de la FIFA et président de la Concacaf et Eduardo Li, membre des comités exécutifs de la FIFA et de la Concacaf. Il y a aussi celui de Julio Rocha, chargé du développement à la FIFA; d' Eugenio Figueredo, l'actuel vice-président de la FIFA; celui d'A Costas Takkas, attaché au cabinet du président de la Concacaf; de Rafael Esquivel membre exécutif de la Conmebol et de José Maria Marin, membre du comité d'organisation de la FIFA pour les Jeux olympiques.
Certains médias vont jusqu'à donner le nom de Chuck Blazer. C'est un ancien membre du comité exécutif de la FIFA (1998 à 2013). Il était même secrétaire général de la Concacaf. Accusé par le FBI de corruption et d'évasion fiscale, il a accepté de coopérer en contrepartie de certaines promesses de la justice américaine. Il est dès lors devenu l'indicateur n°1 du FBI dans ce dossier. (1)
Ce qui est reproché exactement aux accusés?
D'après le New York Times, l'implication porte sur des affaires de corruption «portant sur plus de 150 millions de dollars depuis 1991». Il y est question d'«attributions de Coupes du monde, de droits de marketing et de télévision (...) des escroqueries par voie électronique, des faits de racket et de blanchiment d'argent.»
Initialement limitées à l'organisation des Coupes du monde de 2018 en Russie et celle de 2022 au Qatar, le champ d'accusation s'est ensuite étendu à celle de 2010 en Afrique du Sud. Mais, ce vendredi (hier), Constant Omari, le président de la Fédération congolaise, a affirmé sur RTL que «l'Allemagne avait racheté la voix de l'Océanie, illégalement, pour obtenir l'organisation de la Coupe du monde 2006» alors que cette édition revenait initialement aux Africains et devait être leur première Coupe du monde.
Il a expliqué comment est-ce que l'Allemagne avait fini par décrocher l'organisation de cette édition. Chose qui avait soulevé quelques interrogations à l'époque.
Un autre aveu est venu ce vendredi (hier) s'ajouter à ceux précédents. Il concerne l'organisation de la Coupe du monde 1998 lorsque le Maroc «aurait, par le biais de l'un des membres du comité d'organisation marocain, donné une somme d'argent à Jack Warner.» Pour acheter sa voix et «ainsi accroître ses chances d'obtenir la réception du Mondial.» (2)
Ces accusations sont très graves. Néanmoins, il y a lieu de considérer les choses avec un peu de recul. La FIFA est, depuis très longtemps (l'aube des années 1990), soupçonnée de corruption, de dessous de table et de blanchiment. Ce qui se passe n'est donc pas si surprenant que cela en a l'air ni ne mérite toute cette mise en scène hollywoodienne à l'échelle du monde? N'aurait-il pas été plus simple d'aller cueillir ces gens chez eux, un à un, sans faire tout ce bruit? Ou bien est-ce que le tapage médiatique est voulu.
A vrai dire, autour de cette question de la FIFA, trois questions se posent. D'abord pourquoi les Américains? Ensuite pourquoi maintenant? Et enfin, pourquoi de cette manière hollywoodienne?
Le siège de la FIFA est en Suisse et en toute logique, c'est donc à la justice suisse qu'il revient de statuer sur cette affaire. Or, cette dernière va se contenter d'extrader les accusés tout en ouvrant une enquête de son côté.
La question légitime qui revient sur toutes les lèvres et sur beaucoup de pages des réseaux sociaux est celle relative au rôle des Américains dans cette affaire. «Pourquoi les Américains?» se demandent les uns et les autres.
Les concernés eux-mêmes, c'est-à-dire les Américains, semblent s'être préparés à cette interrogation. On le sent à la lecture de leur argumentation qui fait part d'une certaine négociation de dessous-de-table qui aurait eu lieu aux Etats-Unis, ainsi que de cet argent qui «aurait transité par plusieurs banques américaines»(3).
Cet argument ne suffit certainement pas pour justifier l'intervention des Américains dans cette question qui est tellement loin de leurs frontières. Ceci n'a d'ailleurs pas échappé aux Russes, dont le ministère des Affaires étrangères a appelé «avec insistance Washington à mettre fin à ses tentatives d'exercer la justice bien loin de ses frontières, selon ses normes juridiques, et à suivre les procédures juridiques internationales généralement admises.» (4)
Tous les accusés sont connus avec des domiciles fixes et, en plus, ils sont souvent en voyage. C'est pour dire que les arrêter à tout moment ne doit poser aucun problème. Alors, la question se pose de savoir pourquoi a-t-on choisi la veille du congrès de la FIFA pour jeter ce filet?
Est-ce un hasard? Le timing étant chose importante dans des affaires de ce genre. Ce n'est pas pour rien donc que la date du 26/5/2015 a été retenue. Une date qui précède tout juste la tenue du 65ème congrès de la FIFA et aussi l'élection du nouveau patron de la FIFA qui devaient se tenir le vendredi 29 mai 2015.
Par ailleurs, il aurait été plus simple d'attendre la fin des travaux du congrès et l'élection du nouveau président puis s'arranger pour arrêter sans trop de tapage les personnes accusées. La manière à la Hollywood n'est pas innocente, non plus, tout comme le choix de la date, non plus.
Quelques hypothèses
Pour tenter de comprendre ce qui se passe actuellement à la FIFA, nous émettons quelques hypothèses.
La première hypothèse que l'on peut émettre est qu'effectivement ce qui intéresse les Américains c'est la lutte contre la corruption qui a fini par pourrir le football et la FIFA.
Mais, pour être sincère, c'est une hypothèse que seuls les crédules (et il n'en reste plus beaucoup sur cette terre) pourraient avaler. Si tel était le cas, pourquoi avoir attendu depuis 1991 année du démarrage de l'enquête? Et pourquoi s'intéresser à la FIFA alors que toutes les institutions financières du monde sont corrompues et que ce sont elles qu'il faut chercher à assainir avant de passer à la FIFA et autres.
La deuxième hypothèse est que les Américains chercheraient à discréditer l'attribution de l'organisation de la Coupe du monde 2018 aux Russes. En plein nouvelle Guerre froide, il ne serait pas étonnant en effet que toute cette gesticulation ne viserait en fait qu'à empêcher le grand ennemi russe d'organiser sa coupe de 2018. Ceci aiderait aussi à mieux saisir la déclaration du ministère des Affaires étrangères de Moscou relative à l'illégalité» de l'application de la justice américaine en dehors des frontières américaines.
Les objectifs d'une telle démarche sont faciles à énumérer. Cela entrerait dans le cadre des sanctions à l'encontre de Moscou, cela pourrait servir certaines négociations concernant l'Ukraine, cela servirait aussi à exercer une certaine pression sur Poutine dans le problème syrien, etc.
La troisième hypothèse serait que les Américains voudraient remettre en cause l'octroi de l'organisation de la coupe de 2022 au Qatar, en essayant d'en démontrer l'illégalité de l'attribution. Une telle décision ne viendrait que sous la pression des ONG qui ont, bizarrement accéléré leurs actions depuis quelque temps, surtout à travers la Toile. On assiste, en effet, à une véritable montée au créneau ces derniers jours, contre cette organisation de la part des ONG et autres parties. Il suffit d'aller y jeter un coup d'oeil pour s'en rendre compte.
La troisième hypothèse est celle d'une vengeance des Américains contre ceux qui leur ont préféré les Russes et les Qataris. A ce propos d'ailleurs, Eric Champel, un journaliste spécialiste du dossier corruption de la FIFA a déclaré sur RTL qu'«il est clair que les Américains ont décidé de faire exploser le truc. Ce sont eux qui ont perdu la Coupe du monde 2022 donc à un moment donné, je pense qu'ils ont des billes. On le savait tous. Il ne faut pas oublier que Michael Garcia est américain et qu'il a mis un mouchoir sur son rapport. Tout ça c'est concerté, c'est pas innocent. Ce sont surtout s'il y a des membres du comité exécutif... tu fais pas un truc comme ça, à l'hôtel Borolak (Baur au Lac, note du chroniqueur), avec tous les «officiaux». C'est un séisme, un raz de marée.»(5)
Israël en danger
Par ailleurs, il n'a pas échappé aux observateurs que la Fédération palestinienne a introduit une demande d'exclusion d'Israël de la FIFA. Une demande qui vient suite aux exactions des Israéliens contre les équipes palestiniennes ainsi que contre les joueurs de l'Equipe nationale. Des procès ayant été intentés déjà et il y a eu condamnation des colons mais cette fois, la FPF a décidé d'introduire une demande d'exclusion d'Israël pour racisme, emprisonnement arbitraire, empêchement abusif des joueurs de déplacement... Inutile de dire que cette demande a aussitôt trouvé l'appui de certaines parties, ce qui a eu pour conséquence de poser un point d'interrogation sur les chances israéliennes de rester dans l'instance mondiale du football.
La chose étant trop sérieuse pour les Israéliens qui ne peuvent accepter une telle condamnation, certaines démarches ont été entreprises aussitôt. Parmi ces dernières, on note le déplacement de Blatter en Israël et en Palestine, un déplacement qui n'avait pas de raison d'être du moment que l'acte de racisme est flagrant bien entendu. La demande palestinienne, qui devait être votée lors du 65e congrès ce vendredi, représentait malgré tout un danger sérieux pour les Israéliens. Blatter n'a pas caché qu'il oeuvrait contre le vote: «J'essaie de trouver une solution pour éviter un vote durant le prochain congrès», avait-il déclaré il y a quelques jours. C'est pour cela que nous émettons comme quatrième hypothèse le fait que les Américains chercheraient, à travers ce coup d'éclat, à faire pression sur la FIFA pour éviter l'exclusion d'Israël lors du 35e Congrès.
Enfin, il ne faut pas oublier que la désignation du nouveau président de la FIFA a lieu ce vendredi (hier) lors du 65e congrès. Or Blatter, contre toute logique et malgré les demandes pressantes de plusieurs personnalités de son entourage, s'est entêté à briguer un cinquième mandat. Sachant que tout le monde ne lui est pas acquis et que des parties influentes au sein même de la FIFA doutent du bien-fondé d'un cinquième mandat, Blatter aurait bien pu manigancer cette grande gesticulation, histoire de vider les alentours de concurrents et d'opposants.
A ce propos, Michel Zen Ruffinen, ex-secrétaire général de la FIFA, faisant le parallèle avec la réélection contestée de Baltter en 2002, a déclaré: «J'ai l'impression de revivre la situation avant ma démission en 2002.»
Il est des gens comme cela en effet, que rien ne peut empêcher de briguer des mandats, ni leur âge, ni leur bilan contesté. Michel Platini, son ami, l'a bien soulevé lors de sa dernière conférence de presse lorsqu'il a dit: «C'est dommage pour lui. Il aurait dû quitter.» Mais il y a tellement d'argent dans cette FIFA que la logique s'en est trouvée enchaînée.
1) http://www.lepoint.fr/sport/football-scandale-fifa-le-grand-deballage-29-05-2015-1932024_26.php
2) http://www.lepoint.fr/sport/football-scandale-fifa-le-grand-deballage-29-05-2015-1932024_26.php
3) http://www.20minutes.fr/sport/1616595-20150527-arrestations-fifa-point-affaire-si-rien-compris
4) http://www.liberation.fr/direct/element/
moscou-critique-washington-sur-son-intervention-dans-larrestation-des-responsables-de-la-fifa_8368/
5) http://sport24.lefigaro.fr/football/etranger/actualites/arrestations-a-la-fifa-le-monde-du-sport-s-indigne-752181


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